En ces temps de crise sanitaire il y a peu de spectacles en Avignon, c'est pourquoi Rouge Cerise est heureux de pouvoir vous recommander, sur les conseils de lecteurs avisés, 2 films: "Voir le jour", un bel hommage aux soignantes et "Epicentro" où Cuba n'est pas le pas le moindre personnage.
La présentation est celle du site du cinéma UTOPIA d'Avignon qui donne également les horaires des séances.
R.C.
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VOIR LE JOUR
Marion LAINE - France 2019 1h31 - avec Sandrine Bonnaire, Aure Atika, Brigitte Roüan, Kenza Fortas, Sarah Stern, Alice Botté... Scénario de Marion Laine, avec la collaboration de Julie Bonnie et Laura Piani, d’après le roman de Julie Bonnie, Chambre 2.
Du 12/08/20 au 08/09/20

Avant d’être une belle histoire d’amour et d’amitié entre des femmes toutes plus lumineuses les unes que les autres, Voir le jour est un vibrant hommage aux soignantes. Qui tombe à pic, pas besoin de grand discours pour le souligner. Sans en avoir l’air, et sans en faire son sujet central, c’est un film qui résonne comme un plaidoyer pour une médecine plus humaine, plus à l’écoute de celles et ceux qui la font vivre au quotidien. Car elles bossent dur, les filles, dans cette maternité d’un grand hôpital marseillais, elles enchaînent les gardes, de jour, de nuit, on ne dort pas as assez mais tant pis, ça fait des heures en plus pour boucler les fins de mois difficiles. Elles ont chacune leur histoire, leur tempérament, leurs blessures, elles se serrent les coudes, parfois ça fait du bien, parfois des étincelles. Malgré le peu de reconnaissance et l’incroyable responsabilité qui repose sur leurs épaules, elles continuent à aimer leur métier.
Jeanne est l’une d’entre elles. Pas la plus syndiquée, pas la plus loquace non plus, elle est plutôt du genre discrète. Un peu en retrait, ailleurs, elle entretient une forme de douce distance vis-à-vis des collègues, et ça ne pose de problème à personne. Jeanne fait son boulot et elle le fait plus que bien : le monde des nouveaux-nés lui convient à merveille. Avec les bébés, pas besoin de mots ni d’argumentaire, ni négociations, ni promesses jamais tenues, pas besoin de gagner une bataille ou simplement la confiance : tout se joue à l’instinct, au gré des émotions et des corps qui se touchent, se respirent, se protègent. Mais le monde extra-utérin est une drôle de galaxie : on y brandit des grands mots comme « rentabilité », « efficacité », « rendement », « réduction des lits », « compression des effectifs », on souhaite aussi largement y pratiquer les césariennes programmées, plus intéressantes, mieux gérables, plus lucratives. Les tensions sont ici d’autant plus palpables qu’un petit noyau dur, mené par une sage-femme, la charismatique Francesca (toujours formidable Brigitte Rouän), souhaite depuis de nombreuses années créer une maison de naissance : accompagner au mieux les mamans dans une approche naturelle de l’accouchement, tout en ayant la sécurité d’un plateau technique en cas de problème. Mais la direction ne voit pas les choses du même œil : prendre le temps d’accoucher, c’est perdre beaucoup d’argent. Le jour où un nouveau-né décède dans le service, toutes les tensions, toutes les histoires intimes, toute la fatigue accumulée vont ressurgir…
Mais pour Jeanne, c’est le passé qui revient la visiter. Il a un blouson de cuir et des airs de vieux rocker fatigué, dans son sillage flotte un parfum d’écume et de peau salée… Jellyfish était le nom du groupe dont elle était la chanteuse charismatique : sa vie d’avant, qu’elle a subitement mais sans regret abandonné le jour où elle est tombée enceinte.
On va alors comprendre un peu mieux ce qui fait la singularité de Jeanne : sa relation fusionnelle avec sa grande fille, au moment même où celle-ci s’apprête à quitter le nid, sa complicité avec Francesa, sorte de grande sœur ou de mère de substitution qui l’a guidée et accompagnée alors qu’elle était perdue…
Forte et gracieuse, fragile et rebelle, Sandrine Bonnaire porte le film, entourée d’une troupe formidable. À mi-chemin entre le film politique et le récit intimiste qui s’autorise même, et de manière plutôt futée et audacieuse, quelques flash-back ou digressions oniriques, Voir le jour est inspirant… puisse-t-il être vu par celles et ceux qui décident du sort de notre service public hospitalier.
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EPICENTRO
Hubert SAUPER - documentaire Cuba 2020 1h47
VOSTF - Production Franco-Autrichienne.
Du 19/08/20 au 07/09/20

Nous sommes tant sur cette planète ! Il y a tant de réalisateurs aussi qu’on peut ne pas se souvenir d’un nom. Il est peu probable par contre que ceux qui ont été secoués par Le Cauchemar de Darwin aient oublié le film, même s’ils n’ont plus en tête le nom de son auteur : Hupert Sauper.
Voici donc son nouveau documentaire, au ton plus enjoué mais tout aussi passionnant. Un véritable condensé d’histoire, d’humanité… à l’image de Cuba, qui en est, en définitive, sa protagoniste principale, peuplée d’une multitude d’autres personnages, en particulier ceux que le réalisateur nomme les « jeunes prophètes ».
Ces mômes, parfois guère plus haut que trois pommes, qui s’improvisent guides de leur île, de sa civilisation, sont malicieux, taquins, intelligents, bien plus politisés que ce qu’on pourrait imaginer compte tenu de leur âge. Ils sont fascinants à écouter et leur discours très construit, critique, détricote celui des adultes, interroge et peut paraître un brin inquiétant. Où commence la raison, où démarre la propagande ? Mais ne peut-on se poser les mêmes questions à propos du grand voisin yankee, sauveur auto-proclamé, contre les « esclavagistes espagnols » de la petite île ? Mais à quel prix ? Passer du statut de colonie espagnole pour tomber sous le joug d’un protectorat américain non choisi ? Les USA si proches, ennemis jurés autant qu’admirés ! Ces gosses portent en eux les contradictions d’un peuple qui décrit les souffrances subies en raison de l’impérialisme américain mais rêve de Disneyland… Tout est plus complexe que les images d’Épinal dans lesquelles on essaie d’enfermer l’île d’Or. Il y a de la Rumba dans l’air, certes, et même du reggeaton (cubaton), des rires qui fusent… Des nuées de touristes qui viennent s’extasier sur le Malecón, ses vieilles Chevrolet lustrées, ses jolies filles et ses chauds garçons… Mais ni leur pouvoir d’achat, ni l’aura des pays riches ne font oublier leur passé colonialiste, leur appartenance à des pays dominants. Car bien sûr l’histoire cubaine nous ramène à celle de la traite négrière, tout autant qu’à l’avènement de l’Empire américain, elle en est même l’épicentre et permet d’explorer un siècle d’interventionnisme, de fabrication de mythes à laquelle les images, celles du cinéma en particulier, qui naît à la même époque, vont largement collaborer…
Souvent, parler du régime cubain déclenche des débats endiablés entre ses admirateurs et ses détracteurs absolus. Réconciliera-t-on jamais ceux qui plébiscitent un système social, un accès gratuit à la santé (et capable au demeurant d’envoyer plus de 2000 soignants en pleine crise de la Covid-19 pour aider le personnel de nos pays riches, notamment en Martinique…) et ceux qui critiquent le régime autoritaire et la faible croissance du pays ? Ceci étant, à l’heure où il faudrait très vite viser une indispensable sobriété pour lutter contre le réchauffement climatique, le bilan carbone de Cuba pourrait bien nous inspirer.
Hubert Sauper ne se contente pas de faire le tour de l’île, et de donner la parole aux artistes (dont la petite fille de Charlie Chaplin), historiens, habitants lambdas, de les mettre en valeur à travers des prises de vue d’une beauté époustouflante, parfois onirique. Il affronte également ses propres ressentis, se questionne en filigrane sur la légitimité de sa présence, il interroge tout autant le regard des autochtones que celui de l’observateur européen qui se promène, juge avec son système de valeurs… La place du filmeur, la place des filmés… la place des humains, tout simplement, si fragiles et petits, en définitive, face à la nature qui se déchaîne.