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Ce n’est ni l’ampleur des effectifs ni leur évolution qui distinguent la France des autres pays, mais le fait que les agents y sont protégés par la loi, dans le cadre d’un statut regardé comme la condition d’une administration neutre et intègre.

Anicet Le Pors

Le gouvernement a profité de la période des fêtes pour promulguer quelques décrets particulièrement réactionnaires comme   celui sur les demandeurs d'asile et ceux sur la réforme de la Fonction Publique.

Rouge Cerise présente ci-dessous 2 articles, l'un d'Anna Ky de janvier 2020  expliquant comment en 3 décrets Macron a dynamité le statut des fonctionnaires, l'autre d'Anicet Le Pors,  ancien ministre communiste de la Fonction Publique, écrit en avril 2018 et qui présente ce statut.

Privé, Public personne n'est épargné par les mesures réactionnaires du capital et de ses commis du gouvernement, raison de plus pour que, dès aujourd'hui, nous amplifions la mobilisation et la grève comme nous y invite l'intersyndicale.  

Public, privé tous en grève! Tous dans l' action! Faisons du 9 janvier l'outil de notre victoire!

RC

Rupture conventionnelle : ces trois nouveaux décrets qui liquident le statut de fonctionnaire!

 

Un article d'Anna Ky sur le site révolution permanente

 

Alors que les fonctionnaires et en premier lieu les enseignants sont massivement mobilisés contre la réforme des retraites, des décrets viennent détruire la fonction publique en ce début 2020 : rupture conventionnelle, abrogation des indemnités de départ volontaire et ouverture de postes de direction aux non-fonctionnaires.

 

Illustration choisie par RC

 

 

La loi de « transformation du service public » adoptée en août 2019 est une véritable entreprise de destruction du service public. Alors que des pans entiers de la fonction public sont mobilisés depuis le 5 décembre contre la réforme des retraites, et en première ligne les enseignants qui dénoncent également des conditions de travail qui se dégradent considérablement, trois décrets issus de cette loi viennent d’entrer en vigueur.

 

Si dans ce contexte de polarisation croissante le gouvernement avait cherché à éviter de mettre de l’huile sur le feu en repoussant l’entrée en vigueur de la réforme des APL, il signe une véritable déclaration de guerre avec ces nouveaux décrets. En effet, depuis le 1er janvier, les administrations de l’État, des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers peuvent désormais avoir recours à des « ruptures conventionnelles », jusqu’alors uniquement en vigueur dans le privé. Une phase de test qui court jusqu’au 31 décembre 2025 et qui ouvre la possibilité de licenciements massifs dans la fonction publique, sous couvert de rupture de contrat « à l’amiable ».

 

Dans la théorie, la rupture conventionnelle permet au salarié et son employeur de convenir, d’un commun accord, d’une rupture du contrat de travail. Mais cette définition part d’un principe d’égalité entre patron et employé, alors que dans les faits, évidemment, il n’en est rien. Cette nouvelle arme dans l’arsenal des employeurs ouvre la voie à une pression et un harcèlement croissant sur les travailleurs de la fonction publique pour qu’ils « acceptent » ce type de rupture de contrat. La loi en elle-même attaque au cœur le statut de fonctionnaire, facilite l’externalisation, la privatisation et les licenciements.

 

Ces mesures, nouvellement en vigueur, réduisent aussi considérablement les indemnités de départ volontaire qui étaient envisageables dans les services en restructuration. Jusqu’alors, l’indemnité de départ volontaire était envisageable dès 5 ans d’ancienneté avec 12 mois de salaire brut et jusqu’à 26 mois de salaire brut pour les carrières allant au delà de 25 ans d’ancienneté. Avec la rupture conventionnelle, l’indemnité de rupture conventionnelle sera désormais de 25% de rémunération mensuelle brute par année d’ancienneté : autrement dit, avec 5 ans d’ancienneté, l’indemnité de rupture équivaudra à 1,25 mois de salaire brut ! Elle sera de plus plafonnée à maximum 24 mois de salaire brut pour les carrières au delà de 25 ans d’ancienneté.

 

L’ouverture des postes de direction à des non-fonctionnaires est une véritable provocation à l’encontre des travailleurs de la fonction publique. Le néo-management à la France Télécom s’insère par la force dans la fonction publique : les fonctionnaires pourront donc être gérés par des managers, n’ayant passé aucun concours, ni prêté allégeance au service public. Il s’agit d’une attaque en règle du statut de fonctionnaire, à l’heure où les enseignants mais aussi les travailleurs de l’hôpital, dénoncent des conditions de travail dramatiques et qui ne cessent de se dégrader.

 

Avec ces nouveaux décrets, Macron et le gouvernement ont clairement désigné leurs cibles, puisqu’on notera que les fonctionnaires dans les domaines régaliens, et en particulier les policiers, sont encore une fois épargnés par ces mesures. Cette attaque, après les vœux de Macron, est un nouveau signe que le gouvernement compte mener coûte que coûte l’agenda de ses contre-réformes.

 

Alors que les travailleurs de l’éducation nationale se sont massivement mobilisés aux côtés des grévistes de la RATP et de la SNCF depuis le 5 décembre, ces nouvelles attaques d’ampleur doivent être combattues au même titre que la réforme des retraites. Il s’agit de nouvelles mesures qui visent à niveler par le bas l’ensemble de nos conditions de travail, et d’une nouvelle preuve du mépris du gouvernement. Les prochains jours seront déterminants dans le conflit engagé contre Macron et son monde, et l’ensemble du monde du travail doit peser de toutes ses forces pour enfin mettre un coup d’arrêt à ce gouvernement des riches.

 

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Journal officiel du 1er janvier 2020 : 

Décrets d'application de la loi de "transformation" de la Fonction publique du 6 août 2019 sont parus dans le premier Journal officiel de la décennie, en pleine mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites !

➡ Rupture conventionnelle dans la Fonction publique

" Décret n° ‪2019-1593 du 31 décembre 2019 relatif à la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique. [...]
Entrée en vigueur : le décret entre en vigueur le 1er janvier 2020. [...]
La procédure de la rupture conventionnelle peut être engagée à l'initiative du fonctionnaire ou de l'administration, de l'autorité territoriale ou de l'établissement dont il relève."
https://www.legifrance.gouv.fr/…/2…/12/31/2019-1593/jo/texte

➡ Recrutement des cadres de l'État

En prime mais plus technique :
" Décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019 relatif aux emplois de direction de l'Etat "
https://www.legifrance.gouv.fr/…/2…/12/31/2019-1594/jo/texte

Ce décret concerne notamment l'administration du Ministère et des rectorats, et ouvre les emplois de direction de l'État aux non-fonctionnaires. Managers du privé, copains contournant les concours... soyez les bienvenus, servez-vous !

 

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L'intérêt général à la casse

Les fonctionnaires, voilà l'ennemi

Un article d'Anicet Le Pors dans le Monde Diplomatique

Propageant la plus grande confusion entre rentabilité à des fins particulières et efficacité au bénéfice de tous, le gouvernement français veut délégitimer un peu plus l’État social, qui fut pourtant gage d’émancipation pour de nombreuses générations. Après avoir multiplié les cadeaux fiscaux aux vrais privilégiés, il tente de dévier l’attention sur la fonction publique.

 

 

Début février, le premier ministre Édouard Philippe a livré les premières décisions du gouvernement concernant la fonction publique : plan de départs volontaires, recrutement accéléré de contractuels, rémunérations dites « au mérite », multiplication des indicateurs individuels de résultat… Il inaugurait ainsi une croisade contre les statuts : d’abord celui des cheminots, puis les autres, en particulier la pièce maîtresse du statut général des fonctionnaires, qui concerne quelque cinq millions et demi de salariés, soit 20 % de la population active.

 

Dans ce domaine comme dans les autres, le président Emmanuel Macron entend aller vite. Mandaté par les dominants — la finance internationale dont il émane, les cercles dirigeants de l’Union européenne, le patronat, la technocratie administrative, les flagorneurs du show-business, la quasi-totalité des médias, le jeune dirigeant sait que le temps ne travaille pas pour lui.

 

Durant la campagne pour l’élection présidentielle, M. Macron a jugé le statut des fonctionnaires « inapproprié » et prévu la suppression de 120 000 emplois. Il a stigmatisé les « insiders » (1), ceux qui se seraient construit un nid douillet à l’intérieur du « système » et dont les privilèges barreraient la route aux moins chanceux. Le 13 octobre 2017, le premier ministre s’est adressé aux ministres pour leur annoncer la création d’un Comité action publique 2022 (CAP 22) prévoyant « des transferts au secteur privé, voire des abandons de mission », et présenté comme la pièce centrale du chantier de réforme de l’État. La réforme du code du travail — priorité répondant aux vœux du Mouvement des entreprises de France (Medef) — a par ailleurs élevé le contrat et, plus spécifiquement, le contrat individuel d’entreprise au rang de référence sociale susceptible d’être généralisée à l’ensemble des salariés des secteurs privé et public.

 

Et, ce faisant, fourbi les armes qui permettront de s’attaquer directement aux statuts des personnels du secteur public, qui se situent dans la filiation de celui élaboré au lendemain de la Libération, puis en 1983. En rappeler la genèse éclaire la situation présente.

 

L’histoire de la fonction publique française révèle deux lignes de force : une conception autoritaire donnant la primauté au pouvoir hiérarchique, et une autre fondée sur la responsabilité du fonctionnaire, quelle que soit sa place dans la hiérarchie — la conception du fonctionnaire-citoyen. Adopté en 1944, le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) ne prévoyait pas de réforme spécifique dans ce domaine. Le général Charles de Gaulle souhaitait toutefois pouvoir s’appuyer sur une administration loyale et efficace. Sous l’impulsion de Michel Debré (2), chargé d’une mission dans ce domaine, un premier train de reformes est adopté par ordonnance le 9 octobre 1945. Elles donnent naissance à l’École nationale d’administration (ENA), à la direction de la fonction publique, aux corps interministériels des administrateurs civils et des secrétaires administratifs, au conseil permanent paritaire de l’administration civile ainsi qu’aux instituts d’études politiques (IEP).

 

Nommé ministre d’État chargé de la fonction publique le 21 novembre 1945, Maurice Thorez, secrétaire général du Parti communiste français (PCF), se heurte à plusieurs difficultés dans l’élaboration d’un statut propre. À commencer par les réserves de la Fédération générale des fonctionnaires (FGF-CGT), qui demeure campée sur sa revendication d’un « contrat collectif », associant l’idée de statut à celle de « carcan ». Jacques Pruja, l’un des dirigeants de la fédération, prendra toutefois le contre-pied de la position de son organisation, qu’il finira par convaincre. Par ailleurs, la Confédération générale du travail (CGT) et la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) — les deux seuls syndicats de l’époque — divergent sur le mode de représentation des syndicats.

 

Le premier projet de loi essuie de vives critiques, dont beaucoup s’articulent autour de la création d’un poste de secrétaire général de l’administration, suspectée de refléter une volonté de placer l’administration sous contrôle politique. Thorez transige sur ce point, mais tient bon sur le reste. Son entreprise se trouve encore contrariée par le rejet, le 5 mai 1946, d’un premier projet de Constitution, qui contraint à de nouvelles élections constituantes. Après la formation du gouvernement, Thorez — alors vice-président d’un conseil des ministres présidé par Georges Bidault — obtient que son projet soit discuté le 5 octobre à l’Assemblée. Il est adopté à l’unanimité, sans discussion générale, après seulement quatre heures de débat. Pour Thorez, la loi du 19 octobre 1946 constitue un premier pas vers la « libération » du fonctionnaire, « enfin considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative (3)  ».

 

Le statut alors créé ne concerne que les fonctionnaires de l’État, un effectif de 1 105 000 agents, dont seulement 47 % sont titulaires. Il instaure de nombreuses garanties en matière de rémunération, d’emploi, de carrière, de droit syndical, de protection sociale et de retraite. L’innovation la plus surprenante est la définition d’un « minimum vital » : « La somme en dessous de laquelle les besoins individuels et sociaux de la personne humaine considérés comme élémentaires et incompressibles ne peuvent plus être satisfaits » (article 32, alinéa 3). Cette mesure constitue la base d’une disposition prévoyant qu’aucun traitement de début de carrière ne soit inférieur à 120 % de ce minimum vital. Les agents des collectivités territoriales devront attendre la loi du 28 avril 1952 pour obtenir de nouvelles dispositions statutaires ; ceux des établissements hospitaliers, le décret-loi du 20 mai 1955.

 

Un statut qui a subi 225 modifications législatives en trente ans

Lors de l’avènement de la Ve République, l’ordonnance du 4 février 1959 abroge la loi du 19 octobre 1946, mais les dispositions essentielles du statut sont conservées. À la suite du mouvement social de 1968, les fonctionnaires bénéficient des retombées des événements (comme la reconnaissance de la section syndicale d’entreprise), avant que l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le 10 mai 1981, n’ouvre un nouveau chantier statutaire...

 

Ayant fait de la décentralisation l’une de ses priorités, Mitterrand avait chargé son ministre de l’intérieur et de la décentralisation, le maire de Marseille Gaston Defferre, d’élaborer un projet de loi sur le sujet. J’occupais alors le poste de ministre de la fonction publique, et la question des garanties statutaires à accorder aux personnels des collectivités territoriales m’opposa rapidement à la logique de Defferre. Il envisageait un simple renforcement des dispositions existantes ; je souhaitais au contraire une unification statutaire globale au niveau des garanties de carrière prévues pour les fonctionnaires de l’État.

 

Avant même l’arbitrage du premier ministre, Pierre Mauroy, j’intervins à l’Assemblée nationale, le 27 juillet 1981, en faveur de la « mise en place pour les personnels locaux d’un statut calqué sur celui de la fonction publique de l’État, c’est-à-dire sur le statut général des fonctionnaires ». On pouvait craindre la coexistence de deux types de fonction publique : celle de l’État, fondée sur le système de la carrière, et celle de la fonction publique territoriale, soumettant l’emploi aux aléas du métier, peu mobile et plus sensible aux pressions de toute nature. À terme, la seconde pouvait l’emporter sur la première, au préjudice de la neutralité de l’administration, des garanties des fonctionnaires, de la mobilité des effectifs et de l’efficacité du service public. M. Olivier Schrameck, alors conseiller technique de Gaston Defferre, radicalisera plus tard ma position, écrivant à mon sujet : « Jacobin de tempérament et tout particulièrement méfiant à l’égard des tentations clientélistes des élus, il était résolu à n’accorder à l’autonomie des collectivités locales que ce qui leur était constitutionnellement dû. » Après bien des péripéties, Mauroy arbitra en ce sens. « Ce compromis fut ainsi la traduction d’un rapport de forces », conclura M. Schrameck (4).

 

Le statut unifié fut inauguré par la loi du 13 juillet 1983 relative aux droits et obligations de tous les fonctionnaires, suivie de trois lois concernant respectivement la fonction publique de l’État, la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière, caractérisant un système « à trois versants ». Le nouveau statut intégra des droits qui ne s’y trouvaient pas (droit de grève, liberté d’opinion, capacité de négociation des organisations syndicales, garantie de mobilité, droit à la formation permanente, etc.) et étendit son champ d’application aux agents territoriaux et hospitaliers. Après quelques hésitations de certaines d’entre elles, les organisations syndicales soutinrent la réforme. Les associations d’élus se montrèrent réservées, voire hostiles, craignant que ce statut ne limite leurs prérogatives. Mais, au Parlement, l’opposition se découragea vite.

 

Au départ, François Mitterrand ne s’intéressait guère à ces questions. Il était beaucoup plus vigilant concernant les réformes administratives, craignant sans doute qu’on lui reproche de laisser un ministre communiste s’intéresser de trop près à l’appareil d’État. Dès la composition du gouvernement et ma nomination, il n’avait accepté qu’avec réserve que les attributions du ministre de la fonction publique soient étendues aux réformes administratives. Il multiplia ensuite les objections à nos propositions en la matière. Il ne pouvait cependant manquer de douter des réformes en cours après son « tournant libéral » de 1983. M. Jacques Fournier, alors secrétaire général du gouvernement, le raconte : « Le président s’interrogea à haute voix, le 29 mai 1985, sur l’utilité de l’ensemble législatif concernant le statut de la fonction publique. (...) Passait ce jour-là en conseil des ministres le projet de loi sur la fonction publique hospitalière, dernier volet de cet ensemble. Le commentaire de Mitterrand est en demi-teinte : “L’adoption de ce texte s’inscrit dans la logique de ce que nous avons fait. À mon sens, ce n’est pas ce que nous avons fait de mieux.” Il évoque une “rigidité qui peut devenir insupportable” et des “solutions discutables”. “On ne peut plus recruter un fossoyeur dans une commune sans procéder à un concours.” “Il est vrai que j’ai présidé moi-même à l’élaboration de ces lois. Peut-être n’ai-je pas été suffisamment informé. Tout ceci charge l’administration et conduit à la paralysie de l’État. Il reste que c’est la quatrième et la dernière partie d’un ensemble. Je ne suis pas sûr, en définitive, que ces lois aient longue vie” (5).  » C’était il y a trente-trois ans…

 

La séquence libérale étant ouverte, on aurait tort de s’étonner de l’obstination des partisans de la marchandisation de la vie publique et du détricotage des statuts législatifs ou réglementaires (et tout spécialement du statut général des fonctionnaires), soit sous la forme d’offensives brutales, soit par l’action de transformations souterraines plus insidieuses. Ainsi, la loi Galland du 13 juillet 1987 (sous le gouvernement de M. Jacques Chirac) changeait pour le symbole les corps des fonctionnaires territoriaux en cadres et rétablissait le système dit des « reçus-collés », soit la substitution, à l’issue d’un concours, de la liste des candidats admis par ordre alphabétique à la liste présentée par ordre du mérite dans la fonction publique territoriale. Elle nuisait à la comparabilité des fonctions publiques et, par là, à la mobilité des fonctionnaires, que le statut a érigée au rang de « garantie fondamentale » (article 14 du titre Ier du statut). Mais aussi : faux pas du Conseil d’État préconisant dans son rapport annuel de 2003 de faire du contrat une « source autonome de droit de la fonction publique ». Proclamation imprudente de M. Nicolas Sarkozy appelant en septembre 2007 à une « révolution culturelle » et déclarant son intention de promouvoir le « contrat de droit privé négocié de gré à gré », mais forcé d’y renoncer face à la crise financière de 2008, l’opinion reconnaissant que la France disposait d’un précieux atout anticrise dans l’existence d’un important secteur public, efficace « amortisseur social ».

 

Les attaques frontales ayant échoué, s’est développée une stratégie plus sournoise : d’une part, l’expansion du paradigme de l’entreprise privée dans le service public sous la forme du new public management (« nouvelle gestion publique ») ; d’autre part, un « mitage » du statut : 225 modifications législatives en trente ans, la plupart des dénaturations, démontrant, malgré tout, à la fois sa solidité et son adaptabilité.

 

La conception française du service public et la traduction juridique qu’en donne le statut général des fonctionnaires expriment une logique inacceptable aux yeux d’oligarchies qui s’efforcent de faire ruisseler leur idéologie libérale dans la société. Y compris lorsqu’elle se voit disqualifiée sur le plan théorique et contredite par le mouvement du monde.

 

La socialisation des financements apparaît irréversible

« On empêchera plutôt la Terre de tourner que l’homme de se socialiser », aurait déclaré Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), paléontologue et jésuite, homme de science et prophète (6). Il n’est au pouvoir d’aucun gouvernement d’inverser des tendances lourdes qui portent l’évolution des sociétés. Depuis la fin du Moyen Âge, on assiste à une sécularisation du pouvoir politique qui s’accompagne d’une autonomisation de l’appareil d’État et d’une expansion administrative constante. La socialisation des financements répondant à des besoins fondamentaux apparaît irréversible : en France, les prélèvements obligatoires ne dépassaient pas 15 % du produit intérieur brut (PIB) avant la première guerre mondiale ; ils s’élèvent désormais à 45 %. Il n’y avait pas plus de 200 000 agents de l’État au début du XXe siècle ; le secteur public (administrations, entreprises, organismes publics) approche les sept millions de salariés en 2018.

 

Pour autant, la France n’est pas « suradministrée ». Elle se situe au contraire dans le haut de la moyenne des pays développés, comme l’a démontré une récente étude de France Stratégie : on y compte 89 agents publics pour 1 000 habitants, loin derrière les pays scandinaves, derrière le Canada et juste devant le Royaume-Uni (7). Ce n’est ni l’ampleur des effectifs ni leur évolution qui distinguent la France des autres pays, mais le fait que les agents y sont protégés par la loi, dans le cadre d’un statut regardé comme la condition d’une administration neutre et intègre.

 

Les libéraux ont cru pouvoir annoncer la victoire définitive de leur doctrine, la fin de l’histoire, et consacrer l’horizon indépassable d’un capitalisme hégémonique sur la planète. En ce début de XXIe siècle, le monde tel qu’il est dévoile leur erreur. Comme sous l’effet d’une nécessité, une forme de socialisation objective se développe, quand bien même elle s’exprime dans des contextes capitalistes. Dans une crise qu’Edgar Morin analyse comme une « métamorphose (8)  », des valeurs universelles émergent et s’affirment : les droits humains, la protection de l’écosystème mondial, l’accès aux ressources naturelles indispensables, le droit au développement, la mobilité des personnes, l’égalité entre les hommes et les femmes, le devoir d’hospitalité, la sécurité. D’autres sont en gestation, qui exacerbent les contradictions. La mondialisation n’est pas seulement celle du capital ; elle touche toutes les formes d’échange et de formation de la citoyenneté : révolution informationnelle, coopérations administratives et scientifiques, conventions internationales, floraison de créations culturelles. Bref, ce siècle sera peut-être celui des interdépendances, des interconnexions, des coopérations, des solidarités, toutes formules qui se condensent en France dans le concept de service public. On ne s’en rend peut-être pas compte tous les jours en écoutant M. Macron, mais, contrairement aux espoirs et aux proclamations des thuriféraires du libéralisme, le XXIe siècle pourrait annoncer l’âge d’or du service public (9)…

 

Anicet Le Pors

 

Ancien ministre de la fonction publique et des réformes administratives, conseiller d’État honoraire.

 

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Tag(s) : #JE LUTTE DES CLASSES, #SE FORMER - COMPRENDRE
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