Beaucoup de monde ( 200 personnes?) ont participé à la cérémonie du souvenir des événements tragiques du premier août 1944 à Sarrians et à l'hommage rendu à nos camarades Antoine Diouf et Albin Durand à la mémoire desquels fut associée celle de tous les résistants sarrianais tués au combat et celle des autres victimes de ce massacre dont on se rappelle qu' il s’inscrit dans la série d’opérations effectuées du 31 juillet au 1er août 1944 à Malaucène et à Violès par un commando de collaborateurs venu d'Avignon et de soldats de l'armée allemande.
Le commando en question était composée de membres du Parti Populaire Français, ce parti fasciste créé par Jacques Doriot, dont la plupart des membres iront revêtir l'uniforme nazi pour combattre dans la Division SS Charlemagne. Il y avait là Jacques Tricon, chef départemental, Pierre Terrier, ex-stagiaire à la 8ème compagnie de Waffen-SS de Pont-Saint-Esprit, puis secrétaire-interprète de la Gestapo, Robert Conrad, lui aussi interprète de la Gestapo, Jacques Tourrou, sans oublier un truand nîmois, Gaétan.
Le soir tombait lorsque, sous protection allemande, ce joli monde a fait irruption à la ferme d'Albin Durand. Ils ont rassemblé brutalement la famille Durand et Antoine Diouf, l'ouvrier agricole, mais surtout l'ami et le camarade d'Albin, dans la cour. Ils ont cherché des armes.et n'en ont pas trouvé alors ils se déchaînèrent. Brutalités d'abord, puis tortures. Les femmes entendirent les cris d'Albin et d'Antoine. Lorsque tout fut fini, Albin Durand avait "le cuir chevelu scalpé, la poitrine défoncée, les jambes et les bras sciés", Antoine Diouf, lui, a été "frappé, énucléé, brûlé, ses muscles sont en tumeur, ses os cassés". Tous deux ont été achevés d'un coup de revolver. Ni l’un ni l’autre ne parla sous la torture et aucune arrestation n’eut lieu les jours suivants. Au cours de cette terrible journée deux villageois, Lucien Faraud et Paul Roux, sont lâchement assassinés.
Des décennies plus tard, malgré Oradour, malgré Valréas, malgré Le Beaucet et cent autres tragédies, Jean-Marie Le Pen osera déclarer qu' "en France, l'Occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine, même s'il y eut des bavures, inévitables dans un pays de 550 000 mètres carrés». Des propos qu'on aimerait voir condamner par certains élus de notre département...
L'hommage était organisé par la municipalité de Sarrians et l'association des Amis d'Antoine Diouf - Albin Durand. Le cortège parti de la place de la mairie, s'est arrêté pour rendre hommage à Marius Bastidon, Albin Durand et Lucien Faraud puis s'est dirigé vers le monument aux morts.
Au cours de la cérémonie Roger Martin a prononcé, au nom du Parti Communiste Français, un discours dont Rouge Cerise publie ci-dessous le texte.
R.C.
Discours de Roger Martin au nom du Parti Communiste Français
Madame le Maire de Sarrians,
Mesdames, Messieurs les élus, les Présidents et représentants des associations d’Anciens Combattants, Résistants et Déportés, les Représentants des Corps constitués, Armée et Gendarmerie,
Mesdames, Messieurs les Amis d’Antoine Diouf et Albin Durand,
Chers amis, chers camarades…
1er août 2016.
72 ans… 72 ans depuis ce premier août 44 où Sarrians vécut plus qu’un drame, une tragédie, lorsqu’au terme de plusieurs années d’occupation étrangère, de collaboration active, de dénonciations et de lettres anonymes, le village bascula dans l’horreur.
On a évoqué à diverses reprises lors de cette commémoration mise en place à la Libération le petit village vauclusien sous le soleil brûlant du mois d’août. Les habitants qui vaquent aux occupations ordinaires, dont les travaux agricoles constituent l’essentiel. La place principale écrasée de soleil, les conversations réduites au strict nécessaire, les bars qui ne servent plus que des ersatz et que hantent non seulement les collaborateurs du cru mais aussi d’autres, venus d’Avignon, les hommes de main de la gestapo, de la milice et du Parti populaire français.
On a enrichi ce récit chaque année, au fur et à mesure de la progression des recherches entreprises depuis 1981, de détails supplémentaires, apporté des correctifs capitaux, tant l’assassinat d’Albin Durand et Antoine Diouf comportait de points obscurs et d’inexactitudes, dont j’eus moi-même la preuve lorsqu’on m’expliqua à mon arrivée à Carpentras en 1992 qu’Albin Durand avait été assassiné par des SS.
Aujourd’hui avec la publication de Faits et Causes, Un Village dans la tourmente, un ouvrage collectif dont Jean-Marie Guillon, professeur émérite à l’Université d’Aix-Marseille, qui l’a qualifié de « très belle enquête », a dit, l’importance, le sérieux, la précision, on dispose d’une étude historique, certes non définitive, car l’on découvrira assurément de nouveaux documents, mais capitale…
Pourtant, et c’est ce qui reste l’essentiel, ce qui n’a jamais changé, ce qui ne changera pas, c’est la certitude que ce qui se déroula à Sarrians ce 1er août 1944, sous l’égide de l’armée d’occupation allemande et des collaborateurs français, a relevé de la barbarie totale.
Si les abominables tortures qui leur ont été infligées ont mis en exergue les noms d’Antoine Diouf et Albin Durand, on aurait tort d’oublier d’autres martyrs, Paul Roux et Lucien Faraud, victimes de la fusillade sur la place comme, à d’autres dates, Pierre Charasse, Marius Bastidon ou Marcel Billota… Et, partout dans le Vaucluse, à Vaison le 10 juin précédent, à Valréas le 12, au Beaucet, le 2 août, c’est la terreur absolue qui régna et les morts se comptèrent par dizaines quelques mois voire quelques jours avant la Libération.
Le Vaucluse au cœur d’une répression meurtrière comme une traînée de sang ininterrompue… Une situation qui prend naturellement une signification particulière alors que notre pays est la cible d’actes terroristes sans précédent depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Une violence sans limites qui frappe à Paris comme à Nice ou Saint-Étienne de Rouvray mais aussi en Allemagne, en Turquie, en Irak, en Syrie, en Tunisie et dans d’autres pays.
S’il m’a semblé inévitable d’évoquer ainsi cette actualité sanglante, j’aurais scrupule à vous infliger mes propres commentaires à un moment où trop de propos de Café du Commerce tiennent lieu d’analyse de fond d’une situation qui témoigne qu’on a ouvert une boite de Pandore. Qu’on me permettre simplement d’exprimer notre émotion et notre peine à toutes les familles des victimes, quelles que soient leur nationalité, leur origine, leurs opinions philosophiques, religieuses ou politiques. Et de rappeler que le monde qu’avaient souhaité Durand, Diouf et Bastidon, eux qui n’avaient pas hésité à se dresser contre l’envahisseur et un système politique fondé sur le racisme, la xénophobie et la haine et avaient, dans ce but, en même temps, fait le choix de la lutte armée, ce monde donc se voulait celui de la paix, de la justice, de ces « Jours heureux » qui donnèrent leur titre au programme du Conseil National de la Résistance.
Un combat aux antipodes des assassinats et des massacres de masse, qui ne sont pas entièrement nouveaux quoi qu’on dise – il suffit de se remémorer l’attentat de la gare de Bologne en Italie, celui d’Oklahoma City aux États-Unis, la tuerie d’Oslo en Norvège et leurs centaines de morts, sans compter la longue liste pour notre pays des assassinats politiques, de Medhi Ben Barka à Dulcie September, sans oublier, plus proches dans le temps, ceux du préfet Érignac en Corse ou de trois responsables kurdes à Paris...
Un combat courageux, opiniâtre, que celui d’Albin et d’Antoine et de leurs frères et sœurs de lutte, contre ceux qui, à l’époque, avaient au contraire choisi d’imposer leur pouvoir en recourant justement à la terreur aveugle. Il y a plus de 70 ans, certes, mais comme d’autres aujourd’hui, qui créent et entretiennent un climat de peur, de panique même et un état de chaos, qui ne peuvent qu’attiser la méfiance, le soupçon, les préjugés et dresser les citoyens les uns contre les autres comme si les bombes et les explosifs - et nous l’avons vu partout où ils ont exercé leurs ravages- distinguaient la couleur de la peau ou la foi de leurs cibles.
La lutte d’Albin Durand et d’Antoine Diouf et de leurs compagnons, de tous ces résistants que nous honorons aujourd’hui s’inscrivait comme le contraire de ces entreprises idéologiques mortifères qui faisaient hurler aux franquistes en Espagne « Vive la mort ! Mort à l’intelligence! » et aujourd’hui aux djihadistes de l’État islamique « Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie ». L’exact opposé du combat d’Albin et d’Antoine, un appel à la vie, à l’avenir, à la beauté des choses, fussent-elles les plus simples. Durand, Diouf, Bastidon et leurs camarades sont morts parce qu’ils avaient fait le choix de la liberté de leur pays, parce que, comme l’écrivait Aragon de leurs frères de L’Affiche rouge, ils étaient « amoureux de vivre à en mourir ». Et peu importait que « l’un fût de la chapelle et l’autre s’y dérobât », que Daniel Cordier, qui fut le secrétaire de Jean Moulin ait été à l’origine monarchiste, qu’Yves Guéna fût gaulliste, Daniel Estier socialiste et Danièle Casanova communiste, parce que, luttant dans la nuit de la clandestinité, tous ces résistants n’avaient pour inlassable tâche que celle de dissiper les ténèbres en vue du jour où, ensemble, « celui qui croyait au ciel et celui qui n’y croyait pas », ils se consacreraient à la reconstruction du pays meurtri.
Sarrians aujourd’hui rend hommage à ses martyrs. On ne saurait que trop se réjouir de cette volonté qui a permis que depuis 72 années, au-delà d’opinions et de croyances différentes, une telle commémoration ait pu perdurer.
C’est la preuve, sans aucun doute, que l’essentiel du combat d’Albin et d’Antoine, de Marcel, de Paul et de Lucien, s’incarne toujours dans des valeurs partagées d’humanisme et de liberté.