
Dessin Babouse
http://www.filoche.net/2016/02/18
Contre la peine de mort Robert Badinter avait honoré l’humanité entière, contre le code du travail, il se déshonore. Il ment en prétendant réécrire à « droits constants » un code dont il casse les fondements théoriques, juridiques, historiques et pratiques. Et avec lui, tous les Hollande, Valls, Sapin, Macron, Rebsamen, qui, selon la « stratégie du choc », parachèvent brutalement avec le projet de loi El Khomri, la destruction d’un siècle d’histoire du code du travail.
Finies les 35 h : les heures supplémentaires pourront être compensées et non plus majorées. La durée maxima hebdo du travail est repoussée de 48 h à 60 h. Sans l’autorisation préalable de l’inspection – qui est supprimée. Il deviendra possible de travailler 12 h par jour et non plus 10 h. Le repos quotidien de 11 h pourra être fractionné ! La forfaitisation par accords individuels pourra aller au delà de toute durée maxima. Les congés payés ne sont plus obligatoires, le salarié peut y renoncer pour de l’argent. Un apprenti pourra travailler 40 h. Il n’y a même plus d’âge plancher pour le travail des enfants. Il n’est plus interdit de payer à la tâche. Fin de la mensualisation.
Alors que le code du travail s’était construit autour de la réduction du temps de travail depuis 170 ans, la notion de durée légale est « de facto » supprimée, les entreprises en décideront, au cas par cas, le pistolet sur la tempe de leurs salariés. Les syndicats majoritaires pourront être court-circuités par les syndicats minoritaires qui auront le droit d’en appeler au patron pour qu’il organise un referendum à ses ordres.
Si ses profits et ses dividendes baissent, le patron pourra modifier les horaires à la hausse et les salaires à la baisse (la loi Warzsmann de Sarkozy l’avait autorisé pour un an, la loi Sapin l’avait prévu pour deux ans, là c’est pour cinq ans). Les licenciements sont préprogrammés dés la signature du contrat et les patrons licencieurs abusifs verront leurs condamnations abaissées au maximum. Les inaptes au travail pourront être chassés.
La médecine du travail, les prud’hommes, l’indépendance de l’inspection du travail, les institutions représentatives du personnel sont laminés.
La subordination est remplacée par la soumission. Les droits fondamentaux au travail sont limités « par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise ». Sous couvert de carte ad vitam « personnelle d’activités », une variante de l’ancien « livret ouvrier » du XIX° siècle sera mise en place, le contrat de « gré à gré » imposé par l’employeur l’emportant sur les droits collectifs, avec un mixte de droit civil et de contrat commercial, « ubérisé ». Cette mise à mort des droits conquis par les salariés pendant des décennies mérite un branle-bas de combat pour un appel à la grève générale par tous les syndicats. C’est même urgent vu que la ministre du travail, annonce qu’ils ont l’intention de procéder par coup d’état, avec l’article 49-3 – pour la raison qu’ils n’ont pas la majorité de gauche pour voter cette forfaiture.
Gérard Filoche
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Gérard Filoche : « La plus importante contre-révolution depuis un siècle »
ENTRETIEN RÉALISÉ PAR JULIA HAMLAOUI
JEUDI, 18 FÉVRIER, 2016
L’HUMANITÉ
Entretien. Pour l’ex-inspecteur du travail et membre de la direction du PS, Gérard Filoche, l’avant-projet de loi El Khomri est une « attaque thermonucléaire » contre toutes les protections des salariés.
À la lecture de l’avant-projet de loi El Khomri, reste-t-on selon vous dans le champ d’une simple « simplification » dont parlait la mission Badinter ?
Gérard Filoche Non, c’est un véritable bouleversement. Valls avait annoncé qu’il ne voulait pas d’une réformette mais d’une révolution. Nous sommes face à la plus importante contre-révolution depuis un siècle. C’est une attaque à la bombe thermonucléaire contre l’ancien Code du travail. Depuis un siècle, le droit du travail s’est construit pour permettre de protéger les salariés contre les exigences des entreprises et de l’économie. Et voilà qu’ils font l’inverse, ils nous ramènent au statut de loueurs de bras, de tâcherons, de soumis sans droit. C’est la casse de la grande tradition de reconnaissance du salariat comme moteur de la production des richesses.
Le gouvernement avait promis de ne pas s’attaquer aux 35 heures, quelle est votre appréciation ?
Gérard Filoche Il a menti, noir sur blanc. Les 35 heures ne sont plus, dans ce projet, qu’une éphémère plaisanterie. En une dizaine de chapitres, tous les contrôles sur la durée du travail sautent. Les gens vont avoir du mal à le croire, mais il est bien écrit que la durée maximale du travail pourra, par forfait ou négociation, excéder les 12 heures par jour, tout comme elle pourra dépasser les 48 heures par semaine, pour atteindre les 60 heures.
C’est au nom de l’inversion de la courbe du chômage que le gouvernement justifie ses réformes ; quels dangers pour l’emploi recouvre cet avant-projet ?
Gérard Filoche De telles transformations augmenteraient massivement le chômage. Il s’agit de faire travailler plus ceux qui ont un travail au détriment de ceux qui n’en ont pas. L’ampleur du mensonge est fracassante. On atteint des sommets de propagande et de contresens. Comment peut-on prendre des millions de salariés pour des gogos, prétendre qu’il s’agit de leur permettre d’avoir un travail alors que, pour beaucoup, cela le leur enlèvera, et que, pour les autres, cela les exploitera, brisera leur santé ? D’où tout cela vient-il ? Personne ne le demande, à part Pierre Gattaz, et même lui doit sûrement en ce moment s’étonner de la hardiesse ultralibérale de ce projet.
Le gouvernement prétend promouvoir le « dialogue social » via le référendum et les accords d’entreprise. Quels sont les risques ?
Gérard Filoche Il enterre au contraire le dialogue social. Il ne peut y avoir de référendum dans une entreprise puisque les parties ne sont pas à égalité. Le salarié est subordonné, avec un canon sur la tempe quand il doit se prononcer comme chez Smart. En outre, les dispositions prévues rendent possibles tellement de dérogations à la loi que pratiquement plus rien de l’ordre public social ne restera en place. Il y aura 10 000 Codes du travail dans 10 000 entreprises.
Les syndicats et une majorité de gauche peuvent-ils entériner ces mesures ?
Gérard Filoche Tout syndicat devrait immédiatement appeler à descendre dans la rue. On est à l’os, il est vital de se défendre. Quant à la majorité, celle que je connais a appelé à reconstruire et à renforcer le Code du travail. C’est un reniement en profondeur du gouvernement, une attaque contre l’histoire même du PS. Les députés qui ont par le passé voté tout le contraire de ce texte seront soumis à leur propre conscience. Même la droite sarkozyste n’envisageait pas d’aller si loin.