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Gabriel Colletis, auteur de « L’urgence industrielle », refait l’historique d’un carnage annoncé et décrypte l’inanité des options envisagées par le gouvernement pour le cas Alstom.

Ancien conseiller scientifique auprès du Commissariat Général au Plan jusque dans les années 2000, Gabriel Colletis est aujourd’hui professeur de sciences économiques à l’université de Toulouse 1. En 2012, il a publié L’urgence industrielle.

L’arrêt du site serait lié à un manque de commande. Pourtant le carnet d’Alstom est pour le moins plein ?

Très plein même. Mais la commande centrale, celle des Américains, n’a aucun effet en France au niveau de la production et peut-être même de la conception. Mais quand il y a eu cette commande, Alstom a tout de suite dit qu’il se sentait américain. On ne peut plus dire du groupe que c’est un champion national.

François Hollande dit vouloir développer la commande publique ?

Sauf que l’État n’existe plus comme une entité homogène et cohérente. La SNCF n’est plus une composante d’une politique publique d’ensemble où l’on considère le service rendu aux usagers mais aussi la politique industrielle. Alors quand le président parle de commande publique, il redécouvre quelque chose qui a disparu depuis 20 ans. Pourtant, c’est bien ainsi que les filières ont été construites.

L’État coordonnait les quatre fonctions indispensables à toute politique industrielle. Il était producteur, via des entreprises nationalisées ou des parts lui permettant de peser sur les décisions. Il était financeur, pouvant agir sur le crédit, sur le fonds de développement économique et social. Il était aussi chercheur, avec des laboratoires qui étaient mis au service du développement industriel. Enfin, il était acheteur. C’est cette cohérence qui s’est disloquée. Aujourd’hui, chaque acteur vit sa vie dans son coin sans coordination et avec pour principal objectif de réaliser un maximum de profit.

La politique industrielle actuelle se résume au CICE et à la baisse de charges. La seule qui perdure encore est au niveau des régions qui essayent encore de maintenir et promouvoir des politiques de filières, de soutenir des pôles d’excellence… Aujourd’hui, on parle d’Alstom mais on aurait aussi pu parler de la même manière au sujet de STX à Saint-Nazaire. C’était initialement le même groupe : la compagnie générale d’électricité dont les filiales étaient Alstom, Alcatel et les chantiers de l’Atlantique. C’était un groupe puissant qui a, depuis, complètement explosé.

Vous faites un lien entre la situation actuelle et la vente récente de l’activité énergie à General Electric ?

Avec cette cession, c’est 70 % du chiffre d’affaire qui a été cédé aux Américains en leur donnant également le contrôle de savoir-faire pourtant essentiel comme celui des turbines. Et le transfert de savoir-faire qui se faisait autrefois par les hommes au sein d’un même groupe ne peut plus avoir lieu. C’est la pire des décisions qui ait été prise.

 

Comment prôner la commande publique quand les appels d’offre sont verrouillés par le moins-disant et quand le respect des 3 % prive les collectivités de tous moyens ?

On ne peut effectivement pas parler de politique publique et en même temps jouer à fond le droit à la concurrence et la baisse des dépenses publiques. Ces deux dogmes doivent être remis en cause. Non seulement je ne suis pas persuadé de la nécessité de réduire les déficits mais quand bien même ce serait l’objectif, la baisse des dépenses publiques n’est pas le bon moyen pour y parvenir. Davantage de dépenses publiques permet en effet d’élaborer un nouveau modèle de développement qui va répondre à des besoins et soutenir l’économie. Et qui dit plus d’activité économique dit plus de rentrées fiscales.

Quant au droit de la concurrence, il ne fonctionne que dans le cadre très étroit de deux offres parfaitement comparables. Si on veut l’interpréter intelligemment, il faut procéder à des appels d’offre extrêmement ouverts. Aujourd’hui, en France, c’est l’inverse. L’appel d’offre fait 500 pages et est tellement détaillé que les entreprises ne peuvent agir que sur le prix. Et là, forcément, c’est le moins disant qui s’impose. En Allemagne, ces cahiers des charges font trois pages. Résultat, les propositions sont tellement différentes, qu’on ne peut pas les juger sur la seule question du prix.

Prétendre passer à une rentabilité à 7 % comme le fait Alstom n’oblige-t-il pas à penser à court terme quitte à se priver de savoir-faire ? N’est-ce pas un exemple de la financiarisation de l’économie ?

C’est effectivement une logique du très, très court terme et purement financière. On met souvent en avant les objectifs de compétitivité pour réduire les coûts. En réalité, baisser les coûts salariaux a, pour seul objectif, d’améliorer la rentabilité. Mais on ne peut évidemment pas le dire ainsi d’où la confusion orchestrée entre compétitivité et rentabilité. Alstom est un exemple type de ces stratégies financières. Et à mon avis, elle vise plutôt 10 % de rentabilité que le 7 % officiel. Pour y parvenir, il faut sacrifier les investissements, les emplois : bref, l’outil de production et les compétences.

Mais c’est la fin signé d’Alstom comme cela a été la fin signé d’Alcatel. Car cette stratégie n’a qu’un temps. Alstom n’est pas un cas isolé. Alstom est une caricature.

Que faire ?

Déclarer l’urgence industrielle. Considérer que toute la politique économique doit être organisée autour du renouvellement industriel. Il faut évidemment repenser cette politique industrielle en utilisant les quatre piliers cités précédemment qui, eux, ne sont pas obsolètes.

Entretien réalisé par Angélique Schaller
Article tiré de la Marseillaise  le 14 septembre 2016

Tag(s) : #SE FORMER - COMPRENDRE
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