
La chronique économique de Pierre Ivorra.
Mercredi, 18 Avril, 2018 L'Humanité
On mesure mal la puissance de frappe de la Banque centrale européenne (BCE). Quand la crise financière a éclaté en 2007-2008, provoquant une grave récession économique, les banques centrales ont massivement injecté de la monnaie dans les marchés financiers, diminué sensiblement leurs taux d’intérêt à court terme. Il s’agissait à la fois d’alimenter des banques commerciales paralysées et de faciliter la reprise de l’activité en rendant le crédit très peu coûteux. La banque centrale américaine a ainsi baissé son taux directeur de 5,2 à 0 %. La BCE est allée dans ce sens mais les mesures qu’elle a prises se sont révélées insuffisantes, elles n’ont pas permis de relancer la croissance en Europe.
Elle a dès lors sauté à pieds joints sur certaines des dispositions du traité de Maastricht et poussé le système financier européen vers des territoires inconnus en mettant en œuvre une série de mesures dites non conventionnelles. Elle a d’abord racheté massivement des titres de dette d’État sur le marché secondaire, afin de tirer vers le bas les taux d’intérêt et les coûts de financement, ce qui était une certaine façon de donner un coup de pouce aux politiques publiques. À partir de janvier 2015, elle a en plus injecté chaque mois 60 milliards d’euros de liquidités en rachetant des obligations d’État et également d’entreprises, prévoyant de déverser ainsi, jusqu’en septembre 2016, près de 1 200 milliards dans les économies des pays de la zone euro. En mars 2016, elle a même donné un coup d’accélérateur et décidé d’injecter 80 milliards d’euros chaque mois.
Cette politique de taux d’intérêt très faibles, peu rémunérateurs pour les investisseurs privés, a eu un effet très pervers. Elle a poussé ces derniers à se reporter vers le marché des actions et les activités spéculatives plus profitables. On a assisté dès lors à une remontée rapide des marchés boursiers et à une accélération des opérations financières. La croissance économique est repartie enfin en Europe, mais est restée timide dans l’ensemble ; la BCE a alors envisagé de réduire ses aides exceptionnelles. La question qui se pose pour elle est de savoir comment revenir à la normale, tout en évitant une nouvelle crise financière, la remontée des taux des obligations, devenus plus rentables, risquant de provoquer un effondrement des marchés d’actions.
À travers ces péripéties, on peut mesurer ce que cette « puissance de feu » de la BCE pourrait permettre si elle était mise au service des peuples plutôt qu’à la restauration de la rentabilité des capitaux dominants.
Pierre Ivorra
Journaliste économique