À l’occasion du 70éme anniversaire du Conseil National de la Résistance, Rouge Cerise publie le témoignage de notre camarade Sylvain Meyer sur ses années de résistance à Velleron.
Il le fait pour rendre hommage à un homme d'exception et à un militant infatigable qui lutte toujours avec autant d'enthousiasme aux côtés des opprimés pour un monde juste et fraternel.
Il le fait aussi par respect pour l'engagement et la détermination de tous ceux qui, comme Sylvain, se sont dressés contre l'inacceptable, permettant ainsi de vaincre les nazis et de réaliser les grandes avancées sociales de la Libération .
Si, à la Libération, dans un pays dévasté, on a pu mettre en place la sécurité sociale, les retraites par répartition, le statut de la fonction publique et de grandes sociétés nationales comme EDF ou la SNCF, nul doute qu'aujourd'hui nous sommes capables de sortir le pays des drames où le plonge le MEDEF et son austérité.
Pour chasser la finance et ses collaborateurs et mettre "l'Humain d'abord" il nous faudra faire preuve de ce même engagement et de cette même détermination. Oui, en s’appuyant sur l’exemple de la Résistance, ensemble, nous on peut!
Enver
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MA RESISTANCE
par Sylvain MEYER
« Commandant Gervais »
DES RAISONS DE RESISTER:
Constatant la trahison de Pétain et ses mesures contraires à la République, mon père, adjoint à la municipalité, est renvoyé de sa fonction. Tout le conseil est dissout.
On me retire mon permis de chasse ainsi que celui de mon père.
Je faisais partie d’un groupe artistique, mon président vichyssois décide en préparation d’une soirée de jouer l’hymne au Maréchal Pétain, « Maréchal nous voilà». Je m’y oppose fermement et il n’est pas joué.
Quelques jours plus tard, je suis convoqué en Mairie, en présence du Brigadier de Gendarmerie de Pernes.
Celui-ci me pose pas mal de questions sur mes opinions politiques, il me demande si j’appartiens au Parti Communiste, je réponds NON, car cela était alors vrai.
Quelques jours après, une notice arrive en Mairie, ainsi libellée: « Ce triste individu est astreint en résidence surveillée dans sa commune avec obligation de se présenter toutes les semaines en Mairie».
Étant passionné de course à pied, je faisais partie du B.C.I. de l’Isle sur la Sorgue. Mon Président était tenu de s’adresser à la préfecture pour obtenir un laissez passer, dès que des compétitions étaient organisées à l’extérieur.
J’étais jeune, cette mesure fut mal accueillie chez moi.
En 1941, je dois partir en Chantiers de Jeunesse. La propagande vichyste était bien présente: Nous étions sous les ordres d’anciens militaires triés sur le volet, qui le matin au drapeau, nous faisaient chanter les hymnes nationaux. Cela m’était vraiment pénible !
JE M’ENGAGE
À mon retour des Chantiers, j’ai la visite d’un ami de Pernes, Danton Milhet. Avec d’autres camarades, il venait de constituer un groupe de maquisards, sur les Monts de Vaucluse.
Vu que ces jeunes-là étaient devenus illégaux et n’auraient plus droit à la nourriture rationnée, il faudrait collecter principalement des pommes de terre, chose que je m’engageai à faire avec certains paysans.
Au cours de la discussion, il me demanda si je voulais faire partie du groupe, car il y avait des actions à mener.
La première fut une distribution de tracts qui me seraient parvenus par une personne de la Direction départementale.
Cela fut le départ de mon engagement comme agent de liaison du Maquis Jean Robert.
Je constituai donc deux boites aux lettres : une située au carrefour de « La Grangette » à Velleron et l’autre sur la route de Pernes, à proximité de la scierie Pesce.
Je vous parle de « boites aux lettres », c’était seulement une boite de conserve que je planquai dans un talus ou en contrebas d’un ruisseau, horizontalement, afin que l’eau n’y rentre pas.
Par l’intermédiaire de deux camarades venant d’Avignon en vélo, nous échangions certains renseignements que je transmettais au Maquis.
Il y avait aussi des tracts tirés à la « Ronéo », que l’on distribuait dans les villages.
Par la suite, ordre fut donné de passer à certaines actions que l’on décidait avec les gars du Maquis. Comme au camp, ils avaient pu obtenir par des parachutages des explosifs, en 1943, notre action de sabotage fut sur les voies ferrées.
Ce fut d’abord l’action sur la passerelle de Velleron, quartier du Jas, avec Robert Arnaud et Maurice Nouet. Il n’en résulta que des dégâts matériels. Une semaine plus tard, nous avons opéré, avec un deuxième gars du Maquis, la même action sur la passerelle de Saint Paul, qui se trouve sur la commune de Pernes. Certains renseignements nous avaient appris que le soir vers 22 heures, passait un train blindé allemand, car pour plus de sécurité, les trains empruntaient les voies secondaires.
Nous décidons donc une action sur le grand pont de chemin de fer, prés de la gare de Velleron. Je montai une équipe, car il fallait le faire avec une protection armée. Nous avons le plastic (le plastic est une pâte molle et grasse de nitroglycérine, que l’on travaille à la main; Il faut un détonateur pour faire exploser le tout.).
Nous nous réunissons avec Maurice (mon frère) et François Corneta (un réfugié espagnol des Brigades internationales) et Gaston Houx, chez Monsieur Henri Impératori, avec deux fusils Remington pour la protection. Afin de « balancer » le convoi avec le pont, nous avons posé sur les rails, ce que l’on appelait un « crapaud ». Cette pièce faisait fonction de détonateur lorsque les roues passaient et, comme chaque charge était reliée avec du cordon « Bickford », tout explosait en même temps. Après que tout fut mis en place, nous nous mettons à distance et attendons le passage du convoi… Mais le temps s’écoulant, le train ne passant pas, nous dûmes débrancher le « crapaud » et avec la pose d’un détonateur, nous décidons de faire sauter les charges. Celles-ci ne firent que du dégât minime sur les piliers et la ferraille.
Juillet 1943, avec le travail obligatoire décrété par Vichy, beaucoup de jeunes demandèrent à rejoindre le Maquis. Je fus sollicité avec deux autres camarades, Gilbert Grangier de Sorgues, et Ancelin de l’Isle sur la Sorgue. Le transport se fit en les chargeant…sur le cadre de notre vélo par la route de Pernes, Saint Didier, Venasque via la ferme de «La Corneirette».Vu la chaleur du jour, nous dûmes en faire une partie à pied, dans les cotes. Au camp, on nous a remis des tracts anti-allemands, que nous avons distribués sur la route même devant Sainte Garde (qui était un cantonnement allemand). Nous chantions « Lili Marlen » pour déjouer tout soupçon!
Un mot d’ordre national F.T.P.F. national nous demandait que l’on fleurisse les monuments aux morts le 14 Juillet. Avec mon ami Gaston Houx, le soir du 13, nous avons passé le mur Nord du cimetière et avons déposé un bouquet tricolore au pied du monument.
LA LUTTE S’INTENSIFIE:
Un peu plus d’une semaine après avoir échoué le premier sabotage sur le pont, nous préparons une seconde action avec Maurice Nouet. Il nous vient à l’idée de tenter d’appliquer les charges en quinconce, aux quatre coins du pont, afin de tourner le tablier métallique. Deux charges de 3 kilos de nitroglycérine, et 2 de 1 kilo transmises par le Maquis.
Pour cette action, il fallait recenser des camarades afin d’assurer une protection. Gaston Houx, François Corneta furent disponibles ainsi que mon frère Henri.
Au soir fixé (je ne puis donner de date précise), nous nous rendons sur le pont, la nuit était calme. Nous plaçons nos quatre charges sous les angles du pont, en les reliant entre elle, avec du détonant « Cordon Bickford ». À une extrémité, j’ajoute 60 centimètres de mèche lente qui servira pour l’allumage, ainsi qu’un détonateur pincé à l’autre extrémité. Nous nous concertons pour le choix d’un lieu de sécurité, au moment de l’explosion. Au bord de la rivière, à une centaine de mètres, il y a de gros platanes dont les troncs peuvent nous abriter des éclats…
Les camarades se mettent à l’abri, je reste sur le pont pour allumer la mèche avec mon briquet. Une fois que la mèche commence à bruler, je pars en courant les rejoindre… Nous attendons l’évènement, mais après une demi heure d’attente, aucun résultat. Je décide donc de me rendre sur le pont et constate qu’une partie de la mèche avait brulé. Restent seulement quelques centimètres. Étant artificier en herbe, je fis une des plus grosses bêtises de ma vie… dans notre élan de jeunesse, nous avons bravé certains dangers ! Après avoir allumé de nouveau, je repars en courant à travers champs… J’étais au beau milieu du trajet retour, quand le pont saute, j’entendais autour de moi des « Plouf ! », « Plouf ! ». C’étaient des morceaux de ferraille! Par bonheur, aucun ne m’a atteint !
Après cette mission accomplie, chacun rentra chez soi.
Ce n’est que le lendemain, qu’à notre grande satisfaction, nous retrouvons notre pont, allongé dans la Sorgue. Il fut estimé d’un poids de 90 tonnes. Il subsiste encore à ce jour un pont identique à l’Isle sur la Sorgue.
Toujours dans ce mois de Juillet, je rencontre au Thor un ami. Maréchal-ferrant, Alphonse Bégou me fait part dans la discussion de ses activités de résistant avec Jules Ten de Lagnes et Jean Garcin de Vaucluse (aujourd’hui, Fontaine de Vaucluse). Jean Garcin, « Colonel Bayard »fut Président du conseil général du Vaucluse. C’était le trio militaire du Maquis du Chat sur la commune de Lagnes.
Il me demande s’il m’était possible de recevoir, au prochain parachutage, une certaine quantité d’armes. La proposition était intéressante, car au Maquis « Jean Robert », nous en avions peu ; Cela pouvait intéresser les deux camps. Quelques jours plus tard, je réceptionnais à la ferme de « La Pouyaque », à la tombée de la nuit, un camion. Lorsqu’il fut rentré dans le hangar et que nous avons levé la bâche, il y avait 6 conteneurs de 2 mètres de long qui contenaient des armes et 1 conteneur de 1 mètre rempli de plastic (nitroglycérine), détonateurs, mèches lentes, cordons « Bickford » ainsi qu’une pince métallique pour préparer le tout. Après avoir recouvert le chargement de foin, il était urgent de tout mettre en lieu sûr. Il fallut réquisitionner, le soir même, une équipe pour cette tâche. Ce fut François Corneta, Gaston Houx, Adrien Colomb , André Chabas, Marcel Jaufret, mon frère et mon père.
J’avais auparavant repéré une ferme abandonnée, quartier de « La Lyonnaise », un kilomètre après le quartier de « La Parisienne » à Velleron. Au clair de lune, par paquets sur le dos, tout fut en lieu sûr. Les bandes de balles du fusil-mitrailleur nous grattaient les côtes. Comme il fallait effacer toutes traces, les plus anciens ouvrirent une tranchée près du jardin avec pelles et pioches. Tout ce matériel métallique fut enfoui. Par les mois qui suivirent, tout cet armement partit par petites quantités vers le « Maquis du Chat » et le « Maquis Jean Robert ».
Jules Ten vint un jour avec un cheval et une charrette et du foin pour camoufler le chargement. Un soir d’août, alors que nous avions soupé, arrivent à la ferme de « Pouyaque » à Velleron, Sylvain Blanc et un autre camarade du Maquis Jean Robert. Ils arrivaient à pied car ils étaient tombés en panne dans le chemin de Malan avec le ravitaillement pour le camp. Ils venaient de charger à Velleron des biscuits de guerre et de la margarine qui étaient entreposés dans le hangar de Monsieur Bruna, Quartier Saint Michel. Après un coup de main à la biscuiterie de « La Pampa » à l’Isle sur la Sorgue, nous les fîmes manger et après avoir bricolé le véhicule, celui-ci a pu reprendre la route du camp.
En 1942-43, lorsqu’il y eut les arrestations des Juifs, deux familles marseillaises vinrent se réfugier à l’Isle sur la Sorgue. Ils s’appelaient Mestrano et Barquate. J’avais un cousin de Méthamis, Marcel Thome, qui était secrétaire de mairie à Blauvac. Celui-ci dérobait des tickets de pain et me les faisait parvenir à Velleron. Madame Mestrano, avec ses deux enfants en bas âge sur le vélo, venait chercher les tickets à la Pouyaque, afin de nourrir sa famille. Il y avait aussi des tickets pour le camp Jean Robert.
Durant le 1°trimestre 1944, deux réunions clandestines des États-majors F.T.P.F. de la région Sud eurent lieu, avec une protection armée de mon groupe. La première à La Grangette à Velleron, la deuxième au hameau de Thouzon, au Thor, chez Monsieur Féraud. Ces réunions étaient secrètes, nous n’avons eu aucune information sur les décisions prises.
Août 1944 vit l’exode de l’armée allemande. Les arrestations, les tortures et les exécutions furent nombreuses. Après Sarrians le 1°Août, ce fut le camp de Jean Robert qui subit des pertes. Un groupe de maquisards revenant d’une expédition arrive à la Ferme de Barbarenque, afin de soigner un blessé par accident. À ce moment-là, un groupe de SS encercle la ferme. Trois de nos camarades sont fusillés ainsi que mes deux cousins, enfants de la famille Pons.
Un monument a été érigé sur les lieux du supplice. Un rassemblement a lieu toutes les années, le 2 Août. Avec l’accord de la municipalité du Beaucet, une grande cérémonie a lieu sur la place du Maquis Jean Robert.
LA LIBERTÉ RETROUVÉE
À la Libération, les troupes allemandes se retirent sans dégâts. Avec mes camarades et en collaboration avec le comité de Libération, nous assurons la sécurité du village.
Nous pouvons offrir aux habitants des châtaignes venant de La Levade en Ardèche ainsi que des tonneaux de résinet cédés à bas prix par la distillerie Castelin de l’Isle sur la Sorgue, grâce à notre camarade Isidore Chalon qui y travaillait et qui participait avec nous à des actions de sabotage.
LE DEVOIR DE MEMOIRE
Après avoir fait ce récit simple de ces quelques années, voulant perpétuer la Mémoire avec mes camarades Résistants et Déportés par le contact avec des directeurs d’écoles et de collèges, nous organisons des conférences et des classes vertes.
Ces quelques années ont beaucoup marqué ma jeunesse. Ce que j’ai fait, s’il fallait le refaire, je suis partant afin que mon pays garde son indépendance et ses libertés, qui nous sont si chères.
Malgré cela, j’ai horreur des guerres. Je n’ai aucune haine contre le peuple allemand !
J’ai une correspondance suivie depuis longtemps avec des professeurs de ce pays, qui sont pour moi des amis intimes.
À Velleron,
Sylvain MEYER,
«Commandant Gervais».
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