Il s’appelle Julien Aubert et il est député de notre département.
Aurait-il vécu au XIXe siècle qu’il aurait fait la joie des caricaturistes, à commencer par Daumier et nul doute que Victor Hugo, qui avait le verbe taquin, se fût fait un plaisir de lui donner une place de choix dans sa galerie des ambitieux, des courtisans et des nuisibles.
L’honnêteté la plus élémentaire m’oblige à avouer que je n’aime pas monsieur Aubert. Je sais, je sais, j’ai déjà dit dans les colonnes de Rouge Cerise tout le mal que je pensais d’autres gloires vauclusiennes, le gilet jaune fascisant et escroc Chalençon, l’avocat carpentrassien bleu marine que notre ami, le dessinateur François Corteggiani a immortalisé sous les traits d’Hervé le Lapinot, M.B. le colleur d’affiches préféré du FN et des organisateurs de concours « Soirées T-Shirts seins mouillés », l’ex-future députée Catherine Arkilovitch (qui devait « organiser la Résistance », sic et a disparu plus vite qu’elle n’était venue), l’ex-futur maire de Carpentras, ex-futur conseiller général d’Orange, ex-futur maire d’Avignon, Farid Farissy, et quelques comparses plus insignifiants, mais cette fois, c’est le pompon.
Que monsieur Julien Aubert, sous prétexte qu’il a commis un livre dont le style aurait fait frémir celui dont il prétend être l’héritier, j’ai nommé le Général de Gaulle, se laisse présenter dans les allées de la Journée du Livre de Sablet comme écrivain, bof, il n’y a guère là que péché de vanité.
Que le même, Pic de la Mirandole[1] du XXIe siècle, multiplie les interventions, de l’élevage des papillons à la physique quantique avec à peu près autant de compétences que les frères Bogdanov, n’imitant cependant que leurs outrances verbales, se contentant, pour sa part, de ne se gonfler que de vent, il n’est pas le premier.
Que plus récemment, abusant de son titre de secrétaire-adjoint de LR, il ait créé son propre appendice politique, Oser la France ( inspiré, paraît-il, par le « Oser José » de la série Scènes de ménage), lancé sa petite campagne de promotion et évoqué certaines convergences entre ses idées et celles d’autres visionnaires comme Arnaud Montebourg, qui semble avoir oublié certaines propositions économiques qu’il partageait avec Emmanuel Macron quand tous deux se réclamaient (si, si, ne rions pas, ou jaune !) de la Gôôôche, après tout, je m’en tape.
Mais qu’il ait été un des initiateurs de l’infamie orchestrée par le député Sylvain Maillard (à laquelle, hélas, le député La Rem Adrien Morénas, alors en exercice, avait donné son aval) conduisant à assimiler antisionisme et antisémitisme, a de quoi scandaliser tous ceux qui, et depuis des décennies, n’ont jamais baissé la garde dans la lutte contre l’extrême-droite, le racisme, les discriminations et, puisque monsieur Aubert semble ne connaître que celui-là, un antisémitisme qui après l’Affaire Dreyfus, n’a trouvé d’abri et de porte-paroles que dans les rangs de partis d’extrême-droite, certes, mais aussi de droite tout court.
Plus récemment encore, Monsieur Aubert, dans un pensum de cinquante pages, « Livret tricolore sur les Islams de France », écrit lui aussi dans un français très approximatif, cherchant sans doute à rivaliser avec Thierry Mariani (celui-là même qui se présentait comme le recours vauclusien contre l’extrême-droite avant de rallier Madame Le Pen) multiplie les « propositions fortes ». Parmi elles, Oser la France, reprenant une injonction d’Eric Zemmour, entend imposer à tout nouveau naturalisé de prendre un prénom dans le calendrier : « Faire ce choix démontre que l'on souhaite s'intégrer » assène donc Julien Aubert.
Donc, finis les Karim, Naïma, Mike, Eileen, Williams, Sacha, Miguel, Habiba, Yvan, Stanislas, et place à Modeste, Paterne, Pélagie, Sidonie, Ignace et Médard ?
Pas du tout. On a bien compris que tous les prénoms ne sont pas égaux devant la loi selon Saint Julien Aubert. Car le but de la manœuvre est d’éliminer les prénoms aux consonances arabes. Les Steevy, Berenysse, Maureen, Brandon, Ashley, Callie, Tyson, Lyndsay et autres Dylan n’ont rien à craindre et les parents pourront continuer à chercher leur inspiration dans les feuilletons et les émissions de télé-irréalité de M6 et C8. Et d’ailleurs, Julien Aubert a mal épluché le calendrier, sinon il y aurait découvert des Larissa, des Zita, des Ulrich, des Natacha, des Raïssa, des Venceslas et des Habib.
Et même Narcisse, au cas où il se chercherait un nouveau pseudo pour Tweeter.
Mais, sans se soucier des attaques perfides que suscite son amour de la France et sans doute de la morale et de la religion de la Fille aînée de l’Église, Julien Aubert a trouvé une nouvelle cause. Voilà qu’il a pris la tête d’une campagne, avec neuf autres députés (mais c’est lui le chef, hein, qu’on se le dise !) pour demander des poursuites contre l’actrice Corinne Masiero, coupable « d’exhibition sexuelle à la vue de tous, acte puni d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Alors on a du mal à comprendre: aux Molière 2015, le comédien Sébastien Thiéry s’est promené sur scène dans le plus simple appareil, sans que Julien Aubert s’émeuve. Doit-on conclure :
- qu’il regarde les Césars mais pas les Molière ?
- que Sébastien Thiéry s’est livré à une « performance » mais Corinne Masiero à une « exhibition » ?
- que ce chef d’œuvre absolu de la littérature française qui s’intitule La Guerre des boutons et que son auteur, qui ne craignait pas des scènes que Julien Aubert ferait interdire aujourd’hui, l’instituteur laïque Louis Pergaud, antimilitariste et pacifiste, n’a pas profité de son Prix Goncourt pour esquiver la Guerre de 14-18 et a trouvé la mort en Meuse, sous les obus de l’Armée française alors qu’il avait été blessé et qu’il a lui « osé la France » jusqu’à en mourir, devrait être exclu des bibliothèques ?
- que le député d’un parti dont on ne compte plus le nombre de parlementaires mis en cause dans des affaires scabreuses où le marigrivaudage le dispute au massage plantaire n’a pas d’autres chats à fouetter ?
- que Julien Aubert saute sur toute occasion de faire parler de lui et qu’on attend sa future proposition de faire arrêter le sieur Courbet pour son tableau obscène L’Origine du monde ?
- que Julien Aubert n’est pas à une contradiction près, lui qui, dans son « Livret tricolore » propose d’« interdire le voile aux mineures au motif qu’il entraînerait carences en vitamine D et chute des cheveux » mais s’offusque que la comédienne l’ait pris au pied de la lettre et procédé à un dévoilement intégral de manière prophylactique!
La réalité, c’est que ce n’est pas la nudité de l’actrice (après tout le roi est nu aussi dans Shakespeare et il y a belle lurette que les nudistes ont envahi les planches), qui a choqué Monsieur Aubert. Comme il n’est ni Stéphane Tapie, fils de, qui a traité Corinne Masiero de « laideron », ou Élisabeth Lévy, du site ultraréactionnaire Causeur, qui a répandu sa haine sur toutes les chaînes qui font leur miel de ses éructations, ni Isabelle Balkany, haute figure morale que son bracelet électronique n’empêche pas d’être vedette chez Hanouna, Julien Aubert manifeste la dignité que lui impose son mandat politique. Comme à Roselyne Bachelot, intermittente, oui, mais de l’émission culturelle Les Grosses Têtes, ce qui lui a été insupportable, c’est le NO CULTURE, NO FUTUR, c’est le REND l’ART JEAN, c’est la défense des intermittents, que Corinne n’a jamais menée par intermittences, mais totalement et depuis longtemps, et son franc-parler, sa sincérité, son refus de se renier, sa fidélité à ce qu’elle a été et à ce d’où elle vient, qui lui fait, depuis des années, dès le théâtre, Louise Wilmer et Les Invisibles, bien avant le succès de Capitaine Marleau, se tenir dans le camp des petits, des obscurs, de ceux qui souffrent et qui luttent, comme en 2018, solidaire des cheminots en grève.
Julien Aubert le sait bien au fond. Il a beau, avec ses amis, prétendre que la lutte de classes c’est ringard et dépassé, elle est là, toujours, parfois malhabile, parfois étouffée, parfois ridiculisée, parfois écrasée, mais toujours renaissante et indomptable, et, en ce mois de mars 2021, où nous fêterons le 150e anniversaire de la Commune de Paris, on préfèrera toujours, chez Rouge Cerise, le Temps des Cerises à la Semaine sanglante, Louise Michel à Roselyne Bachelot, les Communards aux Versaillais et Corinne Masiero à Julien Aubert.
(Une rectification : Julien Aubert n’aborde pas tous les sujets, Julien Aubert ne se montre pas partout. Peu de risque de le rencontrer devant Eurenco à Sorgues la semaine dernière, ou avant-hier au Tribunal d’Avignon où l’on avait convoqué deux délégués de la CGT).
Roger Martin
[1] Pic de la Mirandole (1463-1494) : assoiffé de connaissances, d’une curiosité intellectuelle prodigieuse, avait publié à l’âge de 23 ans, plus de 900 contributions sur des sujets variés.