Elle n’avait jamais assisté à un tel déferlement de violence. Lundi 14 mars au soir, la sociologue Monique Pinçon-Charlot, coauteure avec son époux, Michel Pinçon, de plusieurs ouvrages sur la bourgeoisie (les Ghettos du gotha, Sociologie de la bourgeoisie, Voyage en grande bourgeoisie…), assistait à la réunion publique organisée à l’université Paris Dauphine, au sujet de la construction d’un centre d’hébergement d’urgence pour SDF dans le XVIe arrondissement, en lisière du bois de Boulogne.

Ce projet, qui devrait être concrétisé d’ici l’été, s’est heurté au refus musclé des habitants du très chic quartier parisien lors de cette réunion d’information, très virulente et rapidement écourtée. La sociologue revient sur cette mobilisation, et décrypte la sociologie de cet arrondissement.

Le XVIe est un quartier qui charrie beaucoup de clichés, de fantasmes. Les chiffres leur donnent plutôt raison. Est-ce un arrondissement vraiment à part ?

Le XVIe arrondissement a une image symbolique extérieure forte de richesse. C’est vrai que l’homogénéité sociale y est importante. Mais cela ne veut pas dire que tout le monde est riche. La richesse est dispersée. A l’intérieur même de l’arrondissement, il y a une très forte ségrégation. Si l’on prend les codes postaux, le 75116, au nord de l’arrondissement, est un quartier grand bourgeois. Et à l’intérieur de ce quartier, on retrouve, sur le modèle des poupées russes, d’autres phénomènes de microségrégations, comme avec la villa Montmorency, totalement emmurée, impénétrable.

Peut-on qualifier le XVIe de ghetto de riches ?

Je dirais plutôt qu’il s’agit d’un entre-soi bourgeois. On est dans un entre-soi résidentiel, mais aussi idéologique fort, ce qui est une particularité du XVIe arrondissement. Il suffit de regarder les résultats des derniers scrutins : le «oui» au référendum européen de 2005 a remporté 80% des suffrages, alors que c’est le non qui a gagné au niveau national. Au second tour de l’élection présidentielle de 2012, Sarkozy a fait 78%. Claude Goasguen a été élu au premier tour des municipales à 63%. Aux régionales, c’est cette même droite conservatrice néolibérale qui l’a emporté. Ces scores de républiques bananières, on ne les retrouve nulle part ailleurs, à part peut-être dans le VIIe arrondissement [autre quartier huppé de la capitale, ndlr].

Le XVIe arrondissement a-t-il toujours été habité par des bourgeois ?

Ce quartier a été construit par et pour les bourgeois. L’urbanisation s’est faite tardivement, entre la fin du XIXe siècle et au début du XXe. Avant, l’ouest parisien, c’était des terres maraîchères, des couvents, des terrains très peu habités. On ne peut construire un espace pour les bourgeois que sur des terres vierges, les bourgeois ne se réapproprient pas les quartiers habités par d’autres, et encore moins par des ouvriers. Les riches doivent pouvoir avoir de l’espace, et cet espace redouble leur pouvoir symbolique. On le voit bien dans l’homogénéité urbaine et architecturale du XVIe arrondissement : les avenues sont larges, il y a des jardins, de la verdure, on sent qu’on respire mieux… Il n’y a absolument rien en commun avec la Goutte-d’Or par exemple [quartier populaire du XVIIIe arrondissement, ndlr].

Est-ce que cela suffit à faire de la population de cet arrondissement une classe sociale ?

Absolument. Ce qui s’est passé lundi soir le montre bien. On a assisté à la mobilisation des membres de cette classe, une classe parfaitement consciente de ses intérêts, prête à tout pour défendre son entre-soi. Ils sont arrivés à plus de 1 000 personnes… Pour quelque chose qui en plus n’est pas non plus la mer à boire : il s’agit d’un centre d’hébergement provisoire, dans un espace délimité, avec une architecture soignée… Il faut aussi rappeler que le XVIe ne dispose que de 18 places d’hébergement, alors qu’il y a en a un millier dans chacun des autres arrondissements.

Vous avez assisté à la réunion à l’université Dauphine. Vous attendiez-vous à une telle réaction de la part des habitants ?

Je travaille sur ces sujets depuis longtemps et j’ai été très surprise, je ne pouvais pas imaginer de telles insultes, ces huées, ces quolibets, surtout venant de gens qui se revendiquent de la politesse, de la retenue, de l’ouverture à l’autre… La préfète et la maire Anne Hidalgo, qui n’était pas présente, ont été traitées de «salopes». Les habitants ont hué le président de l’université, alors que c’est le chef de l’établissement où leurs enfants font leurs études.

Comment expliquer une telle violence, venant de ces habitants d’un quartier très aisé ? Dans une interview, vous parliez d’une «haine de classe».

Ils ont voulu faire preuve de fermeté, montrer qu’ils ne laisseront rien passer. Ils se sentent menacés : les écartes de richesse sont de plus en plus importants, on parle de plus en plus de la corruption, de la fraude fiscale… Toutes ces armes, qu’ils utilisent pour exclure les autres classes sociales, ça se sait. Lundi soir, on a assisté à une démonstration de force, à un affrontement collectif et public. Plusieurs journalistes étaient présents, et ils le savaient.

Est-ce la première fois que les habitants du XVIe se mobilisent contre ce type de projets ?

Il y avait déjà eu des protestations, contre le projet d’Anne Hidalgo de piétonniser l’avenue Foch notamment. De nombreux recours ont aussi été déposés contre la construction de HLM sur l’ancienne friche ferroviaire de la gare d’Auteuil, qui vont finalement être inaugurés à la fin de l’année. Il y a à peine 4% de logements sociaux dans l’arrondissement, alors que loi SRU impose un seuil de 25%. Les habitants ont aussi refusé que le tramway passe dans leur quartier. Le fait de vivre entre soi procure un sentiment d’impunité, l’argent les persuade qu’ils peuvent échapper à toute règle de solidarité sociale. Ils veulent faire du mécénat et du caritatif, à condition que ça soit sous leur contrôle, et que ça soit défiscalisé… Mais c’est la première fois que j’assiste à une telle violence.

Juliette Deborde

 

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