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MOND

 

En commémoration de la nomination le 4 août 1983, de Thomas Sankara a la présidence du Conseil national révolutionnaire du Burkina Fasso voici un extrait d'un discours qu'il prononça devant l’ONU le 4 octobre 1984. Plus de trente ans plus tard les thèmes abordés sont encore et toujours d’actualité.

 

(...)  Permettez, vous qui m’écoutez, que je le dise : je ne parle pas seulement au nom du Burkina Faso tant aimé mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part.

Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire ou qu’ils sont de culture différente et bénéficient d’un statut à peine supérieur à celui d’un animal.

    Je souffre au nom des Indiens massacrés, écrasés, humiliés et confinés depuis des siècles dans des réserves afin qu’ils n’aspirent à aucun droit et que leur culture ne puisse s’enrichir en convolant en noces heureuses au contact d’autres cultures, y compris celle de l’envahisseur.

    Je m’exclame au nom des chômeurs d’un système structurellement injuste et conjoncturellement désaxé, réduits à ne percevoir de la vie que le reflet de celle des plus nantis.

    Je parle au nom des femmes du monde entier, qui souffrent d’un système d’exploitation imposé par les mâles. Pour ce qui nous concerne, nous sommes prêts à accueillir toutes les suggestions du monde entier, nous permettant de parvenir à l’épanouissement total de la femme burkinabè. En retour, nous donnons en partage à tous les pays, l’expérience positive que nous entreprenons avec des femmes désormais présentes à tous les échelons de l’appareil de l’État et de la vie sociale au Burkina Faso. Des femmes qui luttent et proclament avec nous, que l’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son sort. Cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère et nous en appelons à toutes nos sœurs de toutes les races pour qu’elles montent à l’assaut pour la conquête de leurs droits.

    Je parle au nom des mères de nos pays démunis, qui voient mourir leurs enfants de paludisme ou de diarrhée, ignorant qu’il existe, pour les sauver, des moyens simples que la science des multinationales ne leur offre pas, préférant investir dans les laboratoires de cosmétiques et dans la chirurgie esthétique pour les caprices de quelques femmes ou d’hommes dont la coquetterie est menacée par les excès de calories de leurs repas trop riches et d’une régularité à vous donner, non, plutôt à nous donner, à nous autres du Sahel, le vertige. Ces moyens simples recommandés par l’OMS et l’UNICEF, nous avons décidé de les adopter et de les populariser.

    Je parle aussi au nom de l’enfant. L’enfant du pauvre, qui a faim et qui louche furtivement vers l’abondance amoncelée dans une boutique pour riches. La boutique protégée par une vitre épaisse. La vitre défendue par une grille infranchissable. Et la grille gardée par un policier casqué, ganté et armé de matraque. Ce policier, placé là par le père d’un autre enfant qui viendra se servir ou plutôt se faire servir parce que représentant toutes les garanties de représentativité et de normes capitalistiques du système.

    Je parle au nom des artistes (poètes, peintres, sculpteur, musiciens, acteurs), hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l’alchimie des prestidigitations de show-business.

    Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge pour ne pas subir les dures lois du chômage.

    Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l’esclavage modernes.

    Mon pays est un concentré de tous les malheurs des peuples, une synthèse douloureuse de toutes les souffrances de l’humanité, mais aussi et surtout des espérances de nos luttes. C’est pourquoi je vibre naturellement au nom des malades qui scrutent avec anxiété les horizons d’une science accaparée par les marchands de canons. Mes pensées vont à tous ceux qui sont touchés par la destruction de la nature et à ces trente millions d’hommes qui vont mourir comme chaque année, abattus par la redoutable arme de la faim.

    Militaire, je ne peux oublier ce soldat obéissant aux ordres, le doigt sur la détente, et qui sait que la balle qui va partir ne porte que le message de la mort.

    Enfin, je veux m’indigner en pensant aux Palestiniens qu’une humanité inhumaine a choisi de substituer à un autre peuple, hier encore martyrisé. Je pense à ce vaillant peuple palestinien, c’est-à-dire à ces familles atomisées errant de par le monde en quête d’un asile. Courageux, déterminés, stoïques et infatigables, les Palestiniens rappellent à chaque conscience humaine la nécessité et l’obligation morale de respecter les droits d’un peuple : avec leurs frères juifs, ils sont antisionistes.

Aux côtés de mes frères soldats de l’Iran et de l’Irak, qui meurent dans une guerre fratricide et suicidaire, je veux également me sentir proche des camarades du Nicaragua dont les ports sont minés, les villes bombardées et qui, malgré tout, affrontent avec courage et lucidité leur destin. Je souffre avec tous ceux qui, en Amérique latine, souffrent de la mainmise impérialiste.

Je veux être aux côtés des peuples afghan et irlandais, aux côtés des peuples de Grenade et de Timor Oriental, chacun à la recherche d’un bonheur dicté par la dignité et les lois de sa culture.

Je m’élève ici au nom des tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde ils pourront faire entendre leur voix et la faire prendre en considération réellement. Sur cette tribune beaucoup m’ont précédé, d’autres viendront après moi. Mais seuls quelques uns feront la décision. Pourtant nous sommes officiellement présentés comme égaux. Eh bien, je me fais le porte voix de tous ceux qui cherchent vainement dans quel forum de ce monde, ils peuvent se faire entendre. Oui je veux donc parler au nom de tous les “laissés pour compte” parce que “je suis homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger”. (...)

 

 

Tag(s) : #MONDE
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