
Roger Martin est un vieux con…
Vraiment ?
Je ne sais pas, je ne sais plus, chaque jour qui passe apportant une preuve supplémentaire de la déliquescence générale qui frappe la politique française.
Pourtant j’évite de me faire mal. Plus de radio, plus de télé, juste un œil aux unes des journaux lors de ma visite quotidienne à la maison de la presse pour acheter mon Huma. Mais il faut bien circuler dans sa propre maison, entrevoir une image ici, une autre là, saisir une énormité, un mensonge, une vulgarité. Et, appâté, croyant naïvement qu’une fois, une seule fois, on va pouvoir entendre une autre voix, alors que tout est fait, si par hasard on a invité Benjamin Amar ou Pascal Boniface ou encore Corinne Masiero, dans un de ces faux débats à un contre quatre (3 intervenants et le présentateur) pour les faire taire, avant de piquer une vaine colère (« Personne ne t’entend, sauf moi ! ») après s’être laissé choir sur le divan face à la Voix de ses Maîtres.
Bref, voilà-t-y pas qu’en moins de 48 heures, je tombe à deux reprises sur le trop médiatisé Christophe Chalençon. Expliquant qu’il vient de fonder le MAC (il a déjà oublié ce que recouvrent ces trois lettres), il bafouille, ne dit ni oui ni non lorsqu’on lui demande si son mouvement travaillera avec la tribu Le Pen. Je le retrouve le lendemain dans Vaucluse matin, la menace à la bouche. Il parle de guerre civile, de guillotine, évoque des centaines de menaces de mort qu’il aurait reçues, annonce que des paramilitaires de ses amis sont prêts à intervenir. In petto, je me demande quand Macron et ses ministres vont choisir de faire exploser le personnage en vol. Ils disposent de tous les éléments nécessaires. Si se créait en Vaucluse une association des victimes de Christophe Chalençon, elle compterait plusieurs dizaines de membres. Mais pour l’heure, cet excité, mégalomane, mythomane, xénophobe patenté, magouilleur dénoncé sur You Tube par d’autres artisans pour ses combines et auquel Le Canard enchaîné consacrait il y a peu un article très éclairant, sert le pouvoir dans ses tentatives de discréditer les Gilets Jaunes. Je ne suis pas Gilet jaune. Je n’ai rien découvert par leur mouvement qui me fût inconnu auparavant. Surtout je sais très bien ce que cache le mot apolitique. L’apolitisme n’existe pas. Chacun sait que se dire apolitique signifie qu’on est de droite ou d’extrême-droite. Mais je sais aussi qu’une bonne partie de ceux qui ont découvert soudain leur force, leur droit à une existence digne, ne méritent pas d’être confondus avec les séides de Marine Le Pen, Di Maio et Dupont-Aignan. Bientôt, la marionnette Chalençon aura perdu son utilité. Alors, dans une ultime manœuvre comme savait les ourdir Pasqua, on tirera les ficelles une dernière fois. Au lieu de lui servir la soupe, les journalistes aux ordres de BFM-TV se mettront à lui poser les questions qui font mal et le rendront à ses phantasmes militaro-mystiques et à sa haine…
Parlons de haine, justement. Un matin, en découvrant 20 Minutes sur mon écran (je reçois cet ex-gratuit depuis deux ans sans m’y être jamais inscrit), c’est sur un « coup de gueule » de François Berléand que je tombe. Un truc pourri, visqueux. Chalençon et certains Gilets Jaunes m’inspirent méfiance et colère, mais combien d’autres, qui se sont engagés sincèrement et n’ont rien de truands ou de fascistes, ne méritent pas pareil mépris ! Berléand vomit sa bile. Et, qu’on ne s’y trompe pas, si on prend le temps de lire entre les lignes, on a tôt fait de comprendre que ce qu’il dit, ici et maintenant, des Gilets Jaunes, il a dû le dire, et le dira encore, des grévistes et des manifestants de la CGT ou de SUD. Car Monsieur Berléand travaille, LUI, et il défend la liberté de travailler, et in fine la liberté d’entreprendre. Le renard libre dans le poulailler libre, comme écrivait Paul Lafargue! On va sans doute me reprocher un délit de faciès, tant pis : ce mec m’a toujours inspiré de la méfiance. Comme disait un vieux copain sidérurgiste à Longwy : « Il faut se méfier de la première impression… C’est la bonne ! ». Encore un dont j’éviterai les films comme la peste. Je ne suis pas maso… Quand je pense à l’époque où un Gérard Philipe était aussi responsable CGT des comédiens !
Heureusement tout n’est pas noir, car, passant sans transition d’une brève (quelques secondes) évoquant la disparition en Méditerranée de 18 « migrants » (entendez par là des RÉFUGIÉS, comme a raison de le répéter le Prix Goncourt du 1er roman Maryam Madjidi *), à la rubrique « culture » (sic), une journaliste m’apprend que Raquel Garrido (ex-avocate de FO, ex-dirigeante du PG et de la FI, aujourd’hui « chroniqueuse » d’une émission de Thierry Ardisson, lui-même ex-royaliste et ex-ami de Soral, mais toujours employé de Bolloré) a participé à Fort Boyard et pousse le chansonnette en l’honneur de Johnny ! Le lendemain, elle squatte les écrans. On l’a gazée au Zyklon B !
Nous vivons une époque formidable, non ?
On n’est pas au bout de nos peines : de Charybde en Scylla nous voilà tombés dans le tonneau des Danaïdes ! J’apprends l’existence de la Ligue du LOL, et je m’étonne, parce que je n’ai jamais réussi à me défaire totalement de mon côté un peu macho, qu’aucun frère, mari, amant, père, mère, compagne, d’une victime, homme ou femme, ne soit jamais allé casser la gueule d’un de ces pauvres types, dont seule l’infatuation peut égaler le sadisme et la perversion. Et comme si ça ne suffisait pas, avant de découvrir Brigitte Bardot en Gilet jaune à Fréjus, j’apprends, toujours sur 20 Minutes, que le Super-Beauf Bigard s’est livré, avec sa finesse habituelle, à un sketch de viol, chez Hanouna, autre champion de la bassesse. Et il ne se trouve personne pour aller attendrir cette viande sur pied !
Et Ian Brossat, alors ? Que vient-il faire dans cette galère ? Comment ai-je pu associer son nom à ceux des tristes sires et guignols précités ?
C’est simple.
Il y a six mois, comme la plupart des militants communistes, quel qu’ait été leur choix de vote, j’attendais notre Congrès entre crainte et espoir. Jamais nous n’avions été aussi divisés, ironisait une presse qui semblait redécouvrir que nous existions encore. Eh bien, ce Congrès a su faire triompher la volonté des communistes de le rester tout en surmontant divergences et divisions. Ce qui a suivi a démontré qu’il ne s’agissait pas d’un feu de paille. J’ai senti dans ma fédération que quelque chose s’était passé, qu’un souffle nouveau se levait, que nous retrouvions des forces et des couleurs.
Et puis, il y a eu le mardi 5 février à Marseille. Le meeting de lancement de la campagne des Européennes. Ian Brossat, mais pas que… Avec lui, Pierre Dharéville, mais aussi des candidat-e-s, présent-e-s ou s’adressant à nous par clips interposés. Nous étions 20 de la section Oswald Calvetti (Pernes, L’Isle sur Sorgue, Le Thor, Châteauneuf de Gadagne), avec banderole, chasubles et drapeaux. Debout, attentifs, enthousiastes, émus par les interventions qui se succédaient. Pas de grand-messe, pas de discours-fleuve, pas de ronron. Pas de « Il faut le changement », pas de « La crise s’aiguise… ». Mais des gens de tous les jours, de ces gens trop souvent absents du cinéma ou de la littérature, comme si leur vie ne valait pas la peine d’être contée. Des hommes et des femmes. Des jeunes et des vieux. De toutes les couleurs . Des médecins, des profs, des sportifs, des Gilets jaunes, des animateurs, des ouvriers. La société réelle. Les applaudissements s’enflent. On craint pour l’orateur ou l’oratrice suivant-e-, tant celui ou celle qui a précédé a soulevé l’enthousiasme. Vaine crainte. Chacun-e, avec ses mots, dans une langue parfaitement maîtrisée ou encore incertaine, mais toujours porté-e par la sincérité et la profondeur de l’engagement, suscite des applaudissements renouvelés.
On me pardonnera - déformation professionnelle sans doute - si je dis combien, parmi maintes interventions bouleversantes, j’ai été impressionnée par celle de Maryam Madjidi. Un témoignage triple : de réfugiée, de femme libre qu’on ne fera taire nulle part, d’écrivaine engagée. Et, pour savoir combien s’avouer communiste n’ouvre guère de portes dans le monde de l’édition, je n’ai pu m’empêcher de penser que si s’engager ainsi sur la liste menée par Ian Brossat n’était pas une voie royale pour une jeune écrivaine, eût-elle reçu le prix Goncourt du premier roman, c’était en tout cas une preuve de courage.
Et Ian, alors, tu n’en dis rien !
Mardi 5, nous avons eu la confirmation de ce que nous pressentions depuis quelque temps. Autour de Fabien Roussel et de Pierre Laurent, s’imposent d’autres camarades, courageux, incisifs, capables d’affronter des contradicteurs, d’avancer arguments et propositions, des camarades qui sans sous-estimer l’ampleur des tâches, les prennent à bras-le-corps, et, mieux, même à bras-le-cœur.
Ce soir-là, Ian Brossat a déclaré que les communistes pouvaient compter sur lui et sa fierté de porter ce combat, avant d’ajouter que lui, de son côté, comme tous ses camarades de la liste, comptait sur nous. Je ne sais pas si nos espoirs seront couronnés de succès. Une telle confusion règne qu’on ne peut faire de paris sur l’avenir. Mais ce que je sais, c’est que les communistes ont retrouvé de la force, de la confiance et se sentent à l’aise dans leur parti.
Et, ici, sur les murs et les panneaux de L’Isle-sur-la Sorgue, de Velleron, du Thor, de Châteauneuf de Gadagne, de Saint-Didier ou de Pernes, malgré la lèpre lepéniste, nos affiches parlent pour nous : oui Ian, oui, Marie-Hélène, oui Maryam, oui Benjamin, oui Lassana, oui Élina, vous avez bien raison de compter sur nous !
Roger Martin

* Marx et la poupée Le Nouvel Attila, 2017 ; J’ai Lu, 2018