Rouge Cerise a, à plusieurs reprises, repris des articles de la revue Progressistes, revue théorique où s’expriment nombre de scientifiques communistes mais pas pour autant expression officielle des positions de notre Parti. Comme nous l’avons toujours fait, parce que c’est une pierre angulaire du fonctionnement de notre section et que la contradiction, la confrontation intellectuelle, la dispute, au sens philosophique du terme, dans le respect mutuel, sont essentiels au débat démocratique, nous publions aujourd’hui une importante contribution de notre camarade Henri qui ne partage pas certaines des positions exposées précédemment.
R.C.
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Fernand Léger: La Joconde aux clefs
Cela fait plusieurs fois que notre site se fait l’écho d’articles parus dans la revue « Progressistes ».
Il est tout à fait louable que nous alimentions la réflexion sur des sujets divers, mais je regrette que ces articles n’aient pas été précédés d’une mention indiquant qu’ils ne reflètent que l’opinion de leurs auteurs.
De ce fait, ils peuvent passer aux yeux de certains pour une position du Parti sur des sujets qui n’ont pas été démocratiquement débattus.
Cela me parait d’autant plus regrettable qu’à mon avis ces articles tournent délibérément le dos au marxisme et même parfois à l’objectif révolutionnaire de la transformation des rapports de production.
Une véritable analyse marxiste consiste à considérer les problèmes, sous l’éclairage des connaissances scientifiques actuelles, dans le contexte historique et politique actuel et non pas dans les conditions idéales d’un socialisme mondial.
C’est ce qui fait du marxisme une théorie vivante et sans cesse renouvelée.
Immanquablement, ce défaut aboutit à des contradictions comme, par exemple, d’un coté la relance de l’aéronautique et d’autre part la préconisation des voyages virtuels grâce à la 5G.
Comment en est-on arrivé là ?
Le fantasme du professeur Tournesol
Les scientifiques trainent l’image du professeur Tournesol (ou d’Archimède) entièrement préoccupé de ses recherches au point d’en oublier tous les besoins même les plus fondamentaux comme dormir et se nourrir.
Et bien non! Les scientifiques, quelle que soit leur valeur sont aussi des femmes et des hommes.
Leur fonction ne leur confère pas une immunité aux désirs et aux passions qui touchent le commun des mortels.
Ils sont aussi sensibles, à des degrés divers, à l’attrait de l’argent, au désir de reconnaissance, au bien être de leurs proches et pour résumer à toutes les motivations qui sont susceptibles d’animer ceux qui n’ont pas leurs connaissances.
Faire abstraction de ce facteur mène inévitablement à une lecture non critique de leurs productions.
D’autres raisons :
- La confiance totale en la science : le scientisme
Tous nos problèmes pourront être résolus par la science.
Cette survivance du XIXème siècle se raréfie mais fait encore des victimes même dans nos rangs.
Elle induit une confiance totale en la connaissance scientifique, exclu le doute et à ce titre elle est totalement antiscientifique, car le progrès scientifique n’existe que par la remise en cause permanente des connaissances actuelles.
- Les conflits d’intérêt
Toute publication devrait s’accompagner d’une déclaration des liens (financiers, familiaux, professionnels, syndicaux etc.) de celui qui publie.
Il n’est pas rare de voir des articles favorables au nucléaire dont les auteurs sont des salariés du nucléaire.
Ils sont bien placés pour en parler mais à nous de lire en ayant en arrière plan « Qui scierait la branche sur laquelle il est assis ».
- La volonté de ne pas paraitre passéiste
On a souvent associé le communisme à des régimes criminels, obscurantistes, visant l’autarcie et réticents au progrès (Cambodge, Albanie, Corée du Nord).
Pour ne pas ressembler à ces caricatures certains trouvent opportun d’être ouverts à toutes innovations.
- La volonté de ne pas crier avec les loups
Dans notre période troublée se développent des courants de pensée tournant le dos à toute rationalité, créant de nouvelles divinités ou recyclant des croyances moribondes.
Les sectes, les complotistes, les gourous fleurissent.
Pour se démarquer de ces dérives, ou en réactions à celles-ci certains croient juste d’adopter des positions opposées.
Mais ce n’est pas parce qu’un écervelé affirme quelque chose que son contraire est vrai.
- La défense de l’emploi
Je termine par ce motif (bien qu’il en ait peut-être d’autres voire qu’il y ait une combinaison subtile des précédents).
C’est celui que je comprends le mieux.
En effet, dans un contexte de capitalisme mondialisé, refuser une innovation ne peut qu’avoir des conséquences désastreuses du point de vue économique et du point de vue de l’emploi.
Aussi ne pas s’opposer aux transformations, c’est du pragmatisme.
Mais dans ce cas là, il faut que cela soit clairement énoncé et annoncé et pas masqué par des arguments fallacieux.
C’est en ce sens que je dis qu’il y a là une espèce d’abandon des objectifs révolutionnaires que sont la maitrise de la production et des rapports de production.
Cette acceptation peut s’apparenter à une gestion du capitalisme, mais avons-nous le choix dans la situation actuelle ?
Je ne le crois pas.
Mais je pense qu’il faut en être conscient et l’assumer.
Mais aussi sans oublier (même si cela est relativement utopique) la critique du travail et du rapport au travail que Paul Lafargue faisait dans « Le droit à la paresse » :
« Une étrange folie possède les classes ouvrières des nations où règne la civilisation capitaliste. Cette folie traîne à sa suite des misères individuelles et sociales qui, depuis deux siècles, torturent la triste humanité. Cette folie est l'amour du travail, la passion moribonde du travail, poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitales de l'individu et de sa progéniture… »
La science actuelle
Le capitalisme fait des ravages partout, la science n’est pas en reste.
J’ai participé à un certain nombre de rencontres avec des chercheurs. Immanquablement revenait dans leur discours le temps passé à trouver des financements privés au détriment de la recherche (sauf dans le nucléaire ou le problème est différent).
Car la recherche est devenue très majoritairement financée par le privé et le processus se continue.
Et nos dirigeants, en plus d’être au service des ultrariches, ont souvent une formation scientifique sommaire, voire inexistante et ils ne font pas la différence entre découverte scientifique et découverte technologique. (D’autant plus que la frontière est parfois ténue).
Il faut que tout soit rentable pour les actionnaires.
Or certaines recherches scientifiques n’ont apparemment pas d’applications directes immédiates.
Avec un financement privé, elles sont condamnées.
Par exemple, dans les mathématiques, quelle entreprise privé irait financer des recherches sur les géométries non-euclidiennes ou sur le problème connu sous le nom de « Peut-on entendre la forme d’un tambour » même si quelques années plus tard ces recherches ont permis de grandes avancées technologiques ?
Dans le domaine médical, quelle entreprise privée irait financer des recherches sur des maladies rares atteignant des populations pauvres ?
La mise en œuvre des nouvelles technologies
Toute nouvelle technologie peut avoir des conséquences bénéfiques mais aussi des conséquences néfastes.
Dans un régime communiste, les choix seraient faits démocratiquement par le peuple après une information complète et honnête.
Mais tout communiste sait bien, à moins qu’il ne s’aveugle volontairement, que nous n’en sommes pas là.
L’évaluation des conséquences et l’information
Pour évaluer les conséquences, il faut faire des recherches.
Mais que se passe-t-il dans la vraie vie ?
Certaines recherches ne sont tout simplement pas financées, donc pas menées, souvent par peur des conclusions.
D’autres recherches sont menées par des gens ayant des conflits d’intérêts ou bien les conclusions sont caviardées avant publication.
Nous avons déjà vu un certain nombre de scandales de cette sorte (Médiator, amiante glyphosate, etc.).
Croisons les doigts pour que des études complètes et honnêtes puissent passer au travers du barrage.
L’utilisation des nouvelles technologies
Parmi les applications possibles lesquelles ne sont pas souhaitables et quelles sont celles qu’il faut mettre en œuvre.
Même remarque que précédemment : Dans un régime communiste, les choix seraient faits démocratiquement par le peuple après une information complète et honnête.
Mais tout communiste sait bien, à moins qu’il ne s’aveugle volontairement que les choix seront dictées par la rentabilité pour les actionnaires.
Par exemple pour la 5G, il y a de fortes chances qu’elle soit plus rapidement utilisée pour avoir un hologramme d’Hanouna dans son salon que pour des applications socialement utiles.
Les organismes de contrôle et la sécurité
Là aussi, le contrôle est de plus en plus délégué au privé.
Quand il est encore effectué par des organismes publics, ceux-ci sont sous l’autorité de ce que l’on appelle « le pouvoir » qui n’est qu’une officine à la solde des grandes entreprises.
Voir l’exemple du revirement de l’Autorité de Sureté Nucléaire concernant la conformité de la cuve de l’EPR de Flamanville.
Si par hasard il y a un problème, des lampistes paieront les pots cassés. Quant aux décideurs, ils seront déclarés « responsables mais pas coupables » ou « coupables mais dispensés de peine » ou bien la procédure trainera tellement en longtemps qu’ils seront morts de vieillesse avant d’avoir été jugés.
La 5G
Venons-en à l’article sur la 5G paru récemment sur Rouge Cerise.
Je n’ai ni les compétences, ni les informations pour me prononcer sur une éventuelle nocivité et je veux bien admettre que cela puisse induire des progrès.
Au préalable je vois dans l’article l’utilisation de ces genres d’expressions que le capital en détournant le vocabulaire à son service nous impose (comme plans sociaux, partenaires sociaux, charges,…).
Ici c’est « réalité virtuelle », comme l’obscurité lumineuse ou l’eau sèche. Il n’y a pas photo (même en 3D) ou c’est virtuel ou c’est réel. Je peux boire des tas de verre d’eau virtuels cela ne m’empêchera pas de mourir de soif.
Pour la nocivité, l’auteur préconise de « développer des moyens publics d’expertises et de surveillance indépendants des lobbies en tout genre ». On se croirait dans le monde des Bisounours ! Étrange manque de réalisme pour un communiste.
Il y a aussi toute une déclinaison d’applications censée nous séduire.
- Le développement du télétravail :
Certes économiser du temps de transport ce n’est pas négligeable. Mais il y a aussi des revers : Individualisation des conditions d’exploitation, frein à la création de collectifs de travail, suppression des relations sociales que l’on peut avoir sur son lieu de travail. Avoir des travailleurs qui au lieu d’être captifs devant les chaines sont enfermés dans leur maison ou leur appartement, je ne suis pas certain que ce soit un progrès.
- « Visiter Venise en immersion virtuelle »
Quel pied !
Bien sur, il y a un débat à mener sur le développement du tourisme de masse, mais un voyage virtuel n’est pas équivalent à un voyage réel.
Il est évident que je préférerai me promener virtuellement dans la cage d’un tigre plutôt que d’y être réellement. Mais ai-je vraiment envie d’aller dans cette cage ?
Si le virtuel valait le réel, pourquoi maintenir le spectacle vivant. Pourquoi même avoir des acteurs réels (c’est déjà commencé).
- La médecine
La télémédecine n’est-elle pas le cheval de Troie qui permettra de développer une médecine du pauvre pour réserver la médecine présentielle à ceux qui pourront payer.
En ce qui me concerne je préfère faire la queue trois heures dans la salle d’attente de mon généraliste plutôt que d’aller parler à un robot ou une webcam reliée à un praticien recruté dans les pays à faible cout salarial.
- Équiper notre corps de capteurs connectés
On est en plein transhumanisme. Je ne suis pas totalement opposé. Après tout la première jambe de bois n’est-elle pas un début.
Mais cela ne mériterait-il pas un débat réellement démocratique pour en définir les contours et les limites ?
- Les objets connectés
Certaines applications industrielles sont sans doute un progrès pour rationaliser et améliorer la production.
Mais savez-vous qu’il existe déjà des lave-vaisselle et des lave-linge connectés ?
Personnellement, je n’ai jamais téléphoné à mon lave vaisselle ou à ma chaudière et je ne suis pas certain qu’ils soient capables d’une conversation digne d’intérêt.
Globalement, l’auteur se prononce pour le développement de la 5G, sous réserve de choix et de contrôles démocratiques et honnêtes dont tout communiste sait bien, à moins qu’il ne s’aveugle volontairement, qu’ils ne verront pas le jour.
La 5G, comme toutes les technologies passées et avenir, sera déployée dans un cadre capitaliste avec comme ligne directrice la rentabilité au mépris des impératifs écologiques et de l’utilité sociale.
Mais alors, « que faire ? », comme disait Lénine.
Tout d’abord, lutter pour une société plus juste débarrassée des exploiteurs.
Mais aussi, si on ne veut pas hurler avec les loups obscurantistes, il ne faut pas hurler avec les loups qui nous exploitent et il ne faut pas parer la 5G de bienfaits hypothétiques.
Je rajouterai qu’il faudra bien, un jour que l’on aborde le problème global du développement scientifique et technologique.
S’il n’y a pas une catastrophe écologique ou sanitaire qui nous plonge dans le chaos, aurons nous une réflexion sur les avancées qui seront bientôt à la portée de l’humanité ?
Vivre 300 ans, supprimer toute souffrance morale, multiplier nos capacités physiques et intellectuelles par le transhumanisme, éradiquer les comportements « déviants » ou « antisociaux », prévoir notre état de santé,… Souhaitable ou pas ?
En un mot, qu’est-ce qui fait que nous sommes humains ?
La finitude, une certaine incertitude de l’avenir, l’irrationalité et l’imprévisibité apparente des comportements ne sont-elles pas consubstantielles à l’état d’homme et ne sont elles pas essentielles à l’intérêt d’être vivant.
Bref ! Qu’est-ce que l’humain ?
Voila une belle question pour le parti de « l’humain d’abord ».
Henri
Section Oswald Calvetti