Rouge Cerise, à une époque, où l’on n’a jamais autant parlé de « devoir de mémoire » sans faire grand-chose pour le permettre, s’enorgueillit de rappeler ou de faire découvrir les souvenirs de celles et ceux qui sont morts pour que nous ne tombions pas sous la botte nazie.
Aujourd’hui, hélas !, si les tragédies de Sarrians, de Barbarenque, l’assassinat d’Abel Sarnette et Louis Lopez sont bien connus de nos lecteurs, d’autres histoires vauclusiennes demanderaient à être rapportées.
Ainsi celle de Lucien Florent Girard, qui fut, avant d’entrer dans la Résistance et de mourir en camp de concentration, secrétaire de la cellule de Sablet, un fait à peu près inconnu.
Nous devons à notre ami et camarade Raymond Chabert, de Sorgues, cette nouvelle contribution à la vérité.
Rouge Cerise
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Lucien Florent Girard fut un héros comme il y en a eu beaucoup pendant la Seconde Guerre mondiale. Communiste, la police française l’a martyrisé, et les nazis l’ont torturé, il mourra à Ohrdruf.
Lucien Girard naquit le 19 mars 1912 à Sablet (Vaucluse) au quartier le Fournas. Son père était garde-champêtre, sa mère couturière. Malgré sa petite taille, 1 mètre 63 et le fait qu’en 1933, le médecin-major ait diagnostiqué une bronchite « sommet gauche » et souligné la fragilité de sa santé, il fut incorporé le 15 avril 1934 à Grenoble dans un régiment du génie avant d’être rendu à la vie civile le 15 avril 1935.
En 1938, il exerçait la profession de peintre, dessinateur, graveur (1). Aux dires de sa famille et de l’entourage, c’était un être très intelligent, musicien, polyglotte (2), et pratiquait l’espéranto (*). Il animait la cellule communiste de Sablet.
Le conseil municipal l’obligea de quitter la commune (3). Il rejoignit Célestin Freinet, lui-même espérantiste, langue qu’il enseignait aux élèves de son établissement. Enseignant et élèves entretenaient une correspondance soutenue avec des scolaires de toute l’Europe. Ce fut ainsi qu’il devint secrétaire de Célestin Freinet à l’école syndicaliste de Pioulier à Vence. Cette institution accueillait une majorité de fils d’ouvriers parisiens, de cas sociaux venus de l’Assistance, d’enfants d’instituteurs arrivés pour des raisons de santé, etc. À compter du 28 juin 1939, il vint demeurer à l’école. L’hébergement fut vite interrompu.
Comme beaucoup de communistes, après le Pacte de non-agression mutuelle germano-soviétique signé le 23 août 1939, Freinet fut arbitrairement arrêté et interné. À la suite de quoi, Lucien retourna à Sablet. Le 28 mai 1943, il était requis, avec une centaine de milliers d’autres Français, pour être asservi en Allemagne, au Service du travail obligatoire (STO). Il rejoignit aussitôt le maquis de Buis-les-Baronnies, Nyons et Sainte-Jalle, où il était connu sous le nom de guerre de Poète. Arrêté par l’inspecteur Lebetti, il fut incarcéré du 17 mars au 15 mai 1944, on le retrouvait prisonnier à la maison d’arrêt de Valence. Il avait sous une accusation qui pouvait lui valoir la mort : « appartenance au Parti communiste, menées terroristes, détention d’armes dans un but terroriste ».
Un codétenu se souvenait d’interrogatoires (4) qui dégénéraient en actes de barbarie : « … lorsqu’on le reconduisait dans sa cellule, à la suite des mauvais traitements, Girard était presque incapable de marcher ». (5) De là, il adressait très souvent de ses nouvelles à ses parents. Le 15 mai 1944, ceux-ci reçurent de Valence un message leur précisant que leur fils se trouvait à la Maison d’arrêt de Lyon. Le 29 juin, il partit de la prison Saint-Paul pour Dachau (Allemagne) où il resta du 1er juillet au 14 avant de se retrouver du 20 juillet 1944 au 6 février 1945 à Ohrdruf, camp annexe de Buchenwald.
L’horreur
C’était un camp de concentration et d’extermination. Les prisonniers Soviétiques, Polonais, Hongrois, souvent juifs, Français, Italiens, Belges, Grecs, Yougoslaves et Allemands, la plupart communistes, étaient employés à creuser des tunnels et des abris bétonnés . (6) En mars 1945, il comptait 11 700 personnes. Le Dr Kurt Diebner dirigeait la section de physique atomique du département de recherche du HWA (**) situé près du camp. Certains témoignages laissent à penser que des prisonniers servaient de cobaye. Les SS, renforcés en janvier 1945 par l’envoi de troupes de sentinelles d’Auschwitz, faisaient progresser les travaux dans les galeries avec une cruauté brutale. Plus de 3000 personnes moururent d’épuisement ou furent assassinées, dont Lucien Girard, qui décéda le 1er mars 1945 d’une prétendue faiblesse cardiaque. Le 2 avril 1945, deux jours avant la Libération, une marche de la mort entraîna la disparition de centaines de prisonniers.
Ohrdruf, camp extérieur de Buchenwald, fut, le 4 avril, le premier libéré par les Alliés. Le spectacle que découvrirent les soldats de la Troisième Armée américaine leur occasionna un choc émotionnel inouï. C’étaient des corps humains morts de faim, abattus et brûlés, entassés dans la construction jointe à l’article.
Le 8 juin 1946, le capitaine de l’armée régulière Jean Scarcicchio délivra « aux vieux parents de Lucien Girard » un témoignage élogieux sur l’activité de leur fils « … a servi avec honneur et fidélité, toujours volontaire à accomplir les missions les plus périlleuses, les jours qui suivirent son arrestation a subi toutes les tortures sans jamais dénoncer ses camarades de combats… » (7)
Raymond Chabert
1 Note sur le dossier militaire.
2 Notes fournies par madame JAMET Monique
3 Lettre de monsieur Girard Laurent, son père, du 10 novembre
4 1944 dans dossier Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre 21 P 615 495.
5 Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre 21 P 615 495
Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre 21 P 615 495
6 https:/www.buchenwald.de/fr/563/
7 Ministère des Anciens Combattants et Victimes de Guerre 21 P195054
Nota:
Photo du camp dans lequel l'armée Américaine a trouvé des cadavres calcinés, mutilés et empilés les uns sur les autres
(*) L’espéranto: En 1887 que Louis-Lazare Zamenhof, sous le pseudonyme Doktoro Esperanto (Docteur qui espère) qui donnera par la suite son nom à la langue, publie le projet Langue Internationale. Elle connu un rapide développement dès ses premières années. Supposée facile à apprendre pour être utilisable, l'espéranto fut présenté comme solution efficace et économiquement équitable au problème de communication entre personnes de langues maternelles différentes . (Source Wikipédia)
(**) HWA: Un des services les plus importants pendant la guerre était l'“office central des wagons” à Berlin (Hauptwagenamt [HWA]), responsable de la répartition des wagons de marchandises. Placé sous l'égide de la direction générale du mouvement de Berlin, il gérait les capacités de matériel de transport disponibles.