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Boris TASLITZKY

APRÈS L'ARRIVÉE DU DERNIER CONVOI DE FRANÇAIS (AOÛT 1944),
Camp de Buchenwald, 1944, crayon sur papier

 

 

LE PATRIOTE RESISTANT N°918-Avril 2017 (*)

Auteur de nombreux ouvrages sur l'extrême-droite et le Ku Klux Klan, Roger Martin a écrit Dernier convoi pour Buchenwald (1) au contact de rescapés. Il est invité au 40e congrès de la FNDIRP les 12 et 13 mai prochains. Il est aussi lauréat de nombreux prix, dont le Maurice Renault de la meilleure revue policière, le Sang d'Encre, le Thierry longuet et les Ancres Noires. Rencontre.

Roger Martin Dernier convoi pour Buchenwald évoque la résistance à Buchenwald. Je l'ai écrit parce que j'étais tombé sur un site Internet où Marcel Paul était traîné dans la boue, accusé d'être un tueur et de décider de la vie et de la mort des déportés, qu'il protégeait les commu­nistes et sacrifiait les autres... Mon oncle, socialiste, appartenait au réseau Brutus. Il a été arrêté pour faits de Résistance, envoyé à Buchenwald en 1944, où il a rencontré d'autres socialistes, devenant membre du Comité des intérêts français présidé par Marcel Paul et Henri Manhès. Après guerre, il a travaillé avec Deferre au Provençal. Il est devenu maire de Carry-le-Rouet et l'est resté trente ans. Entre-temps, il avait « glissé à droite », mais chaque fois que Marcel Paul était attaqué, avec d'autres, comme Dassault, il faisait partie des signataires qui s'élevaient pour le défendre. Il m'a toujours dit : « On ne touche pas à Marcel Paul! » Pour lui, la Résistance à Buchenwald faisait ce qu'il y avait à faire. En Meurthe-et-Moselle, j'ai bien connu Gilbert Schwartz, député-maire communiste de Jarny, lui aussi ancien de Buchenwald. À l'occasion de mon livre L'Affaire Peiper (2), j'ai rencontré un troisième déporté, Pierre Durand (3), qui avait révélé dans l'Humanité la présence de  ce crimi­nel de guerre nazi en France... Beaucoup de gens ne comprennent pas comment on résistait dans l'organisation concentration­naire. Les résistants organisaient la vie, la culture, la solidarité, ils pensaient à l'ave­nir avec la volonté de s'inscrire dans une histoire en train de se faire ? Actuellement, on est en train de réécrire l'histoire de cette période, comme on a déjà tenté de réécrire celle de la Révolution française et pour les mêmes raisons.

Dernier convoi pour Buchenwald a permis d'organiser beaucoup de débats. J'avais com­mencé à l'écrire dans l'inquiétude. Sur la Déportation, il y a des témoignages. Bien ou mal écrits, ils ont force de vérité. En re­vanche, jusqu'ici, les oeuvres de fiction ont péché soit par bons sentiments soit par une complaisance pour le sordide. Ainsi Les Bienveillantes m'ont donné un sentiment de malaise. Dans ce genre de livre, on sent une certaine fascination pour l'horreur... Il existe des militants de la mémoire qui portent un idéal. Pour écrire la suite et par­ler aux hommes de demain, il faudra trou­ver la force. La première chose est de faire en sorte que cette parole continue d'être por­tée. Les anciens déportés, les anciens résis­tants disparaissent. Leurs enfants n'épousent pas forcément leurs idées. Certains d'entre eux cependant ne renoncent pas à faire en­tendre leurs voix, et à rappeler leur combat. Les monstres, les fléaux contre lesquels nos anciens se sont battus n'ont pas disparu et se portent même très bien. Quand j'ai un coup de blues, je pense à mon ami Albert Cordola, torturé par la police française à Grenoble, jeté en prison à Saint-Étienne, Lyon et Eysses avant Dachau, où il est resté quatorze mois. Il a quatre-vingt-quinze ans. Jusqu'à l'an passé, il allait dans les lycées et collèges réciter La Rose et le Réséda devant des centaines de jeunes élèves. Je ne veux pas qu'il pense que nous allons baisser les bras.

Votre engagement dans le combat antifasciste remonte à loin ?
À dix ans, je lisais Mark Twain et Jack London. Je vivais à Aix-en-Provence, pre­mière ville de France à avoir vécu une «trian­gulaire» dans les années 1960, grâce à laquelle un maire socialiste a été élu à la faveur de la présence d'une liste d'extrême-droite. C'est l'une des villes où en 1965, Tixier-­Vignancour (4) a fait le plus de voix. Dans cette ville, beaucoup de rapatriés d'Algérie fortu­nés se sont installés, les pauvres, eux, allant à Marseille. Au lycée, l'extrême-droite était très présente. Il y avait Europe-action, la Fé­dération des étudiants nationalistes (FEN), la Fédération des étudiants rapatriés (FER). Les paras n'étaient pas loin, et la Légion tout près. De temps en temps, quand il y avait une manifestation, ils descendaient. Il y avait aussi l'Action française, celle des fascistes, pas celle d'Estienne d'Orves...
Quand j'avais 12 ans, le dimanche 24 juin 1962, un commando de six membres de l'OAS a assassiné mon voisin, Joseph Kubasiak, commandant par intérim de la base de Blida l'année précédente, au moment du Putsch d'Alger. Kubasiak avait refusé l'accès de la base aux paras, et le contingent avait résis­té au Putsch. Il avait contribué à un certain nombre d'arrestations et un colonel avait été momentanément destitué. Fin juin 1962, ils sont venus l'assassiner chez lui d'une façon abominable. J'ai entendu des hurlements terribles. J'en suis resté durablement mar­qué. D'autant que par la suite, sa famille s'est murée dans le silence alors que le chef du commando, Gilles Buscia, a écrit un livre dans lequel, entre autres joyeusetés antisé­mites et négationnistes, il rend hommage à la Gestapo de Marseille. Ce livre comporte un passage sur l'assassinat, absolument gla­çant. Il explique que Kubasiak devait être tué à l'arme blanche, mais qu'il se débat­tait en criant si fort qu'il l'avait abattu avec un pistolet. Buscia a aussi participé à deux tentatives d'assassinat contre Pompidou et de Gaulle. Avec ses complices, il a été condamné par contumace. Les assassins sont partis en Espagne ou en Belgique, ils avaient leurs filières, et en 1968, ils étaient tous tranquilles. L'extraordinaire est que parmi eux, un certain sergent Baudry sera décoré de la Légion d'honneur par Michelle Alliot-Marie, qui ne connaissait vraisem­blablement pas cette partie de son passé ! Pendant 50 ans, les assassins ont écrit l'histoire. Sachant que dans le midi fleu­rissent les stèles en mémoire de membres de l'OAS, j'ai fini par écrire L'Honneur perdu du commandant K. Actuellement, le fils du commissaire Gavoury (6) se bat contre les stèles aux héros de l'OAS. Quand un maire laisse s'installer ce genre de monument, la mémoire des crimes a perdu. Mon antifas­cisme date de cette époque. À quatorze ans, je suis entré aux Jeunesses communistes en grande partie pour cette raison.

Et depuis près de vingt ans, l'extrême-droite refait surface?
On ne peut pas comparer cette période et aujourd'hui. Dans le Vaucluse, les des­cendants de rapatriés pèsent, avec en tête une revanche à prendre, se disant : « "ils" nous ont chassés d'Algérie, et maintenant, "ils" veulent nous chasser de France!» Cette rancoeur est exploitée par le Front National et la droite dans la veine de la « mission civilisatrice » de la colonisation française. Et l'extrême-droite est opposée à Maastricht. La région comporte beau­coup de viticulteurs, de maraîchers. Le Pen « père » est apparu à certains comme le meilleur propagandiste... Une autre catégorie d'électeurs provient du glisse­ment d'une petite et moyenne bourgeoisie qui comprend les commerçants des villes moyennes comme Cavaillon, Carpentras, Orange. Ces catégories sociales ont glissé de la droite dure à l'extrême-droite. Une qua­trième catégorie est constituée des couches populaires désorientées par le chômage, la pauvreté, la paupérisation. Le Vaucluse est le huitième département pour la précarité. Une grande partie de ceux qui se sentent sinistrés votaient à gauche. Maintenant, ou ils s'abstiennent, ou ils votent FN, ou encore pour la Ligue du Sud. On peut leur dire qu'ils votent contre leurs intérêts, que le FN a été fondé par d'anciens SS et d'an­ciens miliciens, ils nient tout ce qu'on es­saie de leur expliquer. Ils disent : « Marine, ce n'est pas pareil! »

Que représentent pour vous les mots « patriote » et « résistant » ?

Historiquement, la patrie est liée à la bataille de Valmy, à la défense du pays et de la Révolution en danger. Le mot « résistant » ne me pose pas de problème. « Patrie » ou « patriote » pouvaient en poser. Mais pour moi, ces mots, « Patrie » comme « Nation » ne doivent pas être abandonnés à nos enne­mis, ceux-là mêmes qui ont trahi sans vergogne. Aimer son pays, ce n'est pas honorer ses erreurs et ses crimes. On peut sans problème être patriote et inter­nationaliste, comme le proclamait Jaurès. J'aime mon pays. J'aurais pu le défendre. Il nous faut faire vivre ces mots en exal­tant ce que notre peuple a fait de mieux. Montaigne disait « peuple ondoyant et divers » pensant à ceux qui formaient le peuple de France, déjà terre d'accueil pour nombre d'exilés. Je pense aussi aux vers d'Aragon en 1943 dans Le musée Grévin :

« (...) Je vous salue, ma France aux yeux de tourterelle,
Jamais trop mon tourment, mon amour jamais trop.
Ma France, mon ancienne et nouvelle querelle,
Sol semé de héros, ciel plein de passereaux...
Je vous salue, ma France, où les vents se calmèrent!
Ma France de toujours, que la géographie Ouvre comme une paume aux souffles de la mer
Pour que l'oiseau du large y vienne et se confie.
Je vous salue, ma France, où l'oiseau de passage,
De Lille à Roncevaux, de Brest au Montcenis,
Pour la première fois a fait l'apprentissage De ce qu'il peut coûter d'abandonner un nid !
Patrie également à la colombe ou l'aigle, De l'audace et du chant doublement habitée!
Je vous salue, ma France, où les blés et les seigles
Mûrissent au soleil de la diversité... (...) »

Ce poème, où l'on combat « l'oiseau de passage » qui envahit le pays, mais où l'on accueille « l'oiseau du large » célèbre la tra­dition d'accueil, qui fait notre richesse ! Celle de la Main-d'oeuvre immigrée, par exemple. Leurs noms sur les plaques ont-ils une consonance lisse ? Cette richesse est une référence pour écrire une histoire porteuse d'avenir désirable.

 

PROPOS RECUEILLIS PAR HÉLÈNE AMBLARD

 

1) Éditions Le Cherche-Midi 2013.
2) Éditions Dagorno - 1994. Joachim Peiper, officier SS dans l'offensive des Ardennes, condamné à mort pour crimes de guerre par le tribunal américain de Dachau en 1946, libéré en 1956, mort dans l'incendie criminel de sa maison près de Vesoul en 1976.
3) Résistant aux côtés du colonel Fabien, auteur entre autres ouvrages de La Résistance des français à Buchenwald et Dora, 1991, Éditions Messidor - Le Temps des cerises.
4) Avocat, il a défendu de nombreux OAS dont le général Salan en 1962. Il fut aussi membre du PPF de Doriot, puis secrétaire général adjoint à l'information du gouvernement de Vichy entre 1940 et 1941 donc responsable de la censure, notamment de La Grande Illusion de Jean Renoir pour « incitation à la haine contre l'Allemagne ». Candidat de l'extrême-droite en 1965, il a pour directeur de campagne Jean-Marie Le Pen.
5) Éditions Oslo 2013 - Collection Osaka.
6) Premier fonctionnaire tué par l'OAS à Alger, le 31 mai 1961.

 

(*) Le Patriote Résistant est la publication mensuelle de la FNDIRP.
Créé en 1946, il traite de tous les aspects de la déportation et de l’internement, historiques et humains. Il fournit de nombreux témoignages, publie des interviews, des critiques d’ouvrages, tout en œuvrant à la défense des valeurs de la Résistance et de déportation. Le journal propose des réflexions sur la transmission de cette mémoire.

 

Tag(s) : #SE FORMER - COMPRENDRE, #EXTREME DROITE
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