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Sur le blog d'André Chassaigne

Le ministre de l’agriculture, Julien Denormandie et le député André Chassaigne, commentent le recensement agricole, reviennent sur la PAC, la loi EGALIM et le plan stratégique national déposé devant la Commission européenne.

Photos © Fabrice Savel

 

Que vous inspire le recensement agricole 2020 publié en décembre 2021 (AGRESTE) ?

Julien Denormandie: Ce recensement inédit par son ampleur confirme tout d’abord « le modèle agricole français ». Un modèle français fondé sur des exploitations à taille humaine et dont l’ADN est la qualité des productions. Au moment où certains cherchent à dénigrer notre agriculture, c’est très important de le rappeler car ce modèle agricole français, nous devons en être fiers et le soutenir. Ensuite, ce recensement montre le défi immense du renouvellement des générations. Le secteur agricole reste attractif – la part des moins de 40 ans reste stable sur 10 ans – mais, malgré cela, il y a plus de départs à la retraite que de nouveaux installés. Notre défi est de passer de 12 500 à 20 000 nouvelles installations par an. Assurer le renouvellement des générations est essentiel pour assurer notre souveraineté alimentaire.

André Chassaigne: Le constat est toujours aussi critique. Nous comptons encore 100 000 exploitations agricoles en dix ans. Et même si cette plongée semble légèrement se tasser, elle affecte profondément certains territoires et les filières d’élevage. L’incapacité à maintenir un nombre d’actifs suffisant en agriculture sur des structures de taille raisonnable est pour moi un élément très inquiétant. Si nous ne nous donnons pas les moyens de stopper ce déclin, non seulement nous ne répondrons plus à l’essentiel des besoins alimentaires des Français, mais nous accélérerons toutes les dynamiques qu’il nous faut enrayer : spécialisation et concentration des productions, perte de valeur ajoutée sur les structures, croissance des importations et des dépendances.

 

Selon vous, ce « recul » des petites exploitations était-il fatal ?

J. D.: Je pense qu’il ne faut pas opposer les agricultures. La force de notre modèle agricole est sa diversité. Il faut à la fois développer les circuits courts avec des débouchés locaux et en même temps soutenir les exportations de nos productions de qualité. La France est riche de la diversité de ces modes de production. Il faut soutenir l’ensemble des modèles en travaillant par exemple autant sur les plans alimentaires territoriaux que sur la compétitivité de nos productions.

A. C.: Il n’y a jamais de fatalité. Il n’y a que des choix politiques assumés. Nous payons l’addition de 30 années d’ouverture des marchés et de suppression des outils de régulation publique. Le vaste plan d’ajustement libéral de l’agriculture mondiale engagé dans les années 1980 - 1990 avec le GATT puis l’OMC et la réforme de la PAC de 1992 est très efficace. Il convertit petit à petit une agriculture familiale en secteur capitalistique comme un autre, avec ses grandes structures spécialisées, et ses productions soumises aux prix des marchés mondiaux. Bien sûr, il faut résister et porter une autre voie transformatrice.

 

A terme, et en raison des départs en retraite des agriculteurs, ne craignez-vous rien pour la souveraineté alimentaire française ?

J. D.: Nous sommes face à un chiffre qui s’impose à nous et qui nous oblige en termes d’action publique : près de 60% des agriculteurs seront en âge de partir à la retraite dans les 10 prochaines années. Alors, il y a des signaux positifs comme le nombre record d’apprentis dans l’enseignement agricole ou encore les 12 500 nouveaux installés en 2020 – un chiffre stable. Mais nous devons aller beaucoup plus loin. Nous sommes en effet face à un défi générationnel majeur que connaissent bien nos agriculteurs et pour lequel je me bats avec une très grande détermination. Comment faire ? Il y a d’abord la question de la rémunération. C’est la loi Egalim 2 que chacun des acteurs de la chaîne agro-alimentaire doit appliquer. Elle vise à sanctuariser la rémunération des agriculteurs. Nous avons donc renforcé les contrôles et appliquons une tolérance zéro face à ceux qui ne respectent pas la loi Egalim 2 ! Et puis, il faut travailler sur l’attractivité de ces métiers: dans les équilibres de vie, mais aussi en revalorisant les plus petites retraites, en donnant à voir la réalité et la beauté de ces métiers pleins de sens pour nos jeunes et très innovants. Tous les agriculteurs vous le diront, leur métier c’est un métier de passion et c’est une mission extraordinaire : nourrir le peuple.

A. C.: Le défi de l’installation agricole est d’autant plus colossal qu’un agriculteur français sur deux pourra prétendre à partir en retraite d’ici 2030 et plus de 150 000 actifs sont dans la balance. La poursuite de cette saignée agricole met directement en jeu notre sécurité d’approvisionnement alimentaire et notre capacité à relever le défi climatique et écologique. Je suis convaincu d’une chose : sans bras et sans têtes suffisants en agriculture, la transformation agroécologique impérative de nos systèmes restera un vœu pieux.

 

Après la réforme de la PAC, quel plan stratégique national avez-vous déposé auprès de la Commission Européenne ?

J. D.: Le plan stratégique national (PSN) a été transmis le 21 décembre et s’inscrit pleinement dans la réforme de la PAC que nous avons votée le 2 décembre au Conseil de l’Union européenne pour une PAC plus juste socialement, plus ambitieuse sur les objectifs environnementaux et toujours tournée vers la création de valeur dans nos territoires. Il s’inscrit avant tout dans la volonté de mettre la PAC au service de notre souveraineté alimentaire. D’abord en donnant les moyens à nos agriculteurs d’investir dans les transitions. Ensuite, en favorisant les productions où nous devons regagner en indépendance, comme les protéines végétales. Enfin, en accompagnant l’installation des jeunes.

 

A. C.: Dès 2018, j’avais alerté la représentation nationale et le Gouvernement sur le risque majeur de renationalisation de la politique agricole européenne dans un rapport d’information intitulé « Une agriculture durable pour l’Union européenne : la PAC de la dernière chance. » Malgré tous les propos qui se veulent rassurants de la Commission, des ministres et chefs d’Etat européens, je crois que nous y sommes. Nous entrons dans l’ère d’une PAC la carte, une PAC molle, où les États membres cibleront les actions et filières pour les rendre plus compétitives au détriment des autres États membres. C’est extrêmement dangereux. Et les plans stratégiques nationaux ne feront qu’attiser la mise en concurrence des agricultures et des systèmes agricoles européens… pour le plus grand bonheur des marchés. Je l’ai donc dit très directement au Ministre il y a quelques jours en séance à l’Assemblée nationale, même si cela ne lui a pas forcément plu : avec cette PAC sans ambition et sans ligne commune, le PSN français essaie de ne fâcher personne et de tirer parti des outils de financement offerts. Il entretiendra donc des logiques de saupoudrage sur les différentes productions, sans effet de levier sur des réorientations indispensables que ce soit pour les systèmes de grandes cultures ou herbagers. Par ailleurs, je regrette que ce PSN ne s’attaque pas frontalement aux inégalités de traitement dans les soutiens, avec un effort de redistribution et de plafonnement au service du maintien des actifs et des fermes

A suivre demain sur RC ...

Publié le 15 mars 2022 par André Chassaigne

Propos recueillis par Vincent Roy

Article publié et à retrouver dans le journal La Terre - Mars - Avril - Mai 2022

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