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Aurélien Soucheyre Lundi, 21 Septembre, 2015 L'Humanité
 
Dans le Vaucluse, un maire Front national a fait retirer de sa mairie l’affiche d’un film qui raconte l’histoire d’amour de deux femmes.

Dans la mairie de Camaret-sur-Aigues, l’affiche a disparu. La photo de deux femmes amoureuses, radieuses, sur le point de s’embrasser, n’est plus là. Sur le site Internet de cette municipalité du Vaucluse, la programmation du film a été retirée. La Belle Saison, de Catherine Corsini, ne plaît pas au maire Front national, Philippe de Beauregard. « Il nous a dit que ce film n’était pas compatible avec ses idées, que certaines scènes étaient choquantes et qu’il ne voulait pas en faire la promotion », a regretté Christophe Ricard, directeur de Cinéval, cinéma itinérant qui projette des films dans une vingtaine de communes du Vaucluse.

Le maire, qui n’a pas fait enlever les affiches du film dans le reste du village, n’a pas empêché sa diffusion, qui a eu lieu à Camaret-sur-Aigues, le 17 septembre. Mais sa charge symbolique et son opposition médiatique interrogent. Que reprocher à ce long métrage qui raconte une histoire d’amour entre deux femmes et montre leur chemin parfois douloureux et inégal vers l’émancipation ? « Ce film est émaillé de scènes érotiques en gros plan », exagère le maire au sujet d’une œuvre classée à juste titre tout public et présélectionnée pour les oscars. « L’histoire aurait concerné un couple d’hétérosexuels, j’aurais eu la même réaction », ajoute l’édile. Argument classique. Mais si l’élu n’est pas homophobe, le voilà pudibond. Hostile et fermé à l’art quand un corps se dévoile.

« À vous croire, on devrait rhabiller les statues de nus, mettre un voile sur les peintures de Courbet, Manet, Renoir. Nous devrions aussi interdire les musées à la jeunesse ! » l’apostrophe la réalisatrice Catherine Corsini. Avant de revenir à la charge : « Ce qui vous trouble, est-ce de voir deux femmes s’aimer ? »

Force est de constater que, lorsqu’un film déplaît à un maire, c’est souvent quand des amours homosexuels s’y épanouissent. En 2013, les affiches de l’Inconnu du lac, d’Alain Guiraudie, avaient été retirées à Versailles et à Saint-Cloud par les maires UMP. Deux hommes s’y embrassaient.

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Lettre ouverte de Catherine Corsini à M. Philippe de Beauregard (Maire de Camaret-sur-Aigues)

« Cachez ce sein que je ne saurais voir » (Molière)

A vous en croire, Monsieur Philippe de Beauregard, on devrait rhabiller les statues de nues, mettre un voile sur les peintures de Courbet, Manet, Renoir et de tous les peintres qui ont su croquer la nudité avec réalisme. Nous devrions aussi interdire les musées à la jeunesse, fermer les salles qui montrent des corps de femmes entre elles, nus, alanguis, accouplés dans des poses suggestives.

Ce qu'on voit dans La Belle Saison, c'est la nudité des corps, dans leur liberté, dans leur beauté et dans leur insouciance face au désir

Pourtant, la nudité dans l’art est apparue dès les premiers dessins de l'époque préhistorique. La nudité féminine était là, bien avant l'apparition de la religion chrétienne, symbole de fertilité, d'érotisme, et symbole de la famille.

Ce qu'on voit dans La Belle Saison, c'est la nudité des corps, dans leur liberté, dans leur beauté et dans leur insouciance face au désir, ce sont les visages, les rires, les sourires de deux femmes qui évoquent l'appétit de la vie. Est-cela qui vous choque? Est-ce la caméra qui découvre les poils pubiens d'une actrice, en gros plan comme un tableau, qui vous trouble, ou est-ce de voir deux femmes s’aimer ?On se demande qui est le pervers dans l'accusation que vous portez au film

Ce procès d'intention pourrait faire sourire, tant ni le film en salles depuis des semaines, ni l'affiche placardée dans toute la France n'ont suscité de polémique. Mais vous n'en êtes pas resté aux mots et vous avez fait retirer l'affiche de votre mairie et de votre site internet, ce qui constitue un acte autoritaire, intolérable. On se demande qui est le pervers dans l'accusation que vous portez au film. Monsieur, votre censure s’inscrit dans une lignée qu’on connaît bien, c’est celle qui, il y a quelques mois voulait faire interdire l’affiche de L’Inconnu de lac d’Alain Guiraudie, celle qui sous couvert de protéger les valeurs familiales, répand les passions tristes et la haine du corps.

Mais souvenons nous que c’est cette censure qui s'est attaquée aux poèmes de Baudelaire, pour qu’on ne l’entende jamais parler dans Lesbos de « baisers chauds comme les soleils » de « baisers qui sont comme les cascades orageux et secrets, fourmillants et profonds », des « filles aux yeux creux, de leur corps amoureuses ». « Car Lesbos entre tous m'a choisi sur la terre pour chanter le secret de ses vierges en fleurs ».


Catherine Corsini

Tag(s) : #CULTURE
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