Comment arnaquer un arnaqueur (pour ne pas dire un voyou) ou comment dénoncer habilement le plus grand prédateur et par là-même la plus grande fortune de France, face à la misère pathétique d’un couple de ch’tis (l’action se déroule à Flixecourt, ça ne s’invente pas…) qui a tout perdu à cause de ce PDG sans vergogne et sans humanité ?
François Ruffin, journaliste et rédacteur en chef du journal Fakir, qui enquête depuis plusieurs années sur le multimilliardaire Bernard Arnault ayant demandé la nationalité belge en 2012, PDG de LVMH (qui confectionnait les vêtements de luxe Kenzo) va oser une comédie-documentaire sur fond de lutte des classes tout aussi désopilante qu’audacieuse et engagée : « Merci Patron ! ».
L’entrée du film par la dérision (Ruffin n’hésite pas à se faire passer pour un fan du milliardaire, affublé d’un horrible tee-shirt « I love Bernard » afin de sensibiliser les victimes du détestable Bernard Arnault) est tout à fait originale pour une comédie sociale qui, en fait, frôle le surréalisme. Le journaliste rencontre une déléguée CGT qui lui fait connaître les Klur, couple en grandes difficultés, au chômage (Merci Patron !), criblé de dettes et sans espoir (quel tableau !). Puis il devient même actionnaire de LVMH afin d’accéder à l’AG du groupe. Il briffe ensuite habilement les Klur et, grillé auprès des gardes du PDG, se fera passer pour le fils de la famille pour mieux piéger les « puissants » en les menaçant de révéler leur situation au grand jour . Et c’est là que, bien que vraie, l’histoire apparaît complètement « décalée » aux yeux ébahis du spectateur car les personnages surgissent là où on ne les attend pas. En effet, celui qui fait le sale boulot, l’intermédiaire de la transaction alors engagée, le médiateur désigné en quelque sorte, un ex-commissaire des RG (ça vous étonne ?), paraît encore plus faible qu’il n’imagine ses interlocuteurs fragiles. Les Klur sont plus malins que l’ennemi ne le pense (bien drivés certes par le journaliste mais n’ayant plus rien à perdre non plus). Enfin, le journaliste est à mon sens un chouia plus mégalo qu’il n’y veut paraître (il se « la pète un peu » à se filmer par exemple dans sa vie privée avec ses enfants), mais réussira cependant, grâce à ses talents de comédien et à son incroyable imagination, à duper le premier groupe de luxe du monde et son patron (délicieuses scènes de caméra cachée).
Je ne vous en dirai pas plus sur les faits si ce n’est que l’idée est assez géniale, l’histoire est si insolite (bien que vraie, j’insiste…) qu’elle ressemble parfois à une fable, le suspense est réel, les interprètes nous font vibrer (plus réalistes que le couple il n’y a pas, bien sûr, puisqu’ils jouent leur propre rôle sans honte ni pudeur) et le message incite à rêver. En effet, le dénouement est plein d’espoir, car nous assistons à la piteuse défaite (une fois n’est pas coutume) des puissants affublés de leur vraie valeur, une non-valeur, la malhonnêteté, face aux faibles capables de les tromper, coachés par le frondeur Ruffin qui ose tout avec humour et pugnacité. Notons aussi que les images du PDG sont de vraies images d’archives.
Le combat pour ce film a été long et difficile (plus de 2 ans), réalisé comme un acte de vengeance tout à fait réussi bien qu’improbable parfois. C’est pour cela qu’il mérite le détour, plus que la morale de l’histoire (je disais fable, … ça me rappelle La Fontaine) énoncée bêtement par le filc des RG lui-même : « Ce sont les minorités agissantes qui font tout ! ».
Alors, faites-le, ce détour par Utopia, précipitez-vous vers une des 10 salles en France qui diffuse le film (Ruffin est déjà interdit de paroles sur France Inter) et PRENEZ DU PLAISIR !
« C’est jouissif ! » nous ont dit, à mon amie et à moi-même, nos deux camarades hommes (et communistes, il va sans dire) en sortant de cette projection. Allez donc vérifier !!!
Martine Taxil