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Mark Sherringham vient d’être nommé à la tête du Conseil supérieur des programmes de l'Éducation nationale. Il est l'auteur de propos ambigus sur la laïcité, affirme les liens entre religion et éducation et soutient les écoles privées hors-contrat...

Cela est grave car le Conseil supérieur des programmes est appelé, notamment, à "émettre des avis et formule des propositions sur:

  • la conception générale des enseignements dispensés aux élèves des écoles, des collèges et des lycées et l’introduction du numérique dans les méthodes pédagogiques et la construction des savoirs ;
  • le contenu du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des programmes scolaires, en veillant à leur cohérence et à leur articulation en cycles, ainsi que les modalités de validation de l’acquisition de ce socle ;"

Avec la nomination de Marc Sherringham, dont les convictions sont analysées dans l'article de Paul Devin  ci-dessous,  de Blanquer se donne un atout supplémentaire pour orienter l'Éducation nationale dans son sens,  celui de la Finance! 

Enver

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Sur le Site du Club Mediapart

Mark Sherringham vient d’être nommé à la tête du Conseil supérieur des programmes en remplacement de Souâd Ayada. L’information a fait rapidement réagir sur les réseaux sociaux, Mark Sherringham étant connu pour avoir régulièrement exprimé son souhait d’un retour du christianisme dans les questions éducatives.


 
 

L’école moderne et la question religieuse : héritage ou rupture ?
Ce souhait d’un retour du religieux se fonde sur un constat : « l’École laïque française est […] l’héritière de l’École chrétienne[1] ». L’analyse sociohistorique de notre système scolaire ne peut raisonnablement pas admettre une telle filiation. Il ne s’agit pas de nier que l’école française ait été pendant de longs siècles entre les mains de l’Église et que cette histoire ait influencé la pensée pédagogique comme l’organisation scolaire.

Mais cela ne peut s’exprimer dans les termes d’un héritage parce que ce qui caractérise la construction de l’école laïque républicaine est une volonté de rupture et non l’acceptation d’un legs.  Même chez ceux qui, à la fin du XIXe siècle, ont la vision d’une rupture progressive et non celle d’un combat antireligieux, par exemple chez Jules Ferry et Ferdinand Buisson, la volonté de rompre n’en est pas moins déterminée. Et leur volonté de garantir la liberté religieuse ne renonce pas à la nécessité d’une séparation, d’une rupture.
 

Pour Mark Sherringham, cet héritage chrétien est tel qu’on lui doit l’essentiel des principes, des méthodes et des organisations de notre école : « Si l’on devait un moment faire abstraction des principes, des contenus, des méthodes et des institutions que le christianisme a directement proposés et développés en France et en Europe, depuis deux mille ans, notre système éducatif actuel serait vidé d’une bonne partie de sa substance[2] ». En définitive, pour Sherringham, l’école républicaine n’est pas grand-chose puisque sa « substance », pour une bonne part, est l’héritage des écoles chrétiennes. Il veut inscrire une telle affirmation, aux mépris d’une objective analyse sociohistorique, dans une vision postmoderniste qui affirme le retour vers les fondements religieux de l’éducation[3].


Car pour Marc Sherringham, il faut dépasser une modernité qui portait la volonté de s’affranchir du joug des religions par « l’ambition d’apporter des réponses nouvelles et satisfaisantes aux vieilles interrogations et inquiétudes qui servaient de terreau à la foi religieuse[4]. » : une volonté de stigmatiser la raison moderne parce qu’elle aurait mis en doute les croyances par ses volontés rationnelles. Faudrait-il que les futurs programmes renoncent à distinguer connaissances et croyances au prétexte que la raison moderne soit considérée comme un mythe de progrès ?  Et Marc Sherringham de conclure à la nécessité d’interroger « la volonté laïque de cantonner la religion à la sphère des opinions privées ».
Nombre de ses amis vont plus loin encore, se demandant comment la laïcité peut échapper au risque de promouvoir l’athéisme[5]. Une crainte qui conduit Mark Sherringham a mettre en cause le principe laïc.


Dans une table ronde organisée au CIEP[6], le 29 avril 2004, il affirme : « La laïcité ne sera capable d’une refondation et d’un renouvellement que si elle accepte de penser à nouveau la relation de la vérité et des religions et de considérer que la religion n’est pas seulement un problème culturel mais bien une voie d’accès à la question des finalités ultimes de l’humanité ». Une telle perspective spirituelle ne peut raisonnablement être donnée à l’enseignement du fait religieux sauf à vouloir renoncer à la laïcité.


 
Militer pour l’école privée
Mais Mark Sherringham n’est pas seulement un philosophe convaincu d'un fondement religieux de toute éducation, c’est aussi un militant pour l’école privée hors contrat. Ne craignant aucune contradiction avec sa mission d'inspecteur général, il intervient comme formateur, en janvier 2020, pour l’association « Créer son école » fondée par Anne Coffinier, dans le but d’aider à la création d’écoles privées hors contrat. En 2020, la même Anne Coffinier a fondé Kairos, présidée par Xavier Darcos dont le but annoncé est de soutenir financièrement les écoles privées. Un réseau où se mêlent les amitiés anciennes, celles par exemple des années 1990 où Sherringham était président du conseil de la faculté de théologie protestante d’Aix en Provence, puis celles des années 2000 aux cabinets de Fillon puis de Darcos.


Dans leur livre « L’école hors de la République », Jacques Duplessy et Anna Erelle racontent comment Mark Sherringham est intervenu, en juillet 2020, pour que les élèves d’écoles privées bretonnes obtiennent le baccalauréat que le Rectorat leur refusait faute d’un dossier complet de contrôle continu. Parmi ces écoles, une de la fraternité sacerdotale Pie X qui constitue le réseau des écoles catholiques intégristes. La Fondation pour l’école a manifestement été à la manœuvre[7] et obtenu que Sherringham fasse pression sur le recteur de Rennes.


D’évidence le réseau de soutien aux écoles hors contrat pourra compter sur Mark Sherringham.


Le paradoxe est que celui-là même qui préside la conception des programmes nationaux œuvrera donc à la défense d’écoles dont le choix fondamental est donc de vouloir s’y soustraire puisqu’elles revendiquent le hors-contrat dans cette finalité.

 

Par Paul Devin (*)
Mediapart, 11 02 22

 

(*) Syndicaliste, Paul Devin a été inspecteur de l'Education nationale et secrétaire général du SNPI-FSU. Il est actuellement le président de l'Institut de Recherches de la FSU

 

[1] Mark SHERRINGHAM, Réintroduire le christianisme dans le débat éducatif, Famille chrétienne, 29/12/2009

[2] Mark SHERRINGHAM, Christianisme et éducation, Commentaire, vol. 96, no. 4, 2001, pp. 837-844.

[3] Catherine FINO, Trois pédagogies chrétiennes au défi de l’humanisation en postmodernité. Conviction de foi, anthropologie et pragmatisme aux frontières, Transversalités, vol. 141, no. 2, 2017, p. 7

[4] Mark SHERRINGHAM, Croire aujourd’hui : point de vue d’un philosophe, La revue réformée n°213

[5] Willam EDGAR, Le protestantisme aujourd’hui, défis et perspectives d’avenir, La revue réformée n°231, janvier 2005

[6] André BLANDIN, André LEGRAND, Philippe LE GUILLOU, Mark SHERRINGHAM et Jean-Paul WILLAIME, Le religieux et l’école en France, Revue internationale d’éducation de Sèvres,n°36, 2004, pp.49-70

[7] L’incorrect, 10 juillet 2020

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Tag(s) : #EDUCATION
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