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Selon une étude réalisée par Jérôme Fourquet (*) et publiée en mars 2016, le sentiment d'isolement influencerait le vote Front national en milieu rural. Le directeur du Département Opinion et Stratégie d’entreprise de l’Ifop explique que l'absence de services ou de commerces dans certaines communes augmenterait le vote FN.

Quel est le lien entre le sentiment d’isolement ou d’abandon et le vote Front national ?

À la genèse de notre étude, on était arrivé à formuler l’hypothèse que le sentiment d’abandon, d’isolement ou de relégation qui pouvait exister dans un certain nombre de territoires ruraux était l’un des carburants du vote FN. Un ressort qui vient s’ajouter à d’autres, classiques sur le reste du territoire, comme le rapport à l’immigration, la question de l’insécurité, du rapport à l’Europe.

Dans ces communes rurales, est-ce que le fait qu’il n’y ait plus ou très peu de commerces ou de services de proximité n’influence pas un sentiment d’abandon ? Pour notre étude, on a utilisé une base de données recensant commune par commune la présence ou l’absence de différents commerces ou services. On a fait notre analyse sur la base des élections européennes de 2014.

Le premier enseignement est qu’il y a un lien statistique très clair : plus il y a de commerces et de services, moins le vote FN est fort. Et inversement, moins il y en a et plus le FN est élevé.

Le deuxième enseignement est que l’absence de service vient amplifier le vote mais ne le génère pas. Dans les communes rurales les mieux loties, il y a quand même un niveau moyen de vote FN aux alentours de 23 ou 24 %. Il y a donc des causes autres que celle-ci. Ce n’est qu’un facteur aggravant.

Troisième élément : c’est l’effet de groupe ou de nombre qui va jouer, plus que la présence ou l’absence d’un service en particulier. Ce qui compte, c’est qu’il y ait plusieurs commerces ou services ouverts dans le centre-bourg donnant un sentiment de vie. C’est un effet psychologique.

Vous parlez également du rôle plus symbolique de la Poste…

Il y a effectivement une exception : la Poste. Sa présence ou son absence fait bouger assez significativement le score moyen du FN. On pourrait s’en étonner, car le flux de courrier a considérablement diminué avec Internet. Aujourd’hui, au quotidien, une famille classique a plus besoin d’une boucherie-charcuterie ou d’une boulangerie que d’une Poste. Pourtant, l’impact électoral de sa présence change les choses.

Cela renvoie à l’imaginaire fort. L’incarnation concrète des services publics à la française ce n’est pas la gendarmerie, ni l’administration des impôts, mais la Poste. Elle se targue d’avoir un maillage comme nul autre pareil. Cela lui confère un rôle de symbole.

Soit il y a encore une Poste, et c’est l’indicateur clef que les services publics sont encore présents. Soit il n’y en a plus ou pas, et la perception n’est plus la même. Et, à mon avis, si on l’a retiré, c’est encore pire. La retirer, c’est faire changer la commune de statut. C’est qu’on a décidé à Paris ou à Rennes, pour l’Ouest, que cela ne valait plus le coup de maintenir une Poste ouverte. C’est le symbole absolu du retrait et de l’abandon des services publics. Pour pallier cela, l’administration postale, en lien avec des élus locaux, a développé le concept d’agence relais. C’est très parlant car on s’aperçoit que la présence d’un relais poste n’influe en aucune manière sur le vote FN. Pour les habitants de ces communes rurales, c’est du Canady Dry, cela ne trompe pas son monde.

La mutation de l’organisation du territoire participe de ce sentiment d’abandon. Le grand Ouest est-il autant touché que d’autres régions ?

Dans une carte nationale très schématique du vote FN, on retrouve des régions du nord-est de la France et la Provence-Alpes-Côte d’Azur. Dans l’Ouest, notamment en Bretagne, la pénétration du vote FN en zone rurale est plus contenue. On constate que la Bretagne a le plus faible taux de communes totalement dépourvues des services les plus basiques. L’organisation territoriale des zones rurales dans le grand Ouest, Bretagne en priorité mais aussi Pays-de-la-Loire, fait qu’il y a encore un tissu économique local. Cela entretient la vie de village, les solidarités. Le sentiment d’exclusion et d’abandon est beaucoup moins fort dans les communes de l’Ouest que dans les communes de l’Est de la France.

Les questions de ruralité sont souvent reléguées au second plan des promesses des hommes ou femmes politiques…

Les candidats, notamment pour des élections présidentielles, n’ont pas forcément la main sur ces questions. La Poste, c’est public, mais il y a des impératifs de rentabilité donc il faut quand même regarder quels bureaux peuvent être maintenus ou non. Concernant les commerces de proximité, on peut faire des plans, des exonérations fiscales, mais cela ne se fait pas en un claquement de doigts. Et puis, pour de multiples facteurs, les sociétés locales en Bretagne ou en Pays-de-la-Loire ne sont pas les mêmes qu’en Picardie ou en Champagne-Ardenne. Chaque collectif à son autonomie, sa vie propre. Il y a donc un territoire français inégalitaire face au vote FN.

Le Front national propose-t-il des mesures concrètes ?

Il est dans la dénonciation et dans l’énumération d’un constat. Rien que de faire cela, c’est dire : « On est conscient, on entend les souffrances et le mal-être qui existe dans ces endroits ». Marine Le Pen effectue sa rentrée politique, depuis plusieurs années, à Brachay (Haute-Marne), petit village qui a massivement voté pour elle. Elle en a fait le symbole de cette France des oubliés, des invisibles. Il n’y a pas besoin d’avoir plein de mesures derrière. Elle se revendique comme le porte-drapeau de tous ces gens.

Ces derniers ont remarqué qu’il y avait une candidate qui les intégrait dans son récit et qui donnait le sentiment de se soucier un peu de leur sort. C’est énorme. Dans beaucoup de nos entretiens, on nous dit : « C’est la seule qui parle de ce que je vis. » Alors que pour d’autres, non seulement il n’y a pas de mesures concrètes ou des choses assez techno, mais le sujet est très régulièrement survolé, voire non-évoqué, sauf au détour d’une visite en territoire rural. Cela sonne faux.

 

Propos recueillis par Baptiste LANGLOIS.

 

(*) Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à

l’Ifop.

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CONFÉRENCE GESTICULÉE

Présentée par les Amis d'Antoine Diouf - Albin Durand

Samedi 18 mars 14H30 Sarrians

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Tag(s) : #SE FORMER - COMPRENDRE
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