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Albert Cordola, auquel tous les communistes de la section Oswald Calvetti restent attachés malgré sa disparition, lorsqu’il rencontrait des lycéens dans le cadre de son témoignage de déporté, soulignait toujours que même au cœur de la barbarie, les résistants insistaient sur l’impérieuse nécessité de cultiver l’humour et de partager les rires. Le Coronavirus n’est pas la barbarie des camps de déportation, certes, et le confinement ne saurait être comparé à ce qu’enduraient Albert et tous les autres déportés, à Dachau et partout ailleurs. C’est néanmoins une épreuve qui a vu, comme c’est toujours le cas en pareilles circonstances, fleurir le pire mais aussi le meilleur. Claudine Lebourg, fidèle lectrice de Rouge Cerise, nous a envoyé, comme Didier Daeninckx et Jeanne Desaubry avant elle, un texte où il est question d’Histoire, de justice et de théâtre…

Rouge Cerise

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12ème jour du mois de Trouilléal en l'an 1 de l'ère de Sauve-qui-peut

 

Flagrant délire au tribunal : plaintes pour concurrence déloyale et plagiat.

 

Les personnages : le juge et son assesseur

  • Première audience : la plaignante est un personnage de Shakespeare, Lady Macbeth
  • Deuxième audience : le plaignant est un haut fonctionnaire de L’Empire romain

 

 

Le juge : l'audience est ouverte !

Avant même qu'on l'interroge, la plaignante se précipite, manifestement très énervée, presque égarée :

Lady Macbeth : …voilà Monsieur le juge, je suis Lady Macbeth, mon nom vous dit sans doute quelque chose.

Le juge : bien sûr Madame, vous êtes la femme de ce malheureux Macbeth, un homme dévoré d'ambition mais qui sans vous ne serait peut-être pas allé jusqu'à assassiner son roi pour prendre sa place...

Lady Macbeth : j'allais vous le dire ! Bien sûr qu'il n'y serait pas allé, heureuse­ment j'étais là pour compenser son manque de volonté, je peux même dire de virilité... C'est moi qui ai armé son bras, c'est moi qui...

Le juge lui coupant la parole : je sais, je sais, revenons à nos moutons. Vous avez porté plainte pour concurrence déloyale et plagiat.

Lady Macbeth : oui Monsieur le juge. Vous savez qu'après l'avalanche de crimes qui ont suivi le meurtre du roi, mes nerfs ont lâché, je lavais et frottais sans cesse mes mains, les croyant ensanglantées... Le grand Shakespeare, le divin William a écrit pour moi la plus belle réplique de toute son œuvre. Levant sa main devant elle,  elle prend la pose et déclame pompeusement: « Tous les parfums d'Arabie ne sauraient purifier cette petite main ! »

Le juge la corrigeant : la plus belle réplique de son œuvre, ça se discute, vous oubliez, Milady, (il déclame lui aussi avec grandiloquence) To be or not to be, that is the question !

Lady Macbeth le fusillant du regard : La Plus Belle vous dis-je !

Le juge : si vous voulez, et votre plainte ?

Lady Macbeth : La plus belle ! C'est ce qui rend la situation actuelle intenable, insupportable, intolérable : tout le monde se frotte les mains, tout le monde se lave les mains, s'appropriant sans vergogne mes gestes, mes attitudes... Il faut que cela cesse, il faut...

Il lui coupe la parole : j'ai compris Milady, nous verrons à vous rendre justice.

Elle sort à grands pas, furibonde.

Le deuxième plaignant entre, un homme robuste à l'allure de notable, il prend place à la barre et attend.

Le juge : nom, prénom et qualité.

Le plaignant : Pilate, Ponce Pilate, citoyen romain, procurateur de Judée.

Le juge : je vous écoute.

Pilate : voilà les faits : dans les années 20, je fus nommé préfet de Judée, un poste difficile : le climat, l'agitation sociale, les problèmes incessants que j'essayais de régler de mon mieux, guidé par le souci permanent des intérêts de Rome, ma patrie, où j'espérais toujours revenir (la vie mondaine me manquait terriblement).

Au cours des années trente, je fus mêlé sans l'avoir cherché à une sombre histoire de politique et de croyances à la suite de quoi un dénommé Jésus fut crucifié (c'était l'usage).

Par un malheureux concours de circonstances, c'était l'heure du déjeuner, aussi je me lavai les mains devant la foule avant d'aller déguster de la panse de brebis farcie. Ce geste resté dans les mémoires est passé dans la tradition, il m'a valu l'immortalité en même temps que la détestable réputation d'un faux-cul achevé, pardonnez-moi l'expression.

Depuis, Ponce Pilate, c'est celui qui s'en lave les mains !

J'assume cette réputation ignominieuse, bien conscient que si la mort de Jésus était décidée dans les plans de l’Éternel il fallait un Judas, il fallait un Ponce Pilate.

Ce que je n'accepte pas c'est que ce geste mille et mille fois évoqué, mille et mille fois représenté dans la peinture et ailleurs soit copié, reproduit, déformé. C'est pourquoi je demande l'interdiction de cette nouvelle mode des lavages de mains ostentatoires et permanents.

Le juge : c'est entendu, Monsieur Pilate, nous allons examiner votre requête.

 

Le plaignant sort. Le juge se penche vers l'assesseur :

Ouf !

Pouvez-vous me passer le gel hydro alcoolique s'il vous plaît ?

 

Claudine Lebourg

Tag(s) : #CULTURE
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