Des médailles jetées à la poubelle. Le geste fort des soignants de l'hôpital Charles-Foix à Ivry-sur-Seine lors des « mardis de la colère » s’inscrit dans la vague de déception qui a submergé une majorité des acteurs du secteur en cette semaine d’ouverture du « Ségur de la santé ». « Nous avons bien compris que le gouvernement souhaitait poursuivre sa politique plus loin et plus fort, comme l'a exposé Édouard Philippe notamment sur le plan Ma santé 2022, déplore Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT santé-action sociale. On nous disait déjà à l’époque que c’était un moment historique, on commence à avoir l’habitude...
Pendant ces premiers jours, nous n’avons en revanche jamais entendu parler des effectifs à l’hôpital alors que c’est une question primordiale. »
Le sentiment est également mitigé du côté des internes en médecine. Comme le précise Justin Breysse, président de l’Isni (Intersyndicale nationale des internes), « nous avons exprimé à tour de rôle nos revendications mais ce n’était pas vrai -ment un dialogue. Il y avait beaucoup de représentants institutionnels, des directeurs d’hôpitaux et d’agences régionales de santé (ARS). Le premier ministre a estimé qu’il n’y avait pas de souci de gouvernance à l’hôpital, juste des problèmes de management, nous pensons au contraire qu’il faut remettre de la démocratie dans tout ça ».
« Les professionnels, les petites mains, ne sont pas écoutés »
Après un lancement en grande pompe lundi, la première journée de discussion mardi autour des carrières et rémunérations n’a pas laissé un souvenir impérissable. Alors que les participants avaient demandé le montant de l’enveloppe allouée pour les revalorisations salariales, ils se sont heurtés au silence avant de découvrir le lendemain dans les Échos que l’État pourrait débloquer 5 à 6 milliards d’euros par an pour les infirmiers et les aides-soignants, soit 250 euros brut par mois. « Il faut savoir quelle somme sera précisément dédiée aux salaires et si les dettes des hôpitaux ne rentrent pas dedans, poursuit Mireille Stivala. En ce qui nous concerne, nous sommes favorables à une augmentation du point d’indice de 20 % dans la fonction publique hospitalière. Il faut rendre nos métiers attractifs. Le gouvernement doit donner un signe fort maintenant et s’engager ensuite à poursuivre la discussion sur la durée. »
Les méthodes de sélection des acteurs du Ségur posent aussi problème. De nombreux collectifs et syndicats présents en visioconférence lors du raout médiatique du lundi n’ont, à leur grande surprise, pas été invités pour la suite. Jeunes médecins s’est ainsi vu claquer la porte au nez. « Le ministre de la Santé refuse qu’on vienne. On ne sait pas pourquoi, lance Emanuel Loeb, président de l’organisation, sauf que notre syndicat est représentatif, iis sont donc obligés de nous convoquer selon la loi. Notre avocat a déposé un référé liberté, nous aurons le résultat ce vendredi. Dans le discours d’Édouard Philippe, il y a des choses que l’on n’a pas du ^ tout comprises, comme la remise en cause du statut de praticien hospitalier, qui va à l’encontre des désirs de la profession. »
De leur côté, les paramédicaux se sentent une nouvelle fois la cinquième roue du carrosse.
Les infirmiers de bloc opératoire diplômés d’État (Ibode) ont fait part de leur déception de ne pas être conviés.
Une pilule qui a d’autant plus de mal à passer après la crise du Covid, où ils ont été en première ligne. « Comme d’habitude, les personnels du terrain, les petites mains, ne sont pas écoutés, lâche Rachid Digoy, président du collectif In terblocs.
On se sent méprisés alors que l’on a été surexposés au coronavirus, qu’on nous a transférés des blocs en réanimation et que nos plannings ont été changés de semaine en semaine.
Aujourd’hui, nous sommes en train de rattraper les opérations qui n’ont pas pu avoir lieu pendant le pic de la pandémie. Nous avons beaucoup de responsabilités pour un salaire de 1970 euros brut en début de carrière. »
Le collectif a d’ailleurs porté plainte contre les 32 CHU du pays pour mise en danger de la vie d’autrui à cause du manque persistant de masques FFP2 dans les blocs.
En pointe d’une mobilisation dans les services d’urgences depuis mars 2019 qui n’a cessé de s’élargir, le collectif Inter-urgences n’a également pas eu voix au chapitre. « Le ministère nous a répondu qu’il ne voulait pas des spécialités, détaille Hugo Huon, porte-parole du collectif. Pourtant, nous sommes au croisement de tous les services de l’hôpital, mais aussi de la médecine de ville, de la psychiatrie. Nous allons continuer à nous mobiliser, occuper le terrain à l’extérieur. »
Alors que ce Ségur devait être l’occasion de repenser de fond en comble le système de santé, des pans entiers du secteur se retrouvent invisibilisés. Les sages-femmes, dont l’activité n’a pas faibli durant la période du confinement, ont découvert, abasourdies, qu’il n’y avait aucun représentant de la périnatalité dans cette grande concertation. «À croire que la santé des femmes n’est pas importante, lance Caroline Combot, secrétaire générale de l’Organisation nationale syndicale des sages-femmes (ONSSF). Nous sommes pourtant en contact avec le ministère depuis des mois pour revoir les décrets de périnatalité qui sont en vigueur depuis vingt ans et obtenir plus d’effectifs. Nous sommes considérés comme du personnel médical, mais nous faisons partie de la fonction publique hospitalière. Nous sommes dans une situation spécifique avec des demandes spécifiques. »
Le doute plane sur une remise en cause des 35 heures
Autre motif d’inquiétude, même si mardi Nicole Notat, ex-secrétaire nationale de la CFDT et coordinatrice contestée du Ségur, a assuré que les 35 heures à l’hôpital ne seraient pas remises en cause, le doute plane.
Pour la docteure Anne Geffroy-Wernet, présidente du SNPhare, Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs, également non convié aux concertations : « Il ne faudrait pas que les avancées sur les rémunérations servent de contreparties pour faire sauter les 35 heures, sinon ça ne va pas le faire ! Le gouvernement dit qu’il veut aller vite. Mais ça fait dix ans qu’on démantèle l’hôpital. Aujourd’hui, 30 % des postes de réanimateur vacants sont pris par des contractuels et cela fait des années que les médecins en milieu de carrière n’ont rien obtenu en termes de revalorisations. J’ai des collègues qui veulent changer de métier depuis la crise du Covid. La colère est toujours là. »
Comme l’analyse Mireille Stivala, la stratégie de l’exécutif est claire. « Il s’agit de diviser entre les différents métiers alors que ce Ségur doit être un lieu d’expression large. Lors des interventions, on voit bien que Nicole Notat ne connaît aucun des acteurs de la santé. Ils veulent nous faire discuter en bilatérales alors que nous souhaitons des multilatérales. Nous n’avons aucune visibilité sur la suite au calendrier. Nous savons juste que nous serons en comité de pilotage le 5 juin et c’est tout. Nous n’avons jamais vu de telles méthodes de la part d’un gouvernement. »
Pour tous, les délais impartis pour aboutir à une rénovation du système, d’ici fin juin, avant une présentation du plan mi-juillet, sont juste intenables.
Le Ségur ne fait donc que renforcer la détermination. Ce jeudi, les « Je Dis Colère» ont battu leur plein dans de nombreux hôpitaux du pays, de Paris à Besançon en passant par Saint-Denis, pour maintenir la pression jusqu’à la mobilisation nationale du 16 juin prochain.
CÉCILE ROUSSEAU
L’Humanité 29 mai 2020
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