Libéralisation accélérée du pays, facture de la crise imposée au monde du travail... Pour contrer la stratégie du choc, construire un nouveau modèle et l’espoir, Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, appelle à l’engagement le plus large. À « l’union dans l’action ».
Fabien Roussel a repris le chemin de l’usine. Il était chez Renault à Choisy-le-Roi (94) le 25 mai, pour dénoncer les fermetures de sites prévues par le constructeur et proposer un autre avenir pour l’industrie. Une initiative qui illustre l’appel à l’action des communistes. Pour le secrétaire national du PCF, c’est dans la mobilisation populaire que réside l’issue à une crise qui s’annonce brutale si des alternatives n’émergent pas rapidement.
Quels enseignements tirez-vous de cette période de crise ?
Cette pandémie révèle les conséquences du capitalisme sur nos sociétés. L’Europe, continent le plus touché, est aussi celui où ont sévi des politiques d’austérité, des privatisations de pans entiers de services publics, où s’est développé un libre-échange à tous crins. C’est à cause de ces politiques que tous les rapports de l’OMS, de l’ONU, d’ONG, demandant ces dernières années aux États de prévoir le risque d’une pandémie ont été balayés d’un revers de main. Il faut s’attaquer aux racines de cette crise, à ce système économique et, de toute urgence, bâtir un autre modèle qui permette de faire face à de telles pandémies mais aussi de préserver l’humain et la planète.
La crise sanitaire met en cause les politiques libérales mais, dans le même temps, le gouvernement enfonce de nouveaux coins dans les droits sociaux. Y a-t-il réellement une opportunité de rompre avec ces politiques ?
C’est même une urgence. Cette pandémie rebat toutes les cartes. Les libéraux veulent en profiter pour accélérer leur projet, pour faire travailler plus les salariés, pour renoncer à la transition écologique et faire payer leur dette au monde du travail. Les milliers de milliards d’euros injectés dans l’économie devraient se donner pour objectif d’éradiquer le chômage et la pauvreté et de bâtir un nouveau modèle économique. Il faut un véritable plan Orsec pour l’emploi, pour nos PME, TPE, notre industrie, qui relocalise l’activité, étende les services publics, repense complètement l’organisation et le temps au travail, multiplie les investissements dans la transition écologique.
N’y a-t-il pas une tentation de clore le débat au plus vite du côté du gouvernement ?
Le président de la République entend accélérer la libéralisation du pays, sous couvert de belles phrases. Par exemple, avec le plan Ségur se profile une privatisation de nos hôpitaux publics pour les transformer en hôpitaux privés à but non lucratif, au prétexte de les rendre plus performants. C’est pourtant au nom du service public que les soignants ont trouvé les ressources pour faire face à l’épidémie, alors qu’ils étaient déjà fragilisés par des cures d’austérité drastiques. Avec le personnel soignant, nous voulons défendre et reconquérir un grand service public de l’hôpital avec un plan d’urgence qui comprend des hausses de salaires mais aussi des embauches massives pour nos hôpitaux publics, nos Ehpad, nos services d’urgence, afin de répondre aux besoins dans tout le pays, en Métropole comme en outre-mer.
Cet hiver, malgré un mouvement historique, l’exécutif a fait passer en force la réforme des retraites et désormais les conditions sanitaires empêchent les manifestations. Comment construire le rapport de forces nécessaire ?
Ce rapport de forces se construira dans l’action avec les salariés, les étudiants, les hospitaliers, les enseignants, les syndicats dans les usines. Pour cette raison, le Parti communiste appelle à mener des campagnes très concrètes telle que celles pour l’hôpital public, pour l’école ou pour l’emploi industriel. Nous nous mobilisons aussi pour la gratuité des masques, le pouvoir d’achat. C’est pourquoi j’appelle tous les communistes à se déconfiner ! Soyons dans l’action avec les gens sur toutes ces questions qui touchent au quotidien de nos concitoyens, à l’image de la gratuité des masques, par exemple, qui doit devenir un combat très large, qui rassemble tous les républicains car cela va vite devenir un problème pour des millions de familles. Un problème de 200 euros mensuels pour une famille de 4 personnes. Finalement, cette question pointe la nécessité de nouvelles conquêtes en matière de protection sociale… et donc de nouveaux financements pour la Sécurité sociale.
La mécanique qui voulait que la défiance à l’égard d’un gouvernement alimente l’opposition ne semble plus fonctionner…
Le président de la République et le gouvernement sont discrédités. C’est grave, c’est un vrai problème démocratique. Plutôt que de se résigner, râler dans son coin, menons des combats, ensemble, pour obtenir des changements. Ça ne viendra pas d’en haut, donc, il faut que ça pousse d’en bas. Le seul moyen de redonner de l’espoir, c’est de le construire. Sinon, la colère seule s’exprimera. Tout au long de nos 100 ans d’histoire, nous avons été un parti qui a toujours su, lors de telle crise, appeler aux mobilisations, aux rassemblements les plus larges, dans la diversité des opinions de chacun. C’est dans notre ADN, c’est l’appel du Front populaire, de la Résistance. Adressons-nous à tout le monde, sans regarder d’où ils viennent. Je pense à ceux qui ont renoncé à voter depuis trop longtemps, et même à des salariés qui se sont laissé tromper par l’extrême droite. Pour sortir de la colère ou de la résignation, il faut de l’espoir et des perspectives ! Proposons-leur de nous battre ensemble pour le blocage des prix, la gratuité des masques, pour empêcher la fermeture d’usines, pour une école de la réussite pour toutes et tous le plus vite possible ! L’union dans l’action, tel est l’appel que nous lançons aujourd’hui.
La crise économique s’annonce de très grande ampleur, des plans de licenciements se préparent. Que proposez-vous sur le terrain de l’emploi, notamment industriel ?
Notre tissu de TPE, de PME, comme notre industrie doivent être traités et protégés comme des biens communs au même titre que nos services publics. Ce sont des gisements d’emploi importants, permettant de répondre aux besoins de nos concitoyens. D’où de gigantesques besoins à pourvoir en termes de formations ou d’investissements. Relocaliser l’industrie, ça commence par ne pas fermer les usines qui existent en France, dans le médicament (comme Famar à Lyon), chez Renault, Air France ou chez General Electric à Belfort. Et cela nécessite ensuite un véritable plan d’investissement, au service d’une stratégie de reconquête industrielle dans des secteurs déterminants pour l’indépendance du pays, comme l’énergie, la sidérurgie, la chimie ou au service de la transition écologique tant attendue.
Qui connaît la stratégie de la France en matière industrielle ? Personne ! Cette reconquête doit d’abord s’appuyer sur le monde du travail et se construire avec lui, avec les industriels comme avec les syndicats. Il faut donner de vrais pouvoirs aux travailleurs jusque dans les entreprises ! Regardez comment les salariés ont su répondre à la pandémie ! Nous devons être fiers de la classe ouvrière, de ces salariés qui ont porté la France à bout de bras. C’est à eux qu’il faut faire confiance pour reconstruire le pays, plutôt qu’aux forces du capital qui ont mis la planète et notre pays dans cette situation !
Vous évoquiez vos propositions pour les hôpitaux, l’éducation, l’emploi, la lutte contre la pauvreté… Comment les financer ?
Nous voulons prendre le pouvoir sur l’argent et rompre radicalement avec les logiques de rentabilité immédiate. Cela nécessite une meilleure répartition des richesses. Et nous faisons, depuis deux ans et demi, de nombreuses propositions pour aller chercher des ressources parmi les plus riches : rétablir l’ISF, taxer les dividendes, supprimer la "flat tax", taxer la spéculation boursière pour la pénaliser… Mais cela ne suffira pas. Nous voulons aussi mieux produire ces richesses, avec d’autres objectifs ! Non plus pour enrichir les actionnaires mais pour le bien commun, sans épuiser les hommes et les femmes, ni les ressources naturelles ou la biodiversité.
Il faut donc un plan de relance de grande ampleur et profondément novateur ! C’est-à-dire avec des critères précis. C’est ce que nous proposons avec un fonds doté de 50 milliards d’euros, abondé par la BCE. L’argent public doit servir à cela et non plus à financer les plans sociaux chez Renault ou Air France. Au contraire ! Renault a des projets tel que le V3, petit véhicule électrique populaire, que la direction ne veut pas lancer ! Les 5 milliards d’euros de prêts de l’État devraient être conditionnés à des investissements de ce type ou à la relocalisation en France d’une part de la production de la Dacia, actuellement produite en Roumanie mais vendue en France. Il y aura certes moins de marge pour les actionnaires… Mais plus d’emplois en France ! Reprenons la main sur l’économie, sur la finance !
Quel regard portez-vous sur le plan européen présenté par Angela Merkel et Emmanuel Macron ?
Ils préparent déjà les peuples d’Europe à payer la facture de la crise. Ce plan de 500 milliards d’euros est nouveau, car il mutualise un fonds pour le mettre au service de ceux qui en ont le plus besoin. Mais sur la base de quels critères ? De plus, ça reste une dette, même mutualisée, et Emmanuel Macron comme Angela Merkel ont bien prévu de la faire payer aux pays, aux peuples, à coups de réductions de la dépense publique, de réformes économiques libérales… Ce serait le retour aux solutions d’avant et nous n’en voulons plus ! Nous voulons avoir la main sur la Banque centrale européenne pour la mettre au service des pays, de leurs investissements. Cette question est centrale pour sortir de la crise.
Avec le débat sur la souveraineté, n’y a-t-il pas un danger de repli ?
Dans l’histoire de notre parti, nous avons toujours défendu la conception progressiste de la nation, celle qui permet aux citoyennes et citoyens de décider démocratiquement de leur avenir. C’est au sein des frontières qui la délimitent que le peuple peut exercer sa souveraineté, exprimer son indépendance et décider des coopérations qu’il veut bâtir. Nous sommes aujourd’hui privés de cette souveraineté, parce que c’est la Commission européenne qui fixe les budgets des États et livre notre dette aux marchés financiers. Le nationalisme monte parce que les Français souffrent de cette régression démocratique. Il faut y répondre, mais en donnant tout son contenu progressiste à la nation, au sens de Jaurès et des révolutionnaires de 1789 : la République garantissant les mêmes droits à tous quelles que soient leurs origines, et l’indépendance nationale garantie par la souveraineté démocratique.
Avec nos camarades européens, avec qui nous discutons beaucoup actuellement, nous défendons cette souveraineté économique et démocratique mais aussi la coopération entre les peuples et les nations européennes. Une coopération qui a fait cruellement défaut face à la pandémie.
Depuis quelques semaines, plusieurs appels à un travail commun ont émergé à gauche, dont certains auxquels participent des dirigeants communistes. Quel regard portez-vous sur ces démarches ?
De la même manière que le Parti communiste appelle à être dans l’action, nous participons à toutes les discussions avec des ONG, des organisations syndicales, des forces politiques progressistes pour regarder ce que nous pouvons partager. Lorsqu’une tribune dénonce le capitalisme financier, appelle à taxer le capital, demande à rompre avec le pacte budgétaire européen, nous y participons. Mais notre priorité, c’est d’agir, c’est de construire avec nos concitoyens l’espoir d’une France en commun.
Peut-il y avoir des débouchés concrets à ces rencontres et appels communs en vue des prochaines échéances et notamment de la présidentielle ?
Si cela permet de gagner un plan massif pour l’hôpital public, des moyens pour nos écoles et la gratuité des masques, on prend ! Notre état d’esprit, c’est d’être concrets pour obtenir des victoires, des avancées pour les gens, être utiles. Plus nous sommes nombreux dans l’action à porter ces revendications, plus elles ont de poids. La présidentielle viendra en son temps.
Pour le PCF, cette pandémie révèle la faillite du capitalisme et le besoin de sortir de ce modèle. Nous travaillons donc à un plan pour le pays, pour le peuple, que nous allons présenter dans le courant du mois de juin. Ces propositions, qui seront mises en débat dans le pays, soutiendront les luttes. Elles ont aussi vocation à vivre dans les élections nationales, comme dans les échéances municipales, qui sont aussi très importantes.
Le PCF défend un projet de société qui met l’être humain et la préservation de la planète au cœur de tous ses choix, avec des propositions concrètes pour y parvenir. Nous voulons non seulement les défendre à l’occasion d’élections nationales, mais les mettre en œuvre en gouvernant le pays.
Que pensez-vous de la décision du gouvernement d’organiser le second tour des municipales le 28 juin ?
Nous avons besoin de villes en situation de gérer, d’organiser la rentrée scolaire, de lancer les appels d’offres, de mettre en place les politiques culturelles, sportives… 75 % des investissements publics viennent des collectivités. Il faut donc que, dès que les conditions sanitaires seront réunies, nous puissions organiser ces élections. Si les bars, les restaurants sont ouverts, si tout le monde va travailler, on peut aller aux urnes.
L’inverse est également vrai : si on s’aperçoit que les conditions ne sont plus réunies, il faudra reporter le scrutin. Sans compter que, si la pandémie est amenée à durer, il nous faut apprendre à voter en période de crise sanitaire. Sinon, on risque de garder la même majorité à la tête du pays pendant longtemps !
Entretien réalisé par Julia Hamlaoui et Cédric Clérin
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