Un article du blog de Guillaume Sayon-Abbate
"La réalisation de cette réforme […] aura pour effet désirable d’affranchir ce pays d’une véritable hantise sous l’influence de laquelle il n’a que trop négliger tant d’autres questions importantes, d’ordre économique ou social […]. Ces grands problèmes se poseront demain dès qu’auront disparu des programmes politiques les questions irritantes qui, comme celle-ci, passionnent les esprits jusqu’à la haine […]. La réforme que nous allons voter laissera le champ libre à l’activité parlementaire pour la réalisation d’autres réformes essentielles. Mais pour qu’il en fût ainsi, il fallait que la Séparation ne donnât pas le signal des luttes confessionnelles; il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s’exprimer librement ".
Voilà un extrait du magistral discours d’Aristide Briand à la tribune de l’Assemblée nationale le 3 juillet 1905 alors même que les parlementaires s’apprêtent à voter la loi de Séparation des Églises et de l’État.
Comme nous aurions aimé que derrière les mots graves du rapporteur de la loi, jeune député de la Loire promis à une très longue et grande carrière au service de la République, se dissimule une part de prémonition. Pourtant il n’en est rien, preuve en est notre actualité politique. Le pays se bat et se débat quant à savoir si une maman coiffée d’un voile est autorisée ou non à accompagner un groupe d’enfants lors d’une sortie extrascolaire. Le pays est gangrené par le chômage et les inégalités, son industrie se délite à grands coups de privatisations et de dépeçages illégaux, ses services publics tombent en lambeaux, sa cohésion même est menacée tant le peuple et ses institutions ont fait sécession, mais nous voilà en train de débattre de ce sujet. Toute la scène médiatique grand-guignolesque y va de son refrain. On commande des sondages, on montre en boucle cette maman en larmes dans les bras de son fils, humiliée par un ancien mannequin crétin aujourd’hui reconverti en petit prélat opportuniste du lepenisme puant au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté.
Le ministre de l’Éducation nationale lui-même qui détruit l’école publique avec ses réformes du lycée, du baccalauréat et sa fameuse loi pour une école de la confiance, s’interroge dans la presse et pense que peut-être il serait opportun de légiférer en la matière. De qui se moque t-on ? Alors que le macronisme est en crise profonde tant au plan national qu’européen, qu’une détestable réforme des retraites est en chantier, que les élections municipales arrivent à grande vitesse, voilà qu’on nous rejoue le même tour de passe-passe. Plus c’est gros, plus ça passe ! C’est un peu comme cette blague enfantine du doigt que l’on dresse devant son visage. On demande ensuite à son interlocuteur ce qu’il voit et il nous répond « un doigt ». On lui rétorque alors « ça va, je suis bien caché ». En politique on appelle cela un contre-feu. Créer l’actualité et la polémique ailleurs pour dissimuler l’essentiel. Peu importe si cela passe par l’humiliation d’une jeune maman en public, alimentant le jeu de l’extrême-droite islamophobe ou si cela stigmatise dangereusement des millions de nos concitoyens déjà en proie à l’ostracisation sociale pour une large part d’entre-eux. Ces gens de toute manière nous méprisent et sont prêts à toutes les bassesses pour arriver à leurs fins.
Jamais pourtant la laïcité n’a été envisagée lors de sa promulgation comme un instrument de rejet, d’exclusion. C’est tout le contraire. La laïcité permet la coexistence de toutes les croyances dans les limites fixées par la loi. C’est un geste de communion nationale, d’universalisme qui est la source de l’esprit républicain, du « génie français » comme le dira Jaurès à la tribune de l’Assemblée nationale au moment du vote. C’est, nous dit-il encore, dans les pas de Rabelais, que se constitue cette grande avancée républicaine quand celui-ci écrivait « l’humanité ira plus haut encore ». Alors peut-être que pour être dignes de cet extraordinaire héritage, nous faut-il ardemment et résolument prendre de la hauteur. Notre pays, son peuple et les grands enjeux à venir qui les concernent, méritent mieux que cela …
Guillaume Sayon-Abbate
(*)32 ans - Maire-adjoint PCF en charge de la culture à Avion (61) - Vice-Président de "Droit de Cité"
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