Le porteur de fleurs - Diego Riviera
En, cette fin d’année sinistre, on aurait tort de céder au désenchantement et au désespoir.
Pensons aux révolutionnaires pourchassés après l’assassinat de Robespierre, Saint-Just et Couthon, à Jules Vallès et aux Communards réchappés de la répression sanglante de la Commune qui, selon le sinistre Christophe Barbier, qui ne supporte le rouge que sur son écharpe, a épargné à la France une « future dictature stalinienne », pensons aux survivants de la boucherie de 14-18 (« On croit mourir pour la patrie on meurt pour des industriels »[1]), pensons à « ceux qui croyaient au ciel ceux qui n’y croyaient pas » qui surent résister et dire non, à nos camarades « allongés sur les rails [qui] arrêt[aient] les trains » [2] lors des guerres coloniales, à toutes celles et ceux qui, malgré erreurs vénielles ou fautes tragiques, ont su préserver la flamme.
Et gardons en mémoire quelques phrases simples au contenu lourd de sens et de futur.
De Brecht, homme de théâtre et révolutionnaire :
« Si tu ne partages pas la lutte, tu partageras la défaite ».
« Celui qui combat peut perdre, mais celui qui ne se bat pas a déjà perdu ».
Du grand Hugo :
« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent […],
Les autres je les plains […],
Car le plus lourd fardeau, c’est d’exister sans vivre ! »
De Dashiell Hammett, le père du roman noir américain, auteur de La Moisson rouge et du Faucon de Malte, membre du Parti communiste américain, condamné à un an de prison sous le maccarthysme (dans sa lettre du 11 septembre 1936 à sa fille, Mary) :
« Ma chérie… voici la règle en politique : reste du côté de ce qui est juste pour les travailleurs, et opposée à ce qui ne l’est pas ».
Enfin, méditons cette lettre d’adieu à ses camarades de Mike Quin[3], le 20 mai 1947, alors qu’il meurt du cancer du pancréas qui va l’emporter, en août, à 41 ans:
« À mes frères, les Débardeurs et Magasiniers,
Au moment où vous lirez ces lignes, la Faucheuse m’aura emporté. En d’autres termes, je serai mort.
Bien que je n’aie jamais eu la carte syndicale des Débardeurs ni des Magasiniers, je veux que vous sachiez que j’ai été longtemps votre frère. Vous étiez mes camarades et mon orgueil et je me sentais autant votre semblable que si j’avais travaillé sur les quais en blue-jeans et un crochet à la main au lieu d’être un gosse d’ouvrier qui veut devenir écrivain. Je vous écris tout cela parce qu’au moment de mourir je ressens un besoin intense de vous faire savoir que j’étais votre frère.
Je vous quitte à l’aube d’une grande lutte – la première à laquelle je ne participerai pas de toutes mes forces. Rappelez-vous, Frères, rappelez-vous toujours que tout ce que vous avez jamais obtenu, vous l’avez obtenu en faisant bloc, coude à coude, avec cette certitude qu’une injustice faite à un est une injustice faite à tous, quelles que soient la couleur de sa peau, sa religion, ses idées.
Quant au Péril rouge, rappelez-vous que toute idée qui procure un avantage à la classe ouvrière sera taxée de « rouge ». Même les timides réformes sociales par lesquelles le président Roosevelt tenta de mettre un peu de l’abondance américaine à la portée des foyers modestes furent dénoncées par les magnats de l’argent comme le communisme le plus sauvage […].
Quand la prochaine lutte viendra, pensez à moi comme au type maigre aux lunettes à monture de corne, dont l’arme était une machine à écrire, qui combattait pied à pied et qui reste avec vous en esprit de toutes les forces qui lui restent encore ».
Alors, à vous toutes et tous, ami-e-s et camarades, lectrices et lecteurs de Rouge Cerise, qui ne vous résignez pas, il me reste à rappeler la forte sentence du grand Gramsci pourrissant dans les geôles mussoliniennes : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ». Et l’appel de notre section Oswald Calvetti du Parti communiste : « Tu n’en peux plus de cette société où l’argent-Roi règne et pourrit tout, tu n’en peux plus de voir ceux qui se battent sanctionnés comme à Eurenco ou licenciés comme à la PMS au Thor, tu n’en peux plus du saccage de l’école, de la braderie de la Poste, de la SNCF, d’EDF, des hôpitaux publics, de l’esclavage des sociétés de nettoyage, de ce monde qui marche à l’envers. Tu hésites parce que de bons esprits essaient de te persuader qu’être membre d’un parti c’est aliéner son esprit critique et sa liberté. Parce que d’autres, ou quelquefois les mêmes, te ressassent à longueur d’antenne le « Tous pourris ! » qui leur permet de dévoyer le mécontentement et la colère vers des voies sans issue.
Alors, si, tout simplement, tu franchissais la ligne, si tu faisais un bout d’essai, comme au cinéma, sauf que ce n’est pas toi qui serais évalué, jugé, adopté ou refusé, mais celles et ceux que tu aurais rejoints. Pas besoin de prendre une carte pour assister à une réunion de notre section communiste, pour voir ce qui s’y passe, les débats, les actions, la solidarité, la fraternité.
La route est longue, cahoteuse, le tunnel encore bien long, mais rien ne serait pire que renoncer à avancer. Et, comme seuls, divisés et dispersés, nous ne sommes rien, en avançant tous ensemble, nous serons tout ! »
Roger Martin
[1] Anatole France : L’Humanité (18 juillet 1922)
[2] Jean Ferrat : Un air de Liberté
[3] Paul William Ryan (1906-1947), journaliste, écrivain, révolutionnaire, membre du Parti communiste, auteur de centaines d’articles sous le pseudonyme de Mike Quin et de trois romans noirs sous celui de Robert Finnegan.