Éditorial de la revue progressiste
I l y a des signaux, mêmes faibles, qui ne trompent pas et qui devraient nous alarmer quant à l’avenir de notre pays en tant que puissance scientifique et industrielle. Ainsi, les dernières enquêtes internationales montrent une dégradation dramatique du niveau en mathématiques des collégiens. La France est bonne dernière dans l’Union européenne concernant les classes de
CM1, et avant-dernière pour celle de 4ème. Ce qui est inquiétant également, c’est que les dernières enquêtes révèlent qu’il y a moins de bons élèves présentant un haut niveau en math : seulement 2 % des élèves de 4e, contre une moyenne de 11 % dans l’Union européenne et près de 50 % en Corée de Sud et à Singapour.
Clairement la France est en passe de devenir un pays d’« illettrés » concernant les mathématiques, et plus généralement l’ensemble des sciences. Cela hypothèque dans un proche avenir notre capacité à maîtriser notre souveraineté dans un grand nombre de secteurs clés où la science est omni- présente (et les mathématiques qui vont avec) : les technologies de la santé, de l’énergie, des transports, de l’informatique et des télécommunications sont concernées.
Comment en est-on arrivé là ? C’est d’abord le fruit des politiques de casse de l’éducation nationale de ces trente dernières années. Quiconque ayant travaillé dans un lycée ou un collège durant ces dernières décennies pourrait témoigner de la paupérisation grandissante de l’enseignement secondaire qui s’est progressivement installée, par manque de moyens, diminution du volume d’heures dans les programmes, abandon de l’ambition républicaine de porter au plus haut niveau tous les élèves, quelle que soit leur origine sociale.
Pour des raisons budgétaires, mais aussi culturelles, le savoir est de plus en plus perçu comme un divertissement, les cours doivent être des moments « cools » et sympathiques à passer, où tout doit couler de source, sans rencontrer de difficulté, quitte à vider ces savoirs eux-mêmes pour qu’ils puissent donner l’apparence d’être accessibles dans une classe en quelques planches de Powerpoint. Les réformes successives ont fait des ravages et ont détruit, par exemple, ce qui était un point fort de la France : l’enseignement technique. L’université suit derrière, en cohérence avec des promotions d’à peine quelques dizaines d’étudiants en licencie de science pour certaines pourtant grandes universités, ce qui était impensable il y a trente ans.
Dans certains pays asiatiques, la tendance est contraire, que ce soit en Corée de Sud, en Chine ou au Japon. Ne vous aventurez pas à y lancer, dans une soirée, « Moi je suis nul en maths » en affichant un grand sourire. Ce qui en France passerait pour une preuve d’ouverture d’esprit deviendrait un aveu honteux dans ces autres pays, de la même manière que personne en France n’aurait idée de lancer « Moi je suis nul en littérature, je n’ai aucune culture, je ne lis jamais et je ne sais pas écrire ». Plus généralement, à l’heure où les problèmes doivent être appréhendés dans leurs dimensions scientifiques et technologiques, on peut aussi s’inquiéter de la capacité de notre démocratie à faire des choix éclairés, émancipés de ceux dictés par la loi du profit immédiat.
Avant qu’il ne soit trop tard, il est urgent d’inverser cette tendance, de redonner de la valeur aux sciences, de donner plus de moyens à l’éducation nationale. Et si on veut plus de vocations pour les métiers scientifiques, cela passera aussi par la relance de l’industrie. Tout un programme !
Ammar Bellal
Rédacteur en chef de la revue Progressistes
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