Un article du blog d'André Chassaigne
Gestion de la crise sanitaire - Obligation vaccinale - Passe sanitaire: réponse au Premier ministre au nom des député-e-s du groupe GDR
Monsieur le Premier ministre,
Par un courrier en date du 1er juin 2021, vous avez sollicité notre groupe parlementaire dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire afin de « recueillir notre analyse sur ce que pourraient être des mesures de prévention et de gestion, le cas échéant de nature législative pour certaines, permettant d’éviter d’imposer à nouveau des contraintes fortes aux Français ».
Depuis de nombreux mois maintenant, nous vivons sous la menace du virus et nos vies en ont été profondément affectées. Chacune, chacun a produit des efforts considérables pour y faire face. A ce titre, nous tenons à saluer une fois de plus le dévouement et l’exemplarité déployés par le personnel soignant et les équipes engagés chaque jour pour prendre en charge les patients et vacciner les personnes. Les mesures d’ordre public se sont multipliées, restreignant de manière drastique les libertés fondamentales. Depuis le début, nous pointons un défi majeur, celui de placer notre société en situation d’agir, de se défendre, de se mobiliser. Cela passe par des moyens humains et techniques, mais aussi par un travail permanent de conviction, de confiance, donc de transparence.
Si la situation sanitaire de notre pays s’est fortement améliorée ces dernières semaines, nous sommes conscients de l’évolution de la situation épidémique mondiale avec la progression du variant Delta, qui serait de 60 à 90 % plus transmissible que la souche initiale. Dans ce contexte, il importe d’autant plus de renforcer la mobilisation collective de notre société pour éviter d’imposer de nouvelles mesures de restriction dont nos enfants et notre jeunesse pâtiraient de nouveau lourdement.
Depuis le mois de décembre 2020, le Gouvernement a fait de la vaccination le pilier de sa stratégie de lutte contre l’épidémie avec l’objectif d’atteindre 40 millions de primo vaccinés à la fin août 2021, soit 75 % de la population adulte. Si nous partageons ces objectifs, nous faisons également le constat de carences dans la mise en œuvre de la campagne vaccinale, engendrant un retard qui pourrait être préjudiciable. Outre le fait que nous sortions d’une séquence sanitaire marquée par les défaillances gouvernementales dans la gestion des masques et le déploiement des tests, contribuant à affaiblir la parole publique, plusieurs éléments ont retardé le bon déroulement de cette campagne.
Ouverte dès la fin du mois de décembre 2020 aux personnes les plus âgées, la capacité de vaccination s’est trouvée très vite amoindrie par le manque de doses disponibles, le Gouvernement étant dépendant des commandes passées par l’Union européenne aux grands laboratoires pharmaceutiques. De même, l’organisation logistique a montré des signes de faiblesse à travers les difficultés pour les personnes à disposer de rendez-vous et la mise en place tardive des vaccinodromes, dont nous avons toujours dit qu’ils ne pouvaient par ailleurs être le seul axe stratégique. Nous pouvons aussi regretter un déficit d’information sur l’ouverture de la vaccination qui laisse sur le bord de la route une partie de nos concitoyens, avec le choix d’en passer quasi exclusivement par la plateforme Doctolib pour la prise des rendez-vous vaccinaux. Pourquoi ne pas avoir davantage mobilisé l’Assurance Maladie et le réseau des CPAM pour informer nos concitoyens de la possibilité de se faire vacciner ? C’est un fait, nos concitoyens «non connectés» ont été les oubliés de votre campagne de vaccination. Enfin, les atermoiements successifs du Gouvernement sur l’usage du vaccin AstraZeneca ont sans doute contribué à renforcer la défiance, notamment des soignants pour lesquels il était prioritairement affecté, à l’égard de la vaccination.
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Ces remarques étant faites, les trois pistes de réflexion que vous nous soumettez dans votre courrier appellent plusieurs réponses de notre part.
Sur l’obligation vaccinale
Notre groupe a toujours été un défenseur de la vaccination. Si elle permet à chacun de se protéger du virus, d’éviter des formes graves et d’empêcher des symptômes persistants, il s’agit également d’un acte collectif qui vise à protéger les autres dans le but d’atteindre l’immunité de groupe. C’est par la vaccination que nous pourrons éradiquer le virus.
Depuis le départ, nous sommes convaincus que la confiance des citoyens est l’ingrédient essentiel pour la réussite de la stratégie vaccinale dans un contexte de crise démocratique et de financiarisation de l’industrie pharmaceutique. La confiance ne se décrète pas mais doit se construire avec les différents acteurs concernés. Elle nécessite un travail de conviction et de pédagogie. C’est pourquoi, nous avions pleinement souscrit à la gratuité du vaccin comme à son caractère non obligatoire au moment du débat sur la stratégie vaccinale de décembre 2020, des conditions qui nous paraissaient essentielles pour lever les craintes qu’expriment certains de nos concitoyens. Encore faut-il souligner que cette situation s’inscrit dans le prolongement d’un important mouvement de recul de la santé publique dans notre pays, de la santé au travail à la santé scolaire, laissant le reste aux collectivités locales.
L’irruption du variant delta pose de nouveaux défis aux plans national et mondial. Pour éviter de lui donner prise, nous devons gagner la bataille de la vaccination. Dans ce cadre, il nous paraît essentiel, dans une première phase et jusqu’à la fin de l’été, de donner un nouvel élan à la campagne de vaccination par le déploiement d’une stratégie bien plus offensive et massive car des marges de manœuvre existent. Cela suppose le déploiement de moyens logistiques sur le terrain pour aller au contact des personnes, notamment celles issues des quartiers populaires ou résidant dans les territoires ruraux, des lieux marqués habituellement par un haut niveau de renoncement aux soins. Cela suppose également de renforcer les campagnes d’information auprès des publics non vaccinés par des relances systématiques (courriers de l’assurance maladie, contacts téléphoniques). Pour déclencher le passage à l’acte de la vaccination, il faudra aussi aller à la rencontre de toutes les Françaises et tous les Français, jusque sur leurs lieux de vacances.
Ce n’est qu’en cas d’échec de ce travail de pédagogie indispensable et de la non atteinte des objectifs de vaccination dans la population générale, que nous serions contraints dans une seconde phase de recourir à une obligation vaccinale pour les personnes majeures. Si nous devions en passer par une telle mesure, nous considérons que celle-ci doit s’appliquer collectivement sans opposer différentes catégories de citoyens. En effet, cette obligation ne peut concerner que les seuls soignants au risque de les stigmatiser injustement.
Sur l’extension du pass sanitaire
Nous considérons depuis le départ que la mise en œuvre d’un pass sanitaire, trop attentatoire aux libertés, ne constitue pas une bonne réponse pour gérer la crise sanitaire. C’est pourquoi, s’il devait y avoir recours à l’obligation vaccinale, il ne nous semble pas opportun de l’étendre aux actes de la vie quotidienne. Il n’aurait plus de raison d’être, excepté dans une phase transitoire jusqu’à aboutir à une immunité collective.
Nous observons, par ailleurs, qu’une politique publique de lutte contre le virus qui laisse une place prépondérante au pass sanitaire brouille le message essentiel qui doit être porté auprès de la population. La vaccination est l’une des interventions sanitaires les plus efficaces pour éradiquer les pandémies. C’est ce message que nous devons porter auprès de nos concitoyens et non pas celui qui présente la vaccination comme un droit d’accès aux loisirs. La confusion entretenue sur l’intérêt de la vaccination explique probablement les carences constatées dans le travail de conviction. L’intérêt général doit toujours primer sur la somme des intérêts individuels. Telle est l’approche politique qui nous guide et qui est l’essence même d’une politique vaccinale.
Sur le renforcement de l’obligation d’isolement
Concernant le renforcement de l’obligation d’isolement des personnes contaminées, nous craignons que cette mesure soit contreproductive car elle pourrait dissuader les personnes de se faire tester par crainte d’un isolement contraint. Si toutefois le Gouvernement décidait d’imposer cette mesure, elle devrait être absolument conditionnée à la mise en place par l’État de solutions d’hébergement pour ceux qui n’auraient pas la possibilité de s’isoler, notamment pour ceux de nos concitoyens qui vivent dans des logements surpeuplés ou dans la rue.
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Au-delà des questions posées dans votre courrier, plusieurs sujets mériteraient d’être davantage pris en compte par le Gouvernement pour lutter contre le covid-19.
La couverture vaccinale est une question sans frontières et nous déplorons qu’aucune mesure ne soit envisagée au plan international. La France a un rôle essentiel à jouer au sein de l’UE afin qu’elle plaide pour une levée des brevets sur les vaccins à l’OMC, condition indispensable pour faciliter la diffusion de la vaccination dans les pays qui en sont encore trop exclus. Tirons les enseignements de l’histoire : l’éradication de la poliomyélite n’a été possible que grâce à la mise en place d’un vaccin non breveté permettant sa large diffusion dans la population.
En outre, face à l’emprise des logiques privées dans le secteur de la santé, il est urgent d’agir pour une réappropriation publique et citoyenne des vaccins. La domination des grands laboratoires pharmaceutiques en matière de production et de distribution des vaccins contre le Covid 19 n’est pas étrangère aux hésitations et réticences qui s’expriment à l’égard de la vaccination. Depuis longtemps, nous portons l’idée d’un pôle public du médicament et de la recherche qui serait le support à une maîtrise publique de la production et de la distribution de vaccins et des médicaments. Cette proposition doit être mise en débat pour restaurer notre indépendance sanitaire.
Enfin, le déploiement de la vaccination ne doit pas non plus nous exonérer d’une stratégie sanitaire globale pour lutter contre les risques pandémiques qui s’articulerait autour de plusieurs priorités : l’application des gestes barrières et la gratuité des masques, le renforcement massif de notre système public de santé, le développement d’une politique de prévention, et de nouveaux moyens publics pour la recherche sur les vaccins et les traitements.
Voici Monsieur le Premier ministre, les observations, propositions et exigences que nous portons à votre connaissance. Nous sommes pour autant réservés sur la sincérité de votre consultation, dans la mesure où il est annoncé qu’un projet de loi est d’ores et déjà rédigé et doit être déposé devant le Conseil d’État dans les heures qui viennent.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, en l’expression de nos sentiments les meilleurs.
André Chassaigne
Le 8 juillet 2021