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 IL EST DES GENS QUI SE SONT BATTUS UNE JOURNÉE, ET C’EST BIEN.

               IL Y EN A D’AUTRES QUI SE SONT BATTUS DES ANNÉES, ET C’EST MIEUX.

ET PUIS, IL Y A CEUX QUI SE SONT BATTUS TOUTE LEUR VIE, ET CEUX-LÀ SONT INDISPENSABLES. 

                                                                         

Bertolt Brecht

 

Tu n’étais pas Johnny, Aimée, tu n’étais pas Belmondo.

Il n’y aura pas d’obsèques nationales, pas de drapeau bleu-blanc-rouge autour de ton cercueil ni d’honneurs militaires. Les médias ne se mobiliseront pas pour accompagner ton départ. D’ailleurs, ils n’ont toujours pas appris la mort d’Henri Krasucki ni celle de Georges Séguy. On n’entendra pas ruisseler les compliments convenus et les confidences qui permettent à leurs auteurs de se mettre en valeur.

Mais tant mieux, Aimée !  Pour te saluer, pour t’accompagner une dernière fois, il y aura l’affection et la fraternité de tous tes camarades et bien au-delà, de toutes celles et ceux qui ont pu apprécier depuis si longtemps tes engagements et ta générosité.

J’ai mis des années, Aimée, avant de connaître ton nom de famille, et je ne crois pas avoir été le seul dans ce cas. C’est de ta faute, tu étais une institution : on allait voir Aimée à la FD, il fallait appeler Aimée, Aimée avait téléphoné pour dire que les tracts étaient prêts, ou les affiches, Aimée en avait marre qu’on laisse ouverte la porte de fer de la FD et que la pagaille règne lorsque des camarades mélangeaient toutes les affiches en se servant… Aimée…  Aimée était l’âme de la Fédération, on aurait pu croire qu’elle vivait dans ses locaux et il n’était pas un problème dont elle n’ait eu la solution. Mais croire que, son travail terminé, elle avait fini sa journée serait une erreur. Car il ne s'arrêtait pas à la fermeture des portes du bâtiment. À peine sortie, Aimée redevenait la militante de la section de Sorgues dont elle était une cheville ouvrière.

Nombre de camarades d’autres sections la connaissaient parce qu’il était impossible de ne pas l’avoir vue dans les manifestations, dans les assemblées de section, les meetings, mais aussi derrière les fourneaux et les friteuses de la Fête de La Marseillaise ou de L’Humanité, et, quitte à surprendre, je dirai que de cette image d’une militante aux formes généreuses, le front ruisselant de sueur, secouant une bassine à frites, comme insouciante de la fatigue et des odeurs d’huile bouillante, je garderai toujours un souvenir ému.

Car Aimée était aussi une dirigeante communiste, au cas où son titre de secrétaire aurait pu faire croire qu’elle n’était qu’une simple militante (ce qui n’aurait pas été rien), et sa conception de la politique c’était qu’aucune tâche, fût-ce la plus humble, n’était indigne d’un militant. Alors Aimée distribuait des tracts, collait des affiches, s’affairait par des températures caniculaires, au milieu des fumées et des vapeurs à servir l’aïoli, le porcelet ou la daube, à la Fête de La Marseillaise ou à La Fête de l’Huma. C’était son sauna, son hammam à elle, et ça rapportait au Parti.

Le Parti, avec un grand P. Pendant des décennies, en France, lorsqu’on disait Le Parti, tout le monde comprenait qu’il s’agissait du Parti communiste. Aimée était de celles et ceux dont le militantisme avait aussi pour but qu’un jour ce soit de nouveau le cas. Simple, dévouée, franche, généreuse, avec une gouaille qui n’arrivait pas toujours à masquer sa profonde sensibilité, elle était le sel de la terre et incarnait ce que le communisme a de meilleur. L’honnêteté, le courage, la pugnacité, la capacité d’encaisser et de se relever, et cette force qui pousse à être du côté des petits, des obscurs, de ceux qui ne savent pas ce que signifie le mot abondance et n’ont pas dû y renoncer. Le mot peuple a été mis à toutes les sauces depuis quelques années, et pas seulement du côté de l’extrême-droite, mais Aimée, sans aucun doute, appartenait à ce peuple qui fit 1793, 1848 et 1871, puis 1936, 1945 et 1968.

Un soir, à la Fête de l’Huma, alors qu’harassée elle se préparait à aller se coucher, Aimée m’a confié qu’elle croyait en Dieu. Après tout, depuis les années trente, le Parti, avec Maurice Thorez, tendait la main aux travailleurs chrétiens. En y repensant, et, malgré mon agnosticisme convaincu, j’ai la conviction que, chez elle, il n’y avait aucune contradiction dans cette double appartenance, si  je peux m’exprimer ainsi. Et qu’elle avait conjugué les aspirations les plus nobles de sa religion et celles de son Parti. Et avant tout, cette propension au don de soi, qui en faisait une de ces femmes du peuple que peignait Victor Hugo et que l’on retrouve dans Les Misérables comme dans ses poésies, une « viro major  », une femme « plus grande qu’un homme », comme l’avait écrit le poète de Louise Michel, qu’il admirait.

Je n’ai pas envie d’écrire Adieu, Aimée, parce que, une fois encore, les communistes se préparent à affronter des vents tumultueux, à lutter pied à pied pour mettre en échec une politique sociale effroyable et le développement de théories immondes, parce que nous ne serons jamais de trop dans les usines, les écoles, les hôpitaux, la rue et que nous savons que tu seras là, près de nous, avec nous, en tête de cortège.

Hugo, toujours lui, nous l’a appris : « Les morts sont des vivants mêlés à nos combats ».

Alors « au revoir, Aimée. Au revoir, camarade… ».


              Roger Martin

AU REVOIR, AIMÉE !  Par Roger Martin
AU REVOIR, AIMÉE !  Par Roger Martin

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Les obsèques d'Aimée auront lieu  MARDI 30 AOÛT. La cérémonie religieuse aura lieu à 9h40 à l’église de Sorgues, puis à 11h au crématorium d’Orange où le Parti lui rendra hommage. Mercredi 31 août, entre 14h et 15h les cendres seront déposées au caveau familial au cimetière de Sorgues.    

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