Cause commune n° 25 • septembre/octobre 2021
Certains proposent la création d’une sécurité sociale de l’alimentation. Nous comprenons le souci et les objectifs des promoteurs de cette idée.
Comme l’écrit le docteur Michèle Leflon dans Les Cahiers de santé publique et de protection sociale, n° 38 : « L’analyse conduisant à ce projet ne peut être que partagée : les revenus insuffisants de trop d’agriculteurs, l’enjeu environnemental et la difficulté de nombreuses familles à bien se nourrir. On ne peut que souscrire aussi à l’idée qu’il faut une politique universelle et pas seulement des mesures pour les “pauvres”, qu’un processus démocratique est nécessaire pour une vision globale permettant de régler les contradictions inhérentes aux droits des agriculteurs, aux impératifs environnementaux et à l’aspiration à une nourriture saine pour toutes et tous ».
« Une nouvelle qualité des cantines scolaires et des restaurants d’entreprise permettrait à la fois de répondre à des besoins qualitatifs et d’aller dans le sens des évolutions écologiques nécessaires (circuits courts, productions locales, etc.).»
Pour autant, cette proposition soulève plusieurs questions. Le financement reposerait sur la cotisation salariale. Deux critiques au moins peuvent être apportées à ce projet : il faut rappeler que le but de la Sécurité sociale est d’assurer des moyens d’existence dans tous les cas où les personnes sont incapables de se les procurer par le travail. Les revenus de remplacement sont là pour permettre, entre autres, l’alimentation, à ceux qui ne peuvent travailler. Donner une carte Vitale de l’alimentation à tous change le sens de la Sécurité sociale.
Se pose la question des rapports des agriculteurs avec les banques, avec les entreprises de production d’intrants ou de transformation et de commercialisation des produits, qui n’est pas abordée. La transformation capitalistique de ces entreprises est à la fois un élément majeur des atteintes environnementales, de la dégradation de la qualité des aliments et une forme déguisée d’exploitation du travail des agriculteurs.
D’autres pistes nous paraissent plus intéressantes pour résoudre les questions posées :
• une augmentation générale des salaires (et des revenus de remplacement) permettant à tous de consacrer une part plus importante à l’alimentation et donc d’assurer des revenus décents aux agriculteurs ;
• des lois contraignantes sur la distribution comme l’intégration de la rémunération des paysans dans la définition législative du coût de production et l’interdiction d’achat de produits agricoles en deçà des coûts de production en France ;
• le développement de véritables services publics de l’environnement, de l’agriculture, de l’alimentation, de la recherche agronomique…
La sécurité sociale alimentaire, en négligeant les rapports de production, se place en dehors de la réalité de la lutte des classes et du rapport capital/travail. Elle fait rêver mais la gravité de la situation actuelle oblige à partir du réel : un capitalisme certes en grande difficulté, mais qui n’en est que plus agressif.
Michel Limousin
médecin, membre de la commission Santé du PCF.