1er août 1944 1er août 2013
Sarrians
Commémoration de l'assassinat Antoine Diouf et d'Albin Durand
Intervention de Roger Martin au nom du P.C.F
Il y a exactement 69 ans, SARRIANS se préparait à connaître la barbarie.
Le 1er Août 1944, en effet, sous la protection des troupes d'occupation, une bande de tueurs allait y semer la mort, s'en prenant, dans des circonstances effroyables, à ceux qui, loin de collaborer avec le régime pétainiste et l'Allemagne nazie, avaient permis l'organisation de la Résistance dans toute la région.
Mais, si vous le voulez bien, revenons à cette journée du 1er août 1944 et à ce qui l'avait précédé.
Sarrians ressemble alors à beaucoup de villages de Vaucluse. Dans la population, certains pactisent avec l'occupant, d'autres attendent, d'autres, enfin, ont choisi de lutter. Les collaborateurs sont étroitement liés au Parti Populaire Français et à la Milice. Au village, ces mouvements ont leurs indicateurs qui font remonter à Avignon les informations qui permettent de s'en prendre aux Résistants. Dans les rues de Sarrians, il n'est pas rare de rencontrer ces amis du PPF, et parfois même, des responsables de cette organisation.
Ainsi, deux jours plus tôt, ces 4 consommateurs, attablés au Café du Casino, observant les allées et venues sur la place. Parmi eux, on a pu reconnaître Jacques Tricon, responsable départemental du PPF. Il est clair que cette présence n'est en rien due au hasard. Quelque chose se prépare...
Le 1er août, vers 18h, la place connaît soudain une activité inhabituelle. Un milicien passe de bar en bar, des soldats allemands appartenant à l'unité stationnée au Château de Toureau depuis le 13 juillet précédent, occupent les lieux, six d'entre eux s'installant au Café du Casino. 7 autres individus arrivent à leur tour. Des civils, parmi eux les quatre hommes venus en repérage deux jours plus tôt. Tout va très vite. Le chef tire un coup de feu en l'air. Les soldats forcent les consommateurs de la terrasse à rentrer dans le café, cependant que sur la place éclate une fusillade. Ils sont 5 à essuyer les tirs. Marcel Chassillon, Angelo Grieco, Mme Pomarès, Paul Roux , qui décèdera et le résistant Lucien Faraud, qui succombera le 2 août à ses blessures.
À l'intérieur du café, un interrogatoire en règle a commencé. Le chef du commando présente une trentaine de photographies au patron. On y reconnaît, entre autres, Albin Durand, Bertin Gras, Cochet, des résistants, dont plusieurs communistes. Très vite, le commando se répand dans les rues de Sarrians, protégé par un détachement de soldats allemands. Un arrêt à la mairie, où, escortés par des autorités allemandes, ses membres obtiennent des renseignements sur certains administrés, puis la sinistre bande ne tarde pas à prendre la route du Château de Toureau, QG des forces allemandes.
La bande en question est composée de membres du Parti Populaire Français, ce parti fasciste créé par Jacques Doriot, dont la plupart des membres iront revêtir l'uniforme nazi pour combattre dans la Division SS Charlemagne. Il y a là Jacques Tricon, chef départemental, Pierre Terrier, ex-stagiaire à la 8ème compagnie de Waffen-SS de Pont-Saint-Esprit, puis secrétaire-interprète de la Gestapo, Robert Conrad, lui aussi interprète de la Gestapo, Jacques Tourrou, sans oublier un truand nîmois, Gaétan.
Le soir tombe lorsque, toujours sous protection allemande, ce joli monde fait irruption à la ferme d'Albin Durand. Ils rassemblent brutalement la famille Durand et Antoine Diouf, l'ouvrier agricole, mais surtout l'ami et le camarade d'Albin, dans la cour. Ils cherchent des armes. Ils n'en trouveront pas. Ils se déchaînent. Brutalités d'abord, puis tortures. Les femmes entendent les cris d'Albin et d'Antoine. Lorsque tout sera fini, Albin Durand aura "le cuir chevelu scalpé, la poitrine défoncée, les jambes et les bras sciés", Antoine Diouf, lui, a été "frappé, brûlé, ses muscles sont en tumeur, ses os cassés". Tous deux ont été achevés d'un coup de revolver.
Des décennies plus tard, malgré Oradour, malgré Villeneuve d'Asqu, malgré Valréas, malgré Le Beaucet et cent autres tragédies, le chef de l'extrême droite française osera déclarer qu' "en France, l'Occupation allemande n'a pas été particulièrement inhumaine, même s'il y eut des bavures, inévitables dans un pays de 550 000 mètres carrés». Des propos qu'on aimerait voir condamner par certains élus de notre département...
Voilà pour les faits.
Quant au pourquoi, on a évoqué diverses possibilités. Les tueurs recherchaient aussi Nick Stavisky, le gendre d'Albin. Ils voulaient également faire tomber le réseau FTP de la région. Sans doute, et d'ailleurs la ferme des Durand était un lieu de rendez-vous, une rencontre était prévue ce jour-là même, mais Albin pas plus qu'Antoine, n'ont parlé. Non, ce qui se fait jour de plus en plus clairement dans les travaux approfondis de l'Association des Amis d'Antoine Diouf et Albin Durand, c'est une monstruosité supplémentaire. La Libération est une question de jours. Certains redoutent que le Parti communiste prenne le pouvoir. Ici et là, se trament d'étranges négociations, des alliances contre-nature. En attestent par exemple l'Affaire Grandclément, ce résistant qui, dans le Sud-ouest, noue des liens avec les autorités allemandes pour tenter de liquider les maquis FTP de la région, ou la mort mystérieuse de l'ex-député communiste Emile Cossoneau,ou encore, dans diverses régions, l'exécution in extremis de résistants communistes de toute première importance...
Par les rapports d’indicateurs, par les lettres de dénonciation reçues au siège de la Milice, du PPF ou de la Gestapo, il apparaît qu'Albin Durand est un cadre communiste appelé à jouer d'importantes fonctions à la Libération. Son élimination apparaît alors comme essentielle et les hommes qui vont s'en charger ont vraisemblablement reçu des assurances sur leur sort après guerre. La mansuétude dont ils bénéficieront, leurs fonctions futures en Afrique du nord ou en Amérique latine, très au-dessus de ce que leurs piètres qualifications pouvaient les laisser espérer, en sont certainement une preuve.
"On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l'Histoire
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare"
Ces vers datent de 1962, lorsque Jean Ferrat, dont le père avait disparu à Auschwitz, indigné du silence enveloppant la déportation, écrivit Nuit et brouillard.
Aujourd'hui, force est de constater qu'un candidat à l'élection présidentielle a pu, dans la patrie de Guy Môquet, de Jean Moulin et du général de Gaulle, taxer de simples "bavures" des massacres comme ceux de Sarrians ou du Beaucet, comme il avait taxé de "simple détail de l'Histoire" les chambres à gaz!
Force est de constater, le fait est incontestable, qu'un député "centriste" a pu affirmer, s'agissant des tsiganes, victimes d'un génocide qui fit entre 600 000 et 700 000 victimes, "qu'Hitler n'en a pas tué assez".
Le Vaucluse, particulièrement éprouvé par la barbarie nazie et fasciste, puisqu'à Sarrians même on peut ajouter aux victimes mentionnées plus tôt, un enfant, Pierre Charasse, et le résistant Marius Bastidon, n'acceptera pas que le sacrifice de ceux qui ont mérité le titre de "patriotes résistants" soit oublié, mis sous le boisseau, que le temps soit venu où l'Histoire peut être livrée aux révisionnistes et négationnistes de tous poils, où les bourreaux peuvent tenir la plume pour la réécrire?
"Le ventre est encore fécond d'où a surgi la Bête immonde" avait écrit le grand dramaturge allemand Berthold Brecht.
En Hongrie, en Lituanie, en Lettonie, voici que s'érigent des monuments en l'honneur des SS. Nous n'en sommes pas là, certes, mais aujourd'hui, plus que jamais, l'esprit de la Résistance, celui du CNR, ce Conseil National de la Résistance qui sut fédérer toutes les composantes politiques et syndicales, unir dans le même combat celui qui croyait au ciel et celui qui n'y croyait pas autour de valeurs communes d'humanisme et de liberté, cet esprit donc doit être respecté et vivifié par notre engagement commun autour d'un mot d'ordre simple et direct: PLUS JAMAIS ÇA...