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Pardonne-moi de te tutoyer, Adrien, mais, après tout, ce n’est pas comme si on ne se connaissait pas. Tu viens donc, Adrien, de commettre ta seconde mauvaise action en moins de cinq mois, et comme tu le sais, qui aime bien châtie bien. En dehors de la politique, tu es un garçon tout ce qu’il y a de plus agréable. Mais je t’en ai voulu de n’être pas allé au charbon aux dernières municipales dans ta ville de Saint-Didier et d’avoir envoyé au casse-pipe un garçon que j’aime énormément (et pour lequel tu as, j’en suis sûr, toi-même une grande affection). Oh, je sais bien, car je ne suis pas tombé de la dernière pluie, que de bons conseillers étaient là pour veiller que tu n’encaisses pas personnellement le contrecoup de la politique de ton président, mais les seuls généraux que j’admire, ceux de la grande Révolution - un peu passée de mode à en juger le nombre de particules qui gouvernent le monde patronal - Marceau, Jourdan, Kléber, marchaient à la tête de leurs troupes.

Et puis, voilà qu’hier, je découvre qu’avec ton collègue de Vaucluse, lui de droite (très) dure, Julien Aubert, et une soixantaine de personnalités, dont quelques revenants plus ou moins compromis, à la teinture extravagante, Douste-Blazy, Kouchner, Léotard, des gens de droite, de gauche, du centre, Manuel que les Espagnols ont envoyé valser ailleurs, quelques histrions professionnels, dont l’inévitable Cohn-Bendit qui sait tout sur tout, a adopté au cours du dernier demi-siècle toutes les opinions, se contentant de rester fidèle bec et ongles à son anticommunisme de toujours, je découvre donc, qu’avec, hélas aussi !, Boualem Sansal, très bel écrivain et Anne Hidalgo, dont j’espère qu’elle évitera aux Parisiens la glaçante et méprisante Rachida Dati, tu es le signataire d’une tribune parue dans Le Point et qui prétend « apporter soutien à la démarche novatrice d’intellectuels arabes ».

Je cite : « Nous nous engageons contre le virus de la haine en apportant notre soutien aux représentants de la société civile de seize pays arabes qui ont fondé le Conseil arabe pour l’intégration régionale. Celui-ci a pour objectif de tendre la main à Israël pour lutter contre les préjugés en instaurant un véritable dialogue israélo-arabe pour normaliser les relations et mettre fin à toute forme de boycottage ».

Suivent quatre pages serrées dans lesquelles on apprend que les membres du Conseil arabe sont des « bâtisseurs de paix », qu’ils « proposent des projets de coopération concrets et innovants qui peuvent avoir un réel impact sur le terrain. Mohammed Dajani, un intellectuel palestinien militant pour la paix a l’intention de créer le premier programme conjoint de doctorat pour les études sur la paix dans la région, réunissant Arabes, Israéliens et spécialistes internationaux de la résolution des conflits ». Le journaliste algérien Sami Baziz propose, lui, « une formation avancée pour les professionnels des médias arabes, malheureusement imprégnés par les fausses théories du « complot juif », cependant que Maryam al-Ahmedi, militante émiratie des droits de l’homme, propose de « créer une ligue des femmes de l’ensemble du Moyen-Orient pour faire avancer la cause de la tolérance et de l’égalité hommes-femmes »

 

Mais, en attendant, la violence continue de régner, les annexions de terres de se multiplier, les colonies de se développer, le Corona de se répandre dans la bande de Gaza faute de matériel, et, tout ce que l’on ressent en lisant cet appel, c’est la volonté de faire croire que si le conflit perdure, si la guerre larvée ne semble pas près de finir, c’est le résultat de l’obscurantisme et de la mauvaise volonté des Palestiniens.

 

Alors je sais, ton cosignataire, le député Sylvain Maillard, auteur d’une proposition qui consisterait à graver dans le marbre de la loi une équation morbide : antisionisme = antisémitisme, avant d’aller plus loin et de faire condamner toute personne qui manifesterait un désaccord avec la politique menée par les dirigeants d’Israël, aurait tôt fait de me taxer d’antisémitisme.

 

Peu lui importe que des dizaines de milliers de juifs d’Israël se battent avec courage contre la politique de Netanyahou – dont le degré de corruption est par ailleurs de notoriété publique - peu lui importe que des dizaines de milliers d’autres, aux États-Unis, en Allemagne, en Angleterre, en France, partout dans le monde, ne se sentent surtout pas solidaires de cette politique, peu importe que l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP) s’inscrive dans une toute autre tradition que la sienne, Sylvain Maillard le sait bien lui : je (et tous les gens dans mon genre) ne peux être qu’antisémite.

 

Alors, excuse-moi, cher Adrien, de parler un peu de moi. L’antisémitisme, je l’ai découvert à 15 ans en classe de première au Lycée Mignet à Aix-en-Provence. À la maison, on ne parlait pas de « juifs ». Ni d’Arabes, ni de… Mes parents avaient des amis, des collègues, des connaissances. Nous les appelions par leur prénom, ou Monsieur, ou Madame. On ne leur demandait pas leur arbre généalogique. J’ai su que la meilleure amie de ma mère était juive le jour où une conversation m’a révélé que son mari était mort en camp de concentration. Il était juif, et, circonstance aggravante, communiste. Plus tard, j’ai rencontré son beau-frère, l’avocat Joe Nordmann. Mais la vraie révélation, je l’ai eue en classe, le jour où j’ai enfin compris pourquoi certains élèves (sept ou huit) riaient et gloussaient, voire poussaient de petits cris avec des sourires entendus lorsqu’un camarade de classe, Bertrand W., ouvrait la bouche, allait au tableau. Et lors d’un cours de maths particulièrement mouvementé, j’ai enfin compris lorsqu’aux quolibets s’est ajouté : « W… le juif polonais ! ».

 

Je crois que si, au cours des 55 années qui ont suivi, je n’ai jamais laissé passer un acte, un geste, un mot (même ces blagues faites, un sourire en coin, sous prétexte qu’ « on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui,  formule très ambiguë dont beaucoup ne mesurent pas la portée) antisémite, c’est à cause de cet événement.

 

Et mon cher Adrien, Il y a suffisamment de gens autour de toi à Saint-Didier, avec lesquels j’ai mené au Sursaut le combat contre le FN et ses représentants vauclusiens, qui peuvent témoigner que, non, Roger Martin, n’a jamais été, n’est pas, et ne sera jamais antisémite.

 

En revanche, les plus âgés se rappelleront peut-être que plusieurs signataires de cet appel viennent de l’extrême-droite et souriront amèrement en découvrant, entre autres, le nom de Gérard Longuet, grand manieur de barre de fer chez les fascistes d’Occident.

 

En espérant que tu auras la patience de lire jusqu’au bout cette lettre d’un électeur qui a contribué à éviter à ta circonscription la honte d’être représentée par le FN, et en t’engageant à lire le texte publié par l’Union Juive Française pour la Paix que nous publions ci-après, je t’adresse mes salutations farouchement antiracistes.

 

Roger Martin

 

(Je crois que tu aimes les romans noirs : je te recommande Les Lumières de Tel Aviv, d’Alexandra Schwartzbrod, collection Rivages Noir. Et n’hésite pas à en parler à Julien Aubert, dont on dit qu’il sait lire, et à Sylvain Maillard).

 

 

La Coordination nationale de l’UJFP, le 16 mai 2020

 

 

Des élus français au secours de l’apartheid

I

 

l y a 72 ans aujourd’hui, c’était la Nakba, le nettoyage ethnique prémédité de la majorité des Palestiniens de leur propre pays en 1948.

En Israël, le nouveau gouvernement prépare, sans masquer ses intentions, l’annexion de la Cisjordanie au mépris absolu du droit international. Il veut appliquer le plan Trump et remodeler le Proche-Orient pour en finir avec la résistance palestinienne.

Alors que le régime de l’apartheid sud-africain s’est écroulé il y a 30 ans, l’État d’Israël a établi depuis bien longtemps un régime d’apartheid où la moitié de la population qui vit entre Méditerranée et Jourdain est privée de l’essentiel de ses droits. Ce qui existait dans les faits est aujourd’hui consolidé par la loi « Israël État Nation du peuple juif » (2018) qui inscrit dans le « droit » la négation des droits et même de l’existence du peuple palestinien.

Personne ne pourra dire : « nous ne savions pas ». Tous les jours, les diplomates européens en poste dans les territoires palestiniens relatent avec précision les confiscations de terre, la violence des colons et de l’armée, les destructions de maisons, les arrestations d’enfants, les tortures, la vie en cage à Gaza sous blocus hermétique depuis 2007… Les rapports officiels se succèdent pour attester qu’Israël est coupable du crime d’apartheid tel qu’il est internationalement défini et la Cour Pénale Internationale s’apprête à instruire le dossier des crimes de guerre commis par Israël. Le négationnisme vis-à-vis de cette réalité est insupportable, c’est de la complicité.

C’est pourtant le moment choisi par une soixantaine d’élus et de personnalités pour signer dans Le Point une tribune intitulée « Protégeons les Arabes qui dialoguent avec Israël ».

Dialogue ? Quel dialogue ? Le rouleau compresseur colonial dévore de façon insatiable la Cisjordanie. Quand la population de Gaza manifeste pacifiquement pour exiger son droit au retour, l’armée israélienne tire délibérément sur des civils, utilisant des armes interdites, tuant ou estropiant des milliers de civils. Les dirigeants israéliens et les signataires de cette tribune ne cherchent aucun dialogue : ils exigent la capitulation des Palestiniens sur leurs droits historiques. Ils exigent que les Palestiniens soient définitivement transformés en indigènes cantonnés dans leurs réserves, sort qui a été infligé aux peuples indigènes d’Amérique ou d’Australie.

La tribune tend à opposer les « bons » Arabes aux « mauvais ». Les « bons » sont ceux qui dialoguent au sens où les signataires emploient ce terme. Au premier rang, le régime Saoudien de MBS, celui qui pratique la décapitation, celui qui dissout ses opposants dans l’acide, celui qui utilise les armes que la France lui a complaisamment vendues pour massacrer et affamer le peuple yéménite. Autre « modéré » et « adepte du dialogue », le régime égyptien du Maréchal Sissi. Cette dictature a criminalisé toute opposition. Les prisons sont pleines, la répression est omniprésente et ce régime participe de façon décisive au blocus de Gaza. Ces Arabes qui « dialoguent » collaborent avec l’occupant. Ils écrasent à la fois leurs propres peuples et le peuple palestinien sommé de disparaître. Le « Conseil Arabe pour l’Intégration Régionale » loué par les signataires de la tribune rêve d’un monde où les riches pourraient faire des affaires fructueuses en écrasant les peuples.

Cette tribune qualifie de « culture de paix » l’appui inconditionnel à Israël. Ce qui est qualifié de « culture de haine », c’est le soutien aux droits du peuple palestinien et bien sûr le mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS). Cette tribune sort au moment où quelques pays européens encore minoritaires envisagent de remettre en cause la complaisance de l’Union Européenne vis-à-vis du gouvernement israélien.
Le mécanisme de ce raisonnement est toujours le même : les antisémites, ce ne sont pas les dirigeants d’extrême droite qui, partout dans le monde, soutiennent inconditionnellement Israël. Ce ne sont pas les Chrétiens Sionistes américains pour qui les Juifs qui ne se convertiront pas doivent disparaître, ce n’est pas le régime hongrois qui réhabilite la Hongrie fasciste. Non, les antisémites seraient les partisans du BDS ou les habitants de nos quartiers populaires qui « affaibliraient notre tissu social » en répercutant ici des violences venues d’ailleurs. Violence éhontée à l’Histoire, pour les signataires de cette tribune, l’antisémitisme serait un phénomène arabe. Incroyable paradoxe que de voir ceux qui soutiennent un régime explicitement raciste et d’extrême droite accuser leurs opposants … de racisme.

Qui sont les signataires de cette tribune ? Il y a avant tout les défenseurs inconditionnels de la colonisation : Meyer Habib qui n’a jamais dissimulé être le représentant des colons ou Sylvain Maillard qui a rencontré les représentants des colons la veille du dépôt de son amendement tendant à criminaliser l’antisionisme. On retrouve Bernard Kouchner qui a initié, quand il était ministre, le virage de la diplomatie française vers un soutien inconditionnel à Israël. On retrouve beaucoup d’élus de droite, parfois venus de l’extrême droite. On retrouve Manuel Valls et des élus du PS.

Il y a Anne Hidalgo, maire de Paris. Ainsi, l’organisation de Tel-Aviv-sur-Seine, la police fluviale sur la Seine pour empêcher la « flottille de la liberté » (pour Gaza) d’accoster à Paris (2018) ou l’inauguration d’une place Ben Gourion en présence du maire de Jérusalem n’étaient pas des « accidents ». Il y a une complicité renouvelée.

Et il y a Daniel Cohn-Bendit. Il fut un des signataires emblématiques de l’appel J-Call qui prétendait promouvoir l’idée « Deux Peuples Deux États » et il signe un texte avec les représentants des colons.

L’UJFP répond aux signataires de cette tribune : Vous ne trompez personne.

Derrière les mots que vous utilisez (« dialogue », « bâtisseurs de paix »), il y a la réalité qui a nom annexion, apartheid, colonialisme, crimes de guerre, occupation.

Épaule contre épaule avec les anticolonialistes israéliens, porteurs d’une mémoire juive de résistance à l’injustice, nous amplifierons la lutte pour les droits du peuple palestinien et le BDS.

Il n’y a pas de paix sans justice.

 

 

Tag(s) : #TRIBUNE LIBRE, #SE FORMER - COMPRENDRE
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