
L’urgence du salaire attaché à la personne par Bernard Friot, militant communiste, sociologue et économiste
S’il parvient à supprimer le statut des cheminots, Macron en finira ensuite avec la fonction publique et avec tout ce qui reste de statut à EDF, à Engie, à la RATP et ailleurs. Dans la foulée, l’indemnité de chômage et la pension de retraite ne seront plus le remplacement du salaire de référence, mais le revenu différé d’un compte de cotisations, et des prêts aux étudiants couvriront leurs besoins quotidiens et une hausse massive des frais d’inscription à l’université. La bataille pour le statut des cheminots est centrale pour le devenir du droit au salaire. On peut craindre l’échec d’une lutte défensive faisant valoir que les cheminots ne sont pas aussi privilégiés que l’on croit (cela voudrait dire que le statut n’est pas une grande avancée émancipatrice ?), ou qu’ils ont droit à un statut spécial parce qu’ils ont des missions et sujétions spéciales… mais qui n’a pas aujourd’hui des missions et sujétions spéciales ? Il s’agit plutôt de mener une action rassembleuse fondée sur l’aspiration, très partagée, que cessent le gâchis et les souffrances du marché de l’emploi : les cheminots anticipent ce qui devrait être la situation de tous, il est inadmissible que les travailleurs soient soumis au chantage à l’emploi, le salaire doit être attaché à la personne, chacun doit être titulaire d’un salaire à partir de 18 ans et jusqu’à sa mort.
Le salaire attaché à la personne permet de fédérer bien des luttes autour de celles des cheminots et des fonctionnaires. Entre autres : pour la sécurité sociale professionnelle (maintien du salaire entre deux emplois jusqu’à ce qu’on retrouve un emploi à salaire au moins égal) ; pour la sortie des (faux) indépendants des griffes de l’ubérisation ; pour le droit aux études et à la formation continue pour tous avec salaire pour les étudiants et les travailleurs en formation ; pour la mutation de l’appareil productif à des fins écologiques acceptée par des travailleurs dont le salaire ne sera pas attaché à leur emploi mais à leur personne ; pour un régime unifié de retraite assurant 100 % du meilleur salaire net ; pour la promotion de paysans et d’artisans libérés, pour leur rémunération, de l’aléa de leur chiffre d’affaires parce que, tout en continuant à vendre leurs produits ou services, ils percevront un salaire à la qualification.
Le salaire attaché à la personne des travailleurs (et non pas à leur emploi) n’est pas une utopie, c’est la poursuite des conquis communistes du XXe siècle, quand le PCF et la CGT ont été en mesure d’imposer le statut de la fonction publique et donc le salaire lié au grade et non pas au poste (loi Thorez d’octobre 1946), le statut des électriciens-gaziers avec, comme pour les fonctionnaires et les cheminots, des droits attachés à la personne et non pas au poste (décret Paul de juin 1946), le régime général de Sécurité sociale sous l’impulsion de Croizat qui organise le droit au salaire des parents et des retraités.
Ces conquis en matière de salaire lié à la personne sont inséparables de conquis en matière de propriété de l’outil de travail, comme en témoignent la nationalisation d’EDF-GDF et la spectaculaire mutation de la production de soins rendue possible par la hausse du taux de cotisation maladie (il double de 1945 à 1979). Le salaire socialisé dans l’assurance-maladie a en effet été en mesure de subventionner en partie l’investissement hospitalier, si bien que cet outil de travail considérable (avec lequel on produit 10 % du PIB) a été la propriété patrimoniale non pas de capitalistes mais de collectivités publiques qui en ont confié la propriété d’usage au personnel soignant : les soignants ont travaillé pour soigner et non pas, comme dans une entreprise privée, pour rembourser une dette ou payer un loyer à un capitaliste. On voit la supériorité d’un tel mode communiste de production des soins quand on le compare à aujourd’hui où, du fait du gel du taux de cotisation depuis près de quarante ans, les hôpitaux financent leur investissement à crédit ou par partenariats public-privé : la propriété non lucrative de l’outil est menacée et sa propriété d’usage par les soignants est réduite.
On le voit, dire « salaire à vie » dans la fidélité inventive aux conquis communistes, c’est dire deux choses. Premièrement, les personnes doivent être en permanence confirmées comme capables de produire de la valeur économique, donc disposer de leur salaire comme d’un droit politique irrévocable. Deuxièmement, la production de valeur doit être de la seule responsabilité des travailleurs : c’est nous qui produisons, c’est nous qui devons décider et donc être propriétaires. L’expropriation des capitalistes passe par le non-remboursement des dettes contractées pour l’investissement et la subvention de celui-ci grâce à une cotisation économique gérée par les travailleurs eux-mêmes, comme l’a été (et doit le redevenir) le régime général. Il s’agit de conquérir pour toute personne la majorité économique. De 18 ans à sa mort, chacun doit se voir attribuer la responsabilité de la production, avec les droits et devoirs d’une telle responsabilité : c’est cela, le cœur d’une citoyenneté communiste.
Bernard Friot
Dernier ouvrage paru : Vaincre Macron (La Dispute, 2017)
(*) Titre de RC.
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SAMEDI 26 MAI,
MANIFESTATION 10H30
GARE DU CENTRE AVIGNON

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