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par Nolwenn Weiler, Bastamag publié le 15 janvier 2019

La loi sur « la liberté du choix de son avenir professionnel » (sic), votée en septembre dernier, avait prévenu : les contrôles sur les chômeurs allaient se durcir.

Mais personne ne s’attendait à ce que les sanctions prévues contre les demandeurs d’emplois soient si rudes, y compris les agents de Pôle emploi. Annoncées fin décembre par un décret publié au journal officiel, ces sanctions prévoient de rogner, voire de supprimer les indemnités chômage pour des rendez-vous manqués, des offres d’emploi refusées, ou des connexions sur son espace personnel pas suffisamment fréquentes. Du côté des conseillers, c’est la consternation, teintée de colère et de stress.

Les nouvelles instructions sont tombées sur les bureaux des agents de Pôle emploi le 3 janvier dernier. Une dizaine de pages qui décrivent par le menu les obligations des demandeurs d’emploi et les sanctions auxquelles ils s’exposent s’ils n’y répondent pas. Et ce, dès le premier manquement. Une première absence à un rendez-vous entraîne une radiation d’une durée d’un mois. À la seconde absence, la radiation est étendue à deux mois et les indemnités sont supprimées pour une durée équivalente. À la troisième absence, on passe à quatre mois.

Ces radiations et suppressions d’indemnités seront également exponentielles en cas d’« insuffisance de recherche d’emploi » ou de « refus de deux offres raisonnables d’emploi », le tout laissé à l’appréciation des agents de Pôle emploi. « J’étais en réunion de service le jour de l’annonce, se souvient Daniel, conseiller dans le Sud-ouest. Même les collègues les plus enclins à sanctionner les chômeurs ont déclaré que là, quand même, le gouvernement y allait un peu fort et que l’on risquait d’avoir des soucis au niveau de l’accueil. »

« Désormais, pôle emploi a tout pouvoir. Il n’y a plus de regard extérieur »

Parmi les points « essentiels » à retenir : le fait que Pôle emploi dispose désormais du pouvoir de supprimer une partie ou la totalité du revenu de remplacement – l’assurance-chômage que perçoit un salarié licencié ou dont le contrat s’est terminé, et pour laquelle lui et son employeur ont cotisé. Avant la parution du décret, le 30 décembre 2018, qui définit les nouvelles règles de contrôle des chômeurs, la suppression du revenu des indemnités chômage nécessitait une saisine du Préfet. « Désormais, pôle emploi a tout pouvoir. Il n’y a plus de regard extérieur », s’inquiète Émilie, qui travaille depuis plus de 30 ans auprès des demandeurs d’emploi en Bretagne, depuis l’époque des Assedics devenues Pôle emploi en 2009. Elle craint de voir le sens de son travail lui échapper totalement : « Nous ne sommes pas là pour sanctionner et radier les gens, nous sommes là pour accompagner les personnes en recherches d’emplois et calculer leurs allocations au plus juste. »

Ce contrôle et ces sanctions renforcés doivent être mis en place via de nouveaux formulaires et logiciels que les conseillers ne maîtrisent pas encore. Et pour cause : ils n’ont pas eu le temps de complètement se familiariser avec les « nouveaux » logiciels précédents... « Cela fait partie des méthodes modernes de management du personnel, tempête Daniel. Il ne faut jamais être sûr de soi, jamais être en confort. Chez nous, on est fermés au public un jour par mois pour digérer les nouveautés informatiques, sans réussir à le faire du reste. Même les plus zélés, qui acceptent de faire des heures et des heures en plus pour pouvoir se mettre à jour n’y arrivent pas, c’est impossible. »

« Tout est plus dématérialisé. Les personnes un peu perdues vont l’être plus encore »

Une recherche d’emploi jugée insuffisante, une « non présentation à une action de formation » ou refuser deux offres d’emploi considérées comme « raisonnables » indépendamment du niveau de salaire et des conditions de travail sont soumises à la même progression exponentielle des sanctions que les absences aux rendez-vous, avec une suppression des indemnités à la première erreur. « C’est la double peine automatique, dénonce Daniel. La personne est suspendue pendant un mois. Et quand elle se réinscrit, on lui impute un mois. Elle se retrouve avec deux mois sans revenus. » « Ceux qui ont des facilités, qui se débrouillent avec l’outil informatique, il n’y aura pas trop de soucis pour eux, intervient une collègue. Mais les personnes qui sont loin de l’emploi, qui ne sont pas autonomes vis à vis du système informatique, ça va être plus compliqué pour elles. Elles vont se retrouver de plus en plus précarisées. »

L’agente cite l’exemple des convocations aux rendez-vous, qui sont envoyées par Internet, ce qui suppose que les demandeurs d’emploi consultent très régulièrement leur espace personnel. « Tout est de plus en plus dématérialisé. Il devient difficile de trouver quelqu’un à qui parler. Les personnes un peu perdues vont l’être plus encore. » Pour justifier une recherche active d’emploi, il faut enrichir sans cesse son espace personnel numérique : être abonné aux offres d’emplois que l’on doit consulter tous les jours, mettre à jour son profil etc. « Cela lèse énormément les gens qui ne sont pas connectés, évidemment, sachant que l’on pourra désormais être sanctionné si on refuse de mettre son CV en ligne. » Tarif – minimum – de la sanction : un mois de radiation et autant de temps d’indemnités en moins.

Ces conseillers qui font de la résistance

Pour tracer le comportement des chômeurs, le nombre de contrôleurs va augmenter. Généralisé en 2015, sous le quinquennat de François Hollande, le contrôle de la recherche d’emploi mobilise à présent 600 agents, soit trois fois plus qu’il y a un an. 1000 personnes devraient à terme travailler dans ce service. Consultés dès mai 2018 sur l’augmentation du nombre de contrôleurs, « les syndicats se sont prononcés contre, rapporte Emilie. L’augmentation du nombre de contrôleurs se fait à effectifs constants, ce sont des conseillers qui changent de postes, ce qui réduit notre capacité à aider les personnes en recherche d’emploi. Cela stigmatise les chômeurs, les assimilant à des feignants et les forçant, ensuite, à accepter n’importe quelles conditions de travail. » La loi dont dépend le décret sur le contrôle des chômeurs, qui s’intitule « Travail : liberté du choix de son avenir professionnel » porte décidément bien mal son nom.

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