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Sollicitée par le bureau (dont je fais partie) de la Section Oswald Calvetti du PCF, par l’intermédiaire de notre camarade Xavier, très persuasif, je fus chaleureusement accueillie par Roger Gachon et son épouse Maryse, chez eux à Pernes les Fontaines afin que celui-ci me décrive son ressenti sur la manifestation sanglante du Métro Charonne à Paris, qui eut lieu le 8 février 1962.

En effet, Roger, camarade de route de longue date de notre section avait alors 24 ans, jeune instituteur depuis la rentrée 1961 et assistait tout naturellement à cette manifestation  interdite, me précise-t-il, comme tout ou partie des gens de gauche de l’époque, contre la guerre d’Algérie et contre l’OAS.

Le rendez-vous avait était donné à 18h30 à la Bastille, à l’appel des syndicats CGT , CFTC, FEN ,SNI ,UNEF, La Jeunesse communiste et le PCF, sans pancarte ni  banderole. La chaussée est envahie, on  estimera les manifestants à 60 000 (20 000 selon la Police), Roger  se réjouit  du nombre d’hommes et de femmes qui arpentent les rues. Des slogans antifascistes, anti OAS et appelant à cesser la guerre en Algérie fusent.  Les manifestants scandent des slogans mais restent calmes. Les consignes des organisateurs sont strictes : éviter tout contact avec les forces de l’ordre.

Après avoir descendu l’avenue Voltaire, les manifestants arrivent à hauteur du Métro Charonne, escortés par des policiers en civil (très reconnaissables dixit Roger). C’est alors qu’au moment où l’appel à la dislocation de la manif est lancé, Roger voit se créer (à l’appel d’après d’autres témoins d’un « CHARGEZ »), un « carré » de CRS boucliers au poing sur le trottoir, puis s’avancer à pas scandés sur la foule se dispersant à toute vitesse devant la violence de la charge,  se jeter sur les manifestants et cogner à l’aveugle avec une sauvagerie sans nom. C’était, ajoute-t-il "très impressionnant". Personne n’ayant envie de se faire "déglinguer" (je cite), les gens fuient, c’est la débandade.  "J’ai eu la trouille de ma vie"  m’avoue Roger sans honte  .

Neuf morts seront comptés par la suite, femmes et hommes et même un jeune qui n’avait pas 16 ans.

                                                  Plaque commémorative du Métro Charonne

 

Roger s’enfuit avec d’autres camarades dans la bouche du métro Charonne, « j’ai eu beaucoup de chance, j’ai pris le bon quai. » me dit-il non sans émotion . Sur le quai d’en face, je voyais les gens, hommes et femmes confondus, se faire matraquer et même parfois se jeter sur les rails pour éviter les coups . Puis, les grilles furent refermées, piège mortel pour les manifestants qui convergeaient vers le métro.

Roger fait une pause et me dit calmement "tu me fais remonter de ces souvenirs, dis-donc! ",   j’avoue être très touchée à ce moment là de l‘entretien car même si de l’avis de sa femme,  il parle parfois de ces événements très marquants, il est rare qu’il les décrive si précisément avec sa peur et son étonnement devant tant d’acharnement aveugle et injustifiable. Les CRS obéissaient aux ordres de Papon....

Lorsque je lui demande s’il était à l’enterrement, il me dit spontanément : « un seul mot me vient à la bouche : LE SILENCE.» Les présents (plus nombreux encore qu’à la manifestation) osaient à peine chuchoter, saisis par l’émotion et la honte. Pas un seul CRS,  là, n’assistait à la cérémonie. 

Le premier mars  Roger dût  partir faire son service militaire et le premier juillet, après les accords d'Évian, il fut envoyé en Algérie, contre son gré bien-sûr, pour y maintenir l' ordre (et aider les « pieds noirs » à déménager.) Il était alors Caporal mais est resté  plus de 6 mois en Algérie. Il a été très content et soulagé  de faire partie du premier contingent à ne passer que 18 mois sous les drapeaux et non 36.

Pendant les 6 mois précédant son départ en Algérie, comme des bruits couraient que l’OAS et les groupes d’extrême droite allaient envahir la France, des appelés se sont organisés  dans les casernes pour éviter que l'OAS n'y vole des armes. Roger faisait partie alors du groupe protégeant l'armurerie  de Pontoise.

Voilà ! La vie a ensuite repris son cours, Roger est devenu le plus jeune Directeur  d’école de France en 68 à 30 ans, puis est rapidement devenu responsable des GRETA en Seine Saint Denis  et conseiller municipal de Bobigny. Il est ensuite devenu Principal de collège à Dreux et à Aulnay sous Bois pour prendre sa retraite à Vitrolles dans les Bouches du Rhône et habiter enfin sa belle maison de Pernes les Fontaines avec sa famille.

Roger a retracé ces événements douloureux devant moi dont il ne garde bien-sûr que de mauvais souvenirs et revient sur le CHOC qu’a provoqué chez lui la charge des CRS.

Je suis pour ma part, et en toute modestie, très fière d’avoir recueilli ce témoignage avec autant de sincérité et de confiance.

Je partage (enfin nous partagions avant la pandémie) des réunions et fêtes politiques de tous ordres et aussi des moments intenses de Théâtre avec Maryse son épouse et avec de nombreux camarades de la section aux Tréteaux de Lagnes mais ce moment convivial ne ressemblait à aucun autre et fut très fort.

 

                              RESPECT Roger et Merci !

 

                                                                             Martine Taxil, membre du PCF

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Ecoutons Leny Escudero:

Tag(s) : #SE FORMER - COMPRENDRE
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