La guerre en Ukraine suscite, et c’est compréhensible, de nombreuses réactions chez les lectrices et lecteurs de Rouge Cerise.
L' un d'eux nous a adressé la tribune libre ci-dessous. Nous la publions comme une contribution au nécessaire débat, tout en précisant qu'elle ne reflète ni les positions ou analyses du Parti communiste, affichées clairement dans sa campagne par Fabien Roussel, ni d’ailleurs celles de la section Oswald Calvetti .
Bonne lecture.
RC
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Les informations qui prétendent couvrir la guerre en Ukraine s’en tiennent bien souvent aux conséquences dramatiques vécues par les populations, jouant ainsi sur la corde la plus sensible. De plus, elle nous est présentée comme le fait de la volonté d’un seul homme, face auquel le peuple ukrainien résiste, mené par un guide courageux.
Ainsi, comme toujours, sont évacués les fondamentaux. Rien n’est faux ou presque dans les informations diffusées par les sources sérieuses d’information. Mais l’essentiel est tu. L’essentiel, comme la réflexion sur l’essentiel.
Soyons clair et appelons un chat un chat. Ce conflit est une énième guerre inter-impérialiste. Rappelons d’abord que l’impérialisme est, au sens marxiste, le stade suprême du capitalisme lorsque, pour faire face à la baisse tendancielle du taux de profit, il cherche à étendre le périmètre de son exploitation. Et que, pour résoudre sa crise structurelle, il utilise l’ultime moyen à sa disposition : la guerre. Il y a en ce moment-même dans le monde trente-et-une régions dans lesquelles un conflit armé est en cours, l’un au moins des belligérants étant soutenu par un des impérialismes cités plus bas. Et si l’autocrate du Kremlin, quasi président à vie, rêve de restaurer l’empire tsariste, c’est au service du capitalisme russe.
Pourquoi guerre inter-impérialiste ?
Plusieurs impérialismes dominent le monde, chacun ayant son pré carré : le capitalisme nord-américain et ses satellites ; le capitalisme chinois ; le capitalisme russe ; et le capitalisme européen. Les systèmes politiques qui y sont associés sont désormais des oligarchies, c’est à dire des systèmes dominés par un tout petit nombre : la classe dominante. Les oligarques n’exercent pas directement le pouvoir qui est délégué à des valets, placés à la tête des états ou des organismes internationaux, ces valets étant contrôlés par ce qu’il est convenu d’appeler des lobbies.
On connaît bien les oligarques français, les Bolloré, Arnaud, Bouygues, Dassault… qui concentrent le pouvoir économique et contrôlent les médias. En Chine, première puissance capitaliste au monde, ils ont même colonisé les directions du parti «communiste», dévoyant ainsi au profit de leurs intérêts un outil qui fut à l’origine émancipateur !
Les intérêts de ces castes capitalistes sont toujours à la fois divergents et complémentaires. On le voit bien à travers l’exemple des dirigeants allemand et français, les anciens chancelier socialiste Schroeder et premier ministre Fillon, qui se sont vendus au service de Gazprom, monopole russe du gaz et du pétrole. Puis quand ces divergences s’exacerbent et mettent en cause leur domination, ils ont recours à la guerre, en l’occurence sous forme de guerres régionales. Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage, nous avons aujourd’hui l’illustration de cet adage.
On voit bien en Ukraine les enjeux : marchés et circulation du pétrole et du gaz, marché des armes, marché des céréales, marchés financiers et… futurs marchés de la reconstruction. Certaines officines n’en appellent-elles pas aujourd’hui à investir dans les valeurs d’avenir… celles ouvertes par la guerre en Ukraine ! Quel cynisme !
Le mécanisme de la guerre se met toujours en place des années à l’avance. Il s’agira ensuite, le moment venu, de provoquer le camp d’en face désigné comme ennemi potentiel. C’est ce qui a été fait par l’OTAN dans les pays baltes, la Roumanie ou la Pologne par exemple qui ont accueilli ses bases. Ainsi, des forces états-uniennes, mais aussi françaises, sont depuis des années installées à quelques encablures de la frontière russe. Pas pour jouer à la belote, mais pour livrer une partie d’échecs à l’échelle du monde. Et le pion ukrainien avait été avancé, au nom de la liberté, depuis la destitution du président ukrainien pro-russe en 2014.
Imaginons un instant que l’impérialisme russe, ait corrompu les état belge ou portugais pour disposer en Belgique ou au Portugal ses bases militaires, et imaginons ce qu’aurait été la réaction des pays européens ! Souvenons-nous aussi de la réaction états-unienne au moment de l’affaire des missiles de Cuba.
Quant à l’influence des néo-nazis ukrainiens, ce n’est pas tout à fait une invention de l’autocrate du Kremlin. Reprenez les reportages [1] sur la révolution Maïdan de 2014 : même minoritaires, ces forces fascistes étaient bien déjà en place à cette époque. Elle se sont fédérées depuis. La chaîne publique française d’information continue, puis France 2 ont montré il y a quelques jours un reportage sur le bataillon Azov, ancienne milice d’inspiration nazie posant devant le drapeau à croix gammée et arborant l’insigne de la division SS Das Reich. Ce bataillon a été intégré à l’armée ukrainienne depuis 2014. Notre chaîne nationale y relayait même les soupçons de crimes de guerre de cette unité dans le Dombass. La BBC révèle que V. Troyan, dirigeant du bataillon Azov, avait été nommé en 2017 vice-ministre de l’intérieur ukrainien, mais il a été limogé depuis [2]. Ainsi le pouvoir ukrainien aurait bien entretenu des rapports troubles avec les néo-nazis. Mais, selon la même source, il en va de même du pouvoir russe qui hébergerait à St-Petersbourg le dirigeant du groupe néo-nazi américain The Base. Le but affirmé du président russe de dénazifier l’Ukraine est donc bien un prétexte. C’est au contraire la guerre qui donne des moyens nouveaux de s’affirmer aux néo-nazis. Comme elle donne aux va-t’en-guerre européens et à l’OTAN l’occasion de se renforcer.
La guerre en Ukraine, au mépris de ses malheureuses victimes, aura pour effet une transformation profonde des relations de marché et des relations internationales : approvisionnement en gaz et pétrole russes abandonné au profit du pétrole et du gaz de schiste nord-américain ; construction de terminaux méthaniers en Europe ; recomposition mondiale des marchés des céréales ; hausse durable des prix de l’énergie et des céréales (qui avait commencé, notons-le, bien avant la crise ukrainienne) ; renforcement sans précédent de l’OTAN ; remise en cause des accords de désarmement conclus au siècle dernier… La guerre en Ukraine va ainsi générer des profits colossaux pour les multinationales de l’agro-alimentaire, de l’énergie et du BTP, ainsi que pour le secteur de l’armement. Et par ruissellement sur l’ensemble des bourses mondiales.
Après la pandémie due au Sars-Cov-2, la guerre inter-impérialiste, qui se mène au détriment des malheureux peuples ukrainien et russe, mais aussi des peuples du monde, est une aubaine pour le capitalisme mondialisé.