L’Avant Garde s' entretient avec l'organisation de la jeunesse du Parti Tudeh d’Iran sur la lutte historique actuelle pour les droits humains et démocratiques des jeunes et des femmes d’Iran.
Lors de cet entretien et les questions suivantes, nous aimerions comprendre l’évolution des manifestations en Iran, des premiers soulèvements survenus après la mort de Mahsa Amini jusqu’aux manifestations d’aujourd’hui
Dans quel contexte prennent place les manifestations actuelles en Iran ? Y avait-il des signes que des protestations sociales auraient lieu avant la mort de Mahsa Amini ?
La mort de Mahsa Amini en garde à vue de la soi-disant « Police de la moralité » pour un « hijab islamique inapproprié » était encore un nouveau motif pour le peuple d’Iran, les femmes et la jeunesse en particulier, de se soulever et de s’opposer à la répression sociale et politique infligée aux Iraniens depuis plus de 4 décennies.
Le peuple est frustré par la violation de ses droits démocratiques, comme le choix des vêtements, et les difficultés économiques qui leur sont imposées par les politiques néo-libérales à travers le régime théocratique iranien.
Les protestations ont toujours été vivaces en Iran depuis l’instauration de la République islamique. Les premières protestations contre l’obligation du hijab ont eu lieu moins d’un mois après la victoire de la révolution populaire de février 1979 qui a renversé la dictature du Shah. Les protestations se sont intensifiées durant les deux dernières décennies, commençant par le prétendu Mouvement vert en 2009 contre la fraude électorale avec le soutien du chef religieux suprême Ali Khamenei, qui a installé le populiste Ahmadinejad à la présidence.
Il y a eu des soulèvements de masse en janvier 2018 et novembre 2019, et de nouveau l’année dernière, par diverses motivations économiques, comme l’augmentation du prix du carburant. Il y a eu des grèves de travailleurs, des grèves d’enseignants et de nombreux rassemblements de protestation organisés par des retraités, des infirmières et d’autres. Donc, la colère était là, attendant une occasion pour éclater.
Des voiles ont été retirés et certains même brûlés, que représente ce symbole pour vous et pour les femmes iraniennes ?
Le fait de retirer les voiles ou les couvre-chefs, qui font partie du hijab islamique, montre la frustration des femmes envers le code vestimentaire obligatoire qui a été imposé aux femmes par la République islamique d’Iran.
Cette action symbolise le souhait des femmes d’Iran d’avoir le droit de choisir quoi porter.
Enlever les voiles et les brûler représente également l’opposition des femmes et du peuple iranien en général aux restrictions et oppressions des règles islamiques, imposées par la « Police de la moralité », ou Gasht-e Ershād appelé ainsi en Iran.
Cette force est essentiellement une brigade des mœurs chargée de faire respecter les règles islamiques (Charia). Il impose le code vestimentaire islamique, surveille le comportement des hommes et des femmes, impose en particulier la ségrégation des jeunes filles et des garçons, impose des restrictions aux artistes féminines, et plus encore, tel qu’interprété par le régime théocratique au pouvoir.
Le Gasht-e Ershād fut établi en 2005 par décret du président populiste Mahmoud Ahmadinejad nouvellement installé.
Quelles sont les revendications du TUDEH pour l’Iran, notamment dans ce contexte de protestations ?
Comme principal objectif politique à ce stade de l’évolution sociale de l’Iran, le parti Tudeh d’Iran, qui a tenu son septième congrès en juin 2022, a appelé à la destitution du régime théocratique iranien et à la mise en place d’un gouvernement national démocratique laïc, le tout sans aucune ingérence d’aucune puissance étrangère.
Le parti Tudeh d’Iran supporte pleinement le soulèvement actuel qui, d’une protestation sociale lors de la mort de Mahsa Amini et l’opposition au hijab obligatoire, a évolué à présent en mouvement politique transnational anti-dictature.
Aujourd’hui, les manifestants appellent à une révolution pour renverser le régime théocratique actuel. Les partisans de Tudeh en Iran et dans le monde font tout leur possible pour aider ce soulèvement à réussir.
La jeunesse est impliquée dans les mouvements sociaux actuels en Iran. Quelles sont ses revendications ?
La jeunesse iranienne et les étudiants ont toujours été impliqués dans les mouvements sociaux et les protestations antigouvernementales. Ils étaient l’une des forces actives soutenant la révolution en 1979.
Les manifestations étudiantes universitaires de juillet 1999, en réaction à la fermeture d’un journal réformiste par le gouvernement iranien, ont eu un impact massif sur le mouvement social en Iran.
Il y a 5 ans, fin décembre 2017, il y a eu les protestations contre le hijab obligatoire par des filles iraniennes qui ont été inspirées par une fille iranienne nommée Vida Movahed. Elle a enlevé son foulard blanc dans la rue Enghelab (qui signifie Révolution) de Téhéran, l’a attaché à un bâton et l’a agité comme un drapeau. Ce mouvement a été surnommé le mouvement des Filles d’Enghelab et a été le prédécesseur des protestations actuelles contre le hijab obligatoire.
De nos jours, les jeunes hommes et femmes, en particulier les étudiants et les lycéens sont très actifs dans le mouvement actuel portant le slogan « Femme, Vie, Liberté ». Les grèves et les rassemblements anti-régime dans les universités sont la réalité de l’Iran d’aujourd’hui. Comme mentionné précédemment, les revendications ont évolué, passant du choix vestimentaire à l’éviction du régime théocratique au pouvoir.
Comment le mouvement social est-il structuré et comment les manifestants parviennent-ils à diffuser de l’information malgré les coupures de communication organisées par le régime ?
Comme vous le savez surement, tous les véritables partis politiques d’opposition ont été interdits et écrasés en République islamique d’Iran.
De ce fait, les organisations et les structures politiques traditionnelles n’existent pratiquement pas en Iran. Le parti Tudeh d’Iran et tous les syndicats sont interdits.
Dans la mesure du possible, ils utilisent diverses plateformes de réseaux sociaux. La population iranienne, et en particulier les jeunes, est très active en termes d’utilisation d’informatique, de messagerie électronique et de communication électronique.
De plus, il est important de noter que l’Iran à une population très jeune (60 % de la population iranienne a moins de 35 ans). Et quand internet est coupé, ils utilisent d’autres moyens comme les SMS ou des moyens plus traditionnels comme l’affiche d’annonces imprimées aux murs ou laisser des tracts sur les pare-brise de voitures.
Écrire des slogans anti-régime sur les murs de la ville et les scander la nuit depuis les immeubles résidentiels sont d’autres moyens de protester et de coordonner les actions dans le quartier.
Nous avons pu observer ces dernières semaines que des universités ont rejoint le mouvement malgré les violentes répressions. Pouvez-vous nous parler de la manifestation étudiante de l’université Sharif de Téhéran ?
Comme je l’ai mentionné plus tôt, les rassemblements de protestation étudiants ont pris de l’ampleur ces dernières semaines.
Les étudiants de plus de 80 universités du pays ont boycotté leurs cours en protestation contre la répression du régime. Un bon nombre de professeurs d’université a également soutenu le mouvement courageux des étudiants.
Ces protestations se sont heurtées à de graves et brutales attaques de la part de malfrats du régime et un grand nombre d’étudiants ont été arrêtés. Le 2 octobre, les étudiants de l’Université technologique de Sharif ont manifesté à l’intérieur de cette université prestigieuse de Téhéran, quand la police antiémeute et des malfrats en civil ont encerclé les bâtiments de l’université, piégeant les étudiants, les pourchassant et les frappant. Plusieurs étudiants ont été blessés et arrêtés.
Cette attaque avait pour but d’intimider les étudiants des autres universités et des lycées. Les manifestations étudiantes ayant eu lieu après cette répression démontrent que cette tactique d’intimidation ne marche plus.
Quelles sont les perspectives de ce mouvement massif et comment la communauté internationale peut-elle exprimer son soutien pour les aspirations démocratiques du peuple iranien ?
Le mouvement de masse qui a lieu actuellement en Iran aura des effets permanents et durables dans la vie du peuple iranien, en particulier sur les femmes et la jeunesse.
Ils luttent avec acharnement pour leurs droits fondamentaux qui ont été brutalement violés au cours des dernières décennies. Ils ne se soumettent plus aux règles et réglementations réactionnaires et obsolètes du régime théocratique qui interfèrent avec la vie personnelle des gens, du code vestimentaire obligatoire à la restriction de la musique et même, à l’interdiction pour les filles et les garçons de manger ensemble dans les cantines et les réfectoires scolaires.
Même si le mouvement actuel est écrasé par une violence brutale, qui est le seul moyen que le régime choisit pour gérer les manifestations, le feu brûlera sous les cendres et s’enflammera à nouveau, avec une autre étincelle, quelle qu’elle soit.
L’Iran appartient à tous les Iraniens et pas seulement à ceux que juge bons le régime religieux au pouvoir. Le peuple veut récupérer ses propres droits et libertés et ne se soumettra pas au monopole du régime théocratique réactionnaire.
Tout ce que ces femmes, cette jeunesse et le peuple iranien en général, aimeraient recevoir de la part des organisations non iraniennes, c’est de la solidarité et du soutien pour cette lutte légitime : pour faire échos à leurs voix.
Ce soutien et cette solidarité élèveraient l’esprit de la jeunesse iranienne dans ce combat. Faire pression sur le gouvernement iranien à travers les institutions internationales est une des choses qui peut être faite afin qu’il respecte le droit du peuple à manifester en toute quiétude, pour qu’il s’abstienne de recourir à la violence contre les manifestants et pour qu’il libère les prisonniers.
Comme vous le savez, jusqu’ici, plus de 200 personnes ont été tuées dans ces manifestations. Deux douzaines d’entre eux étaient des enfants, et au moins 90 personnes ont été tuées uniquement dans la province du Baloutchistan. Ces tueries doivent cesser, et la pression internationale peut aider.
La jeunesse et les étudiants iraniens devraient pouvoir porter leurs revendications sans avoir peur de la prison ou de la mort.