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Lundi, 6 Février, 2017 L'Humanité

 

Les enquêtes disponibles remettent en cause le stéréotype de l’électeur FN en « beauf machiste et homophobe, raciste et xénophobe ».

Au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle de 1995, Libération publiait un scoop au vu d’un sondage postélectoral : le FN serait devenu le « nouveau parti de la classe ouvrière »… Qu’en est-il aujourd’hui ? Lors des élections régionales de 2015, si plus de la moitié de l’électorat FN se recrute dans les classes populaires (ouvriers, employés et retraités ex-ouvriers ou employés), c’est en fait moins d’un ouvrier sur sept qui a voté pour le FN dès lors que l’on tient compte des abstentionnistes et des non-inscrits. C’est dire que, s’il y a aujourd’hui un « nouveau parti des classes populaires », c’est – et de très loin – celui de l’abstention.

Le constat ne dispense pas pour autant de s’interroger sur cette fraction des classes populaires qui vote FN. La question est au fond celle que pose Thomas Frank à propos des classes populaires nord-américaines : pourquoi les pauvres votent-ils à droite (1) ? Seules des enquêtes de terrain peuvent permettre d’y répondre. Contre l’idée reçue qui voudrait que le vote exprime le choix d’un programme, il faut rappeler, en effet, la très inégale distribution sociale des compétences politiques et, au-delà, de l’intérêt pour la politique. Désintérêt qu’accentue la professionnalisation croissante de la vie politique et qui permet de comprendre, au moins pour partie, la très inégale participation électorale. De ce fait, on ne saurait déduire, par exemple, du vote FN d’un ouvrier ou d’une employée son adhésion au programme du FN (dont, le plus souvent, ils ignorent tout ou ne savent pas grand-chose). Si ces votes FN n’ont, bien sûr, pas rien à voir avec le FN, il faut néanmoins s’interroger sur la signification qui leur est attribuée. Que veut dire l’ouvrier ou l’employée qui vote FN ? Un ouvrier qui vote FN est-il un « ouvrier raciste » et que signifie « raciste » dans son cas ? L’est-il au même sens qu’un bourgeois traditionaliste, qui vote lui aussi FN ?

L’influence délétère de la crise des sociabilités populaires

Les enquêtes disponibles remettent en cause le stéréotype de l’électeur FN en « beauf machiste et homophobe, raciste et xénophobe » qui doit sans doute plus à un « racisme de classe » qui s’ignore qu’à l’enquête de terrain. Mettant en évidence l’influence délétère de la crise des sociabilités populaires, elles interpellent également des interprétations banalisées comme celle du vote FN généralisé de « la France périphérique », ou celle du vote FN comme expression du ressentiment dû au déclassement. Elles montrent les effets de l’exacerbation des luttes de concurrence entre « Français » et « immigrés », du « procès » dont « la respectabilité » est l’enjeu, entre classes populaires « établies » et classes populaires « marginalisées », à propos de la délinquance, des incivilités de l’assistanat (« les cas soces »). Pour la fraction « établie », le vote FN permet de se démarquer – moralement – des fractions précarisées, paupérisées et souvent immigrées, et, pour la fraction « marginalisée », de se distinguer de « plus bas qu’elle ». Les enquêtes soulignent également les effets de la perte d’influence des « idées de gauche » et ceux de l’inculcation politico-médiatique des visions racistes ou encore ceux de l’héritage politique familial.

On peut tirer au moins deux conclusions « politiques » de ces enquêtes. L’analyse des données statistiques disponibles met en évidence la très grande dispersion sociale et la volatilité de l’électorat FN. Tout oppose, en fait, sa composante populaire à celle issue des beaux quartiers, qui se retrouve dans la Manif pour tous, tout comme s’opposent, au sommet de l’appareil FN, Florian Philippot et Marion Maréchal-Le Pen. C’est dire, comme y insistent Daniel Gaxie et Patrick Lehingue (2), que « l’électorat FN n’existe pas » : il s’agit en fait d’un « conglomérat » miné par ses contradictions internes. Il faut donc prendre appui sur ces contradictions et travailler à hâter son implosion. Par ailleurs, les enquêtes sur le vote FN dans les classes populaires mettent en évidence les impasses du militantisme anti-FN, à commencer par sa vindicte contre « les prolos bornés et racistes » qui votent FN. La reconquête des classes populaires – qu’elles s’abstiennent ou votent FN – passe par la réhabilitation de leur ethos traditionnel, de leur « souci de respectabilité » (la « common decency », si l’on veut, fondée sur l’ardeur au travail, l’honnêteté, le respect de soi-même et des autres) des classes populaires – Français et immigrés confondus.

Gérard Mauger, directeur de recherche émérite, CNRS

 

(1) Pourquoi les pauvres votent à droite, Thomas Frank, Éditions Agone.

(2) Les Classes populaires et le FN, livre coordonné par Gérard Mauger et Willy Pelletier, Éditions du Croquant, collection « Savoir/Agir », 18 euros pour le livre, 14 euros pour l’e-book.

 

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A ne pas manquer:

Présentation du livre

Samedi 18 février à 14H

à la Médiathèque de Pernes

Organisée L'ANACR et L'ADIRP  

 

Comprendre les événements de Sarrians survenus le 1er août 1944, voilà le pari que les membres de l’association des Amis d’Antoine Diouf – Albin Durand se sont donné dans un livre écrit collectivement, paru en mars 2016.

Sarrians (Vaucluse) est alors un village comme tant d’autres, pétri de contradictions et d’envie de vivre. Le 1er août 44, le drame est à la mesure des enjeux de la guerre finissante.
Ainsi
Albin DURAND et Antoine DIOUF , résistants et communistes, animateurs du Front national de lutte pour la libération et l’indépendance de la France, sont torturés, assassinés, par un commando de tueurs du PPF, appuyés par une unité de l’armée allemande.

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Tag(s) : #SE FORMER - COMPRENDRE
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