Je n’ai rien contre Kendgi Girac.
J’avoue même que son histoire est triste, mais, après tout, elle n’est qu’un fait-divers parmi tant d’autres, dont j’ai du mal à comprendre pourquoi il a occupé les unes de trop de journaux, et pas seulement Gala, Oups et autres Paris-Match, sans compter les radios et les télévisions, pour ne rien dire d’Internet. À moins que…
À moins qu’en cette période où les médias ne veulent voir les élections qui se présentent qu’à travers le prisme du buzz et d’une sorte de duel entre la droite macroniste et l’extrême-droite, Hayer et Bardella, que viendrait troubler la candidature de Glucksman, il soit toujours capital de masquer les graves problèmes auxquels les travailleurs français comme étrangers, sont affrontés, les augmentations des tarifs du gaz et surtout de l’électricité, le renforcement des mesures antisociales , la perte du pouvoir d’achat, de l’autonomie énergétique nationale, le dérèglement climatique, sans compter les questions de la guerre en Ukraine, à Gaza, et aussi, passées sous silence, les massacres au Yémen ou dans maints autres pays, et primordial d’amuser la galerie et de détourner l’expression du mécontentement.
Mais alors, que recouvre ce nombre de 738 dans le titre de cette chronique ?
C’est le nombre de morts au travail en 2022. Pour 2023, on n’a pas encore les chiffres officiels, mais ce que l’on sait, c’est qu’en 2024, avec les travaux pour des Jeux Olympiques controversés, les résultats seront, une nouvelle fois, à la hausse.
738 morts, chez les seuls travailleurs du privé, ne tenant pas compte des suicides, des maladies professionnelles, des cancers, pas plus que des catégories non comptabilisées, fonctionnaires, agriculteurs et travailleurs indépendants.
2 morts par jour, dont celui d’Amara Dioumany, ouvrier malien percuté par un camion qui ne disposait ni d’un bip sonore d’alerte ni de caméra de recul sur le chantier énorme de la construction d’un bassin à Austerlitz, dépourvu également d’un « homme trafic » indispensable vu la taille du chantier.
On l’a constaté, pour le gouvernement macroniste – mais pour ceux qui l’ont précédé le bilan était le même – comme pour le grand patronat, « la vie d’un entrepreneur est souvent plus dure que celle d’un salarié ». Alors la casse systématique, via les atteintes sans cesse multipliées au droit du travail et le recul des dispositions permettant d’éviter les drames, conduit inévitablement à ce qu’un prof d’histoire, Matthieu Lépine, a pu appeler une « hécatombe invisible » dans le blog qui recense quotidiennement les effets de tous les dérèglements et l’absence de mesures de sécurité.
On comprendra que les drames individuels, la mort de la princesse Diana hier ou le suicide au chantage de Kendji Girac aujourd’hui, sont une des multiples façons, pour le grand capital et ses séides, d’occuper un terrain privilégié, celui de l’écran de fumée ou celui de l’arbre qui cache la forêt.
Mais la réalité est là, sinistre, criminelle.
Est-ce ainsi que les hommes vivent, demandait Aragon ?
En tout cas, c’est ainsi, que tous les jours, des femmes et des hommes meurent.
On me pardonnera une remarque : combien de candidats aux prochaines européenne font, même pour seulement l’effleurer, de ces morts au travail un sujet de leur campagne ? J’ai eu beau chercher, je n’en ai trouvé qu’un. Léon Deffontaines. Il est vrai qu’il ne se cache pas d’être militant d’un parti qui a toujours fait de cette question essentielle une priorité.
Le Parti communiste.
Roger Martin