C’est un devoir pénible que de publier l’article qui va suivre mais on connaît la phrase célèbre de Jaurès : « Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire ».
La décision de le publier a été prise par le bureau de la section Oswald Calvetti. Cependant, j’ai tenu à le signer, parce j’ai suivi cette affaire depuis sa naissance, que j’ai recueilli le témoignage de deux camarades de notre section et que, d’autre part, j’avais retiré moi-même des impressions négatives lors du Congrès d’Avignon de la FNDIRP (Fédération des Déportés, Internés, Résistants, Patriotes, fondée par Marcel Paul et le lieutenant-colonel Henri Manhès) auquel j’avais été invité à intervenir, sur la personnalité d’une des personnes mises en cause.
Les lectrices et lecteurs de Rouge Cerise trouveront ci-après la longue lettre adressée par notre camarade Jean Villeret, ancien président de cette Fédération peu de temps avant sa mort.
Comme on pourra le constater, Jean Villeret, comme avant lui Walter Bassan, vilipendé par ceux-là-mêmes qui l’avaient mis sur la touche et le calomniaient après s’être servi de lui et de son glorieux passé, a vu ses dernières années assombries par la transformation de l’association à laquelle il avait consacré depuis 1945 toute son énergie, toute sa passion désintéressée.
Il nous a semblé que sa mémoire et celles de nombreux militants de la FNDIRP méritaient que quelques vérités soient rappelées.
J’ajouterai que, jeune militant communiste nommé professeur en Lorraine, j’avais découvert la Fédération au contact de deux camarades, l’infatigable Françoise Gérard, déportée à Ravensbrück et Gilbert Schwartz, un des piliers de la Résistance à Buchenwald, dont je n’ai jamais oublié le courage, la force morale et l’engagement contre la Bête immonde, dont j’avais dressé le portrait dans mon ouvrage Dernier Convoi pour Buchenwald.
Je ne rentrerai pas dans les détails de la tragédie qui a vu une association exemplaire et au rôle plus que salutaire se transformer en un véritable ring où tous les coups semblaient permis, puisqu’on en aura une idée précise à la lecture de la lettre de Jean Villeret.
Simplement, il faut rappeler quelques faits. En quelques années, au fur et à mesure que disparaissaient les derniers déportés, ils ont été remplacés par des nouveaux venus, ce qui était inévitable, mais dont un certain nombre n’avaient plus de lien direct (fils, filles, petits-fils, petites filles, parents de déportés) avec la déportation. Ce qui n’empêchait pas chez la plupart la sincérité et la volonté de faire perdurer la mémoire des camps. Néanmoins, certains faits regrettables n’ont pas tardé à se produire. Volonté de s’emparer des postes de direction, dans une valse de fonctions, le Président actuel ayant par exemple été Trésorier général-adjoint, fonction retirée par le Bureau exécutif mais invalidée par le Conseil d’Administration, puis élu Trésorier général lors d’un conseil d’administration quelques mois plus tard, faisant fonction de directeur de publication délégué, co-directeur du personnel, avant de prendre la tête d’un mouvement qui avait perdu des centaines d’adhérent-e-s, voire des associations départementales entières, parmi lesquelles celle de Moselle, une des plus importantes, dont le Secrétaire, Hubert Siebenschuh, Trésorier national démissionnaire, s’était indigné de voir son adjoint manœuvrer et prendre des décisions qui n’étaient pas de son ressort. D’autres membres élus, ici et là, comme Marie-Josette Mariaud, ex-Secrétaire générale adjointe, Alexandra Rollet, ex-vice-présidente, ou Gérard Semme, militant dévoué et très actif, s’étaient scandalisés d’être mis au pied du mur et d’apprendre des décisions auxquelles ils auraient dû être associés, prises dans l’opacité entre deux ou trois personnes. Embauche controversée par exemple, par le Trésorier général adjoint, alors qu’il n’était pas habilité à cette procédure, d’une femme sous le coup d’une condamnation, conjointement avec son père, pour abus de confiance et escroquerie aggravée, contrat de travail signé en pleine connaissance de cause, puis les responsables qui allèrent même, alors que le licenciement pour faute grave s’imposait, organiser à la sauvette un licenciement négocié avec versement d’une indemnité d’au moins 12 500 euros. Au même moment, le rédacteur en chef du Patriote Résistant était, lui, limogé dans des conditions indignes, pour « faute grave » et donc sans indemnités, comme le révélait, le 8 mai 2022, le syndicat SNJ-CGT, dénonçant une mesure aussi scandaleuse qu’arbitraire et « un licenciement dont la brutalité est une insulte aux valeurs défendue par la FNDIRP », cependant que la Secrétaire générale s’en prenait au Président en exercice, Jean Villeret, en lui reprochant « de prendre le parti d’un salarié licencié pour faute grave contre les intérêts de la Fédération ».
La création d’un Collectif de membres élu-e-s, qui regroupa rapidement nombre d’adhérent-e-s qui exigeaient des explications fut alors à l’origine d’un déferlement d’épithètes injurieuses, voire calomniatrices, et de l’exclusion de la vice-Présidente, fille et petite-fille de résistants déportés, dont chacun soulignait deux ans plus tôt la compétence, le dévouement, le savoir-faire (réalisation d’un documentaire, création d’un site de haute qualité, à ses frais, élaboration et réalisation d’une exposition itinérante, initiatives pour ne pas borner l’activité à la présence aux cérémonie) et, enfin, une plainte où il lui était réclamé 40 000 euros pour diffamation, déposée par deux dirigeants et la FNDIRP. Autant d’attaques qui permettaient d’éviter de répondre à des questions essentielles : comment avait été recrutée l’escroc récidiviste, comment justifier une dépense de 60 000 mille euros en déplacements et hébergements y compris pendant la période du Covid, où, forcément, toute l’activité était ralentie, l’absence de démocratie, les décisions prise en catimini ( le refus que le Trésorier-adjoint devienne Trésorier national voté et remis en cause, au mépris des statuts, par une réunion dès le lendemain), les attaques ad hominem, s’apparentant souvent à une véritable chasse aux sorcières et surtout la fonte plus qu’inquiétante des effectifs avec, entre autres, la démission de sections entières. Des actes et des témoignages de soutien envers le collectif ont alors émergé à l’échelon départemental, tel celui de Gérard Semme, militant très actif et très dévoué, bien connu par ailleurs pour son combat à la tête de l’Association CAPER ( Comité Amiante Prévenir et Réparer) qui fut pris à partie en présence de la Secrétaire générale, ou celui de Jean-Claude Troussel, qui se vit retirer sa carte de membre et sa charge de porte-drapeau pour avoir osé prendre la défense du Président en titre et des membres du Collectif.
Comble sans doute de l’hypocrisie, une parodie de conciliation où la direction mise en place a osé parler de « main tendue » dans une convocation où, pour annoncer une « conciliation », on parlait à propos du collectif de « collectif autoproclamé », d’ « allégations », de « motivation à déstabiliser la Fédération », de « situation délétère générée par l’attitude et les écrits du Collectif ». Une « main tendue » qui n’était rien d’autre qu’un poing brandi.
Aujourd’hui, dégoûté-e-s, blessé-e-s, des dizaines de militant-e-s qui faisaient vivre la Fédération ont été mises sur la touche, ont été écartées ou ont démissionné après des années, voire des décennies, d’implication désintéressée et de dévouement.
Certes, la plainte pour calomnie portée contre l’ex-vice-Présidente a été rejetée par le Tribunal Judiciaire de Paris le 22 novembre 2023, mais, in fine, comment ne pas être atterré de la transformation d’un outil capital pour la mémoire et la lutte contre les idées nauséabondes de l’extrême-droite à un moment où partout en Europe, et de plus en plus en France, le ventre est encore fécond d’où a surgi la Bête immonde ?
LETTRE OUVERTE D'UN RÉSISTANT DÉPORTÉ (09/08/2023)
Sur Jean Villeret, on lira avec profit les articles publiés dans L’Humanité le 27 juillet 2023 :
« Résistance : Jean Villeret, Passeur de mémoire », à l’occasion de la sortie du livre « Un jour nos voix se tairont », recueil de témoignages retransmis par Julien Le Gros, le rédacteur en chef du journal Le Patriote Résistant licencié en 2022,
et le 22 novembre 2023, l’article nécrologique rédigé par Pierre Chaillan : « Jean Villeret, l’ancien déporté et résistant est mort à l’âge de 100 ans ».