LE CŒUR ET LA PIERRE
Vous connaissez cette histoire :
Un enfant regarde la statue d’un cheval et demande à son père :
« Papa, comment il a fait le sculpteur pour savoir qu’il y avait un cheval caché dans la pierre ? »
Mon histoire à moi ?
Je m’appelle Pierre.
Et ça ils ne pourront pas me l’enlever.
je suis né sous le signe de la pierre.
A 10 ans mon sculpteur de père m’a appris à manier la massette et le ciseau,
et à tenir le fusain pour tracer une volute du 16e…
Il m’a appris aussi à caresser la pierre avant de l’entamer, à sentir son grain, à deviner les fêlures prêtes à la faire éclater.
Et avec ces deux mains moi aussi je suis allé chercher ce qui « se cache » dans les blocs de calcaire, de marbre, de grès ou de granit .
Depuis un demi-siècle j’ai vécu sur des échafaudages, et entre terre et ciel à petits coups de maillet j’ai refait une beauté à des gargouilles de cathédrale , des sphinges, des gorgones édentées,
des cariatides fatiguées, des atalantes…
ET ça par tous les temps, qu’il neige qu’il vente où qu’il gèle à pierre fendre.
Puis les temps ont changé.
Mon père s’en est allé… « sculpter les étoiles » et je me suis retrouvé seul à tenir le burin et l’entreprise. J’ai tenu bon.
Une entreprise née à la libération, une entreprise de compagnons, une entreprise portant le nom de mon père, une entreprise de renom.
Mais une entreprise d’artisans …
Une entreprise qui n’a pas survécu aux marchés raflés par les grands groupes du béton et de la pierre industrielle.
Une entreprise menacée puis étranglée puis absorbée.
Ils sont arrivés avec leurs conseillers, leurs relations, leur surface financière., leur fonds de roulement.
Ils ont essayé de garder le nom de mon père, ç’était bon pour la com… mais ça j’ai dit non.
Puis ils ont dégraissé, restructuré, éliminé les compagnons en premier, moi en dernier.
Avant de partir j’ai juste eu le temps de sauver des statues de mon père.
Je les ai retrouvées dans la benne à ordures.
Paul FRUCTUS
<<Je dois préciser que cette parole est extraite d’une commande d’écriture théâtrale qui m’avait été faite par une association de comités d’entreprises (“signes en fête”) et notamment le CE des cheminots PACA.>> Paul Fructus