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Les débats secondaires, pour ne pas dire insignifiants, saturent le débat public, ne laissant qu’une place marginale aux enjeux majeurs qui ne manquent pourtant pas.

Prenons l’exemple de la manifestation pour le climat : malgré son fort succès, elle a été complètement effacée par la montée en sauce ahurissante des propos d’Audrey Pulvar sur les réunions non mixtes. Autrement dit, l’action de milliers de personnes en défense de l’intérêt général humain aura été étouffée par quelques propos sans grande importance mais resservis ad nauseam.

Des propos qui ont déchainé les forces réactionnaires, osant traiter, par un inversement grotesque des rôles, Audrey Pulvar de raciste ! Tout démocrate, toute personne se réclamant de la gauche ne peut laisser ainsi maltraiter, diffamer une élue – une militante antiraciste incontestable – par l’extrême droite et la droite extrémisée et déchainée. A raser les murs, nous y passerons tous.

Car désormais, et alors que le monde traverse une crise sans précédent, tout responsable politique de gauche est sommé de se positionner sur les réunions « non mixtes » tenues dans telle ou telle organisation. Autrement dit, des cabinets politiques et leur relais dans les médias montent des événements de toutes pièces pour détourner les citoyens des débats fondamentaux.

Les réunions dont il est question sont des faits marginaux et qui, du reste, peuvent avoir leur légitimité naturelle : c’est dans le mouvement interne aux luttes que l’on peut constater ici ou là des regroupements par affinité ou stigmate. L’histoire des luttes sociales et politiques le montre amplement. Il n’y a là rien ni de scandaleux ni de contraire à je ne sais quel universalisme. Ajoutons que si des personnes en viennent à se rassembler selon des caractéristiques qui leur sont propres, c’est précisément parce qu’elles subissent des traitements inégalitaires ou infamants en raison de ces caractéristiques.

Bien plus critiquable serait l’institutionnalisation de telles réunions, comme moyen et comme fin d’un combat politique. Le but d’une organisation politique progressiste est de rassembler et non d’exclure, et c’est aussi par le rassemblement qu’elle peut progresser dans la société. Mais là encore, mis à part quelques segments insignifiants du militantisme, qui propose d’institutionnaliser l’exclusion sur la base de la pigmentation ou du genre ? Personne, pas même l’UNEF et sa direction.

Pourquoi, dès lors sommer toutes les organisations de gauche, syndicales et politiques de se positionner sur un non-sujet, si ce n’est pour conforter des positions ultra minoritaires en leur offrant une centralité qu’elles n’avaient pas jusqu’ici ? Pourquoi la droite, le pouvoir macronien, les cercles vallsistes et l’extrême droite, passent leur temps à alimenter la machine à polémiques en redoublant d’outrance, le ministre de l’Éducation nationale osant même déshonorer sa fonction en traitant le syndicat étudiant de « fasciste » ? Si L’UNEF est fasciste, alors il n’y aurait plus rien à craindre du fascisme et de l’extrême droite française, celle qui envahit les sièges de Conseils régionaux et fait la chasse aux réfugiés exilés.

La ficelle est un peu gros mais le piège redoutable. D’autant qu’il tend à normaliser encore plus les positions de l’extrême droite, celle-ci se payant le luxe de saisir la justice contre Mme Pulvar accusée de racisme sans que personne dans les sphères du pouvoir ne relève l’ignominie !

Et des députées de droite de surenchérir en demandant l’interdiction de l’une des principales et plus veilles organisations syndicales de jeunesse, dans la pure tradition vichyste.

S’épargner une lecture politique de ces polémiques, de leur mise en scène politico-médiatique et de leur instrumentalisation, c’est se condamner à l’aveuglement sur la stratégie du pouvoir et de ses relais. Il est évident que celui-ci laisse sciemment s’instaurer ce climat délétère dans un but stratégique inavoué : celui de construire son futur contrat de gouvernement sur la base sociale de la droite, quitte à faire le pari d’un gouvernement de cohabitation après les échéances de 2022. Le désintérêt total du pouvoir pour l’organisation politique censée soutenir la campagne de M. Macron, LREM laissée en lambeaux, en témoigne. Il expérimente d’ailleurs pareille hypothèse en ce moment même avec MM Darmanin et Blanquer. Et, loin de mettre tous ses œufs dans le même panier, la bourgeoisie organise le retour de M. Edouard Philippe. Tout ceci n’est pas signe de force mais de grandes inquiétudes au sein du bureau politique des mandataires du grand capital.

Pour parvenir à ses fins, le pouvoir prend un soin particulier à dynamiter la gauche à coups de polémiques stériles qui sont autant de grenades dégoupillées qui visent à diviser le socle social et politique le plus menaçant pour les intérêts patronaux et capitalistes.

S’agissant de l’UNEF, prenons un peu de recul !

Les étudiants n’en peuvent plus du sort qui leur est fait. Et la racine de leur mal plonge bien avant la pandémie. Ils sont le futur de la nation et défilent aujourd’hui aux soupes populaires. Le pouvoir sait bien qu’une étincelle peut lancer un puissant mouvement. Quoi de plus efficace, dans ces conditions, que d’affaiblir le syndicat qui porterait ces luttes : l’UNEF ? D‘ailleurs, la fameuse loi séparatisme dispose de suffisamment d’articles pour qualifier le syndicat de « séparatiste », ouvrant la porte, comme le proposent certains, à une dissolution ou une interdiction.

La droite sénaoriale ne s’y est pas trompée : à l’occasion de la lecture de la loi séparatisme par la haute assemblée, elle a fait adopter des amendements scélérats qui portent la marque d’un profond racisme antimusulman : l’interdiction pour les mères portant le voile d’accompagner les enfants lors des sorties scolaires, ou l’interdiction de signes religieux aux mineurs, tout en réintroduisant le « débat » sur le burkini sans parler de l’interdiction projeté de brandir un drapeau autre que le drapeau national dans certaines cérémonies dont les mariages. Et ce n’est pas tout : voici que le Sénat adopte un amendement autorisant la dissolution des associations organisant des réunions « non mixtes », ciblant dans son objet précisément l’UNEF ! De quoi faire passer M. Darmanin pour un modéré... Au même moment, Madame Schiappa annonçait la suppression de l’Observatoire de la laïcité.

A propos de ces réunions « non –mixtes », a quand une enquête approfondie par exemple sur la composition de la conférence des évêques de France, sur les loges maçonniques, sur le Rotary club, ou le CRIF et le CRAN ? Vas t’on les dissoudre ? Donc un peu de sérieux ! Par contre mesure-t-on l’extrême gravité de cette blitzkrieg raciste et liberticide ? Attention ! Ça commence ainsi et tout le monde peut y passer. Malgré nos débats, nos controverses, il faut faire front ensemble et ne pas laisser affaiblir un maillon du courant progressiste et démocratique. D’ailleurs, leurs divisions peuvent tourner au cauchemar pour les travailleurs et le peuple comme cela a été le cas dans d’autres pays.

La manœuvre ne fonctionne que trop bien. Le retour orchestré du torpilleur en chef de la gauche, M. Valls, dans le débat public national n’y est pas étranger. Il est même l’un des ingrédients majeurs du stratagème. C’est ainsi que M. Blanquer et Mme Schiappa sont envoyés en tirailleurs, redoublant d’outrances pour tenter de scinder la gauche française. On notera, de plus, la mauvaise farce : le pouvoir s’émeut de l’effritement du « front républicain » tout en s’évertuant à le rendre impossible…

Que ces questions fassent l’essentiel de l’actualité du marigot politicien sans grande résistance, qui plus est en ce moment si dramatique pour le pays, témoigne non pas des « errances » de la gauche, mais de l’affaiblissement considérable et inquiétant du travail de réflexions, de création politique et du débat public. Les grands médias portent une responsabilité colossale dans cette situation, sa faisant les relais d’une stratégie huilée du pouvoir qui leur permet en outre d’alimenter leur temps d’antenne et de donner du grain à moudre aux réseaux sociaux.

Le degré d’avancement de ces polémiques étant ce qu’il est, je tiens ici à ajouter quelques précisions : l’universalisme est un mot piégé, porteur de sens politiques parfois opposés. Après tout, le capitalisme porte une vocation universelle, brisant les traditions ancestrales avec un succès foudroyant pour tendre à l’uniformisation des modes de vie, des références culturelles et, bien sûr, des modes de production et des rapports sociaux. Souvenons-nous également qu’au nom de l’universalisme, l’Europe a placé sous le terrible joug colonial la plupart des peuples. Et, c’est au nom de ce même universalisme que les partisans du traité de Lisbonne insiste sue les « racines chrétiennes « de l’Union européenne.

Pour nous, l’universalisme n’est pas une injonction visant le statu quo, mais un projet politique révolutionnaire. Jaurès disait que l’humanité, traversée par trop d’antagonismes, n’existe pas encore ou à peine. Marx pointait les divisons sociales instituée par le mode de production capitaliste et récusait un humanisme trop abstrait. La pandémie nous le prouve encore : malgré l’universelle condition biologique de l’être humain, tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Pour autant, le projet politique communiste ou hier socialiste porte bien une vocation universelle, comme le montre du reste la prégnance universelle de l’idée communiste.

L’universalisme doit donc partir des divisions instituées pour les dépasser. Il est à la fois but et moyen de l’action politique progressiste. L’extrême droite le récuse totalement pour la raison précise qu’elle défend une vision inégalitaire de la société assise sur une lecture racialiste du monde, postulant une incompatibilité des êtres humains en fonction de certaines de leurs caractéristiques (pigmentation, genre, culture).

La segmentation sociale est le projet ultime du capital, qui réduit les groupes humains à des parts de marché. Mais elle peut aussi devenir l’expression de sa dégénérescence vers les thèses fascistes. Une société atomisée, sans liens durables entre les individus serait vouée à répéter les dominations instituées. Et, la création ex-nihilo de ces « non-événements » sert surtout depuis des mois à effacer les urgences sociales des débats politiques. Diviser et détruire l’authentique combat progressiste vise à désarmer les travailleurs et les classes populaires face au tsunami social qui s’annonce.

Il ne s’agit ici en aucun cas de définir une hiérarchie des luttes mais de considérer qu’elles doivent converger vers un même objectif collectif, le dépassement des rapports sociaux institués par le capitalisme, rapports sociaux parfois ancestraux (comme le racisme ou le patriarcat) mais que le capitalisme redéfinit sous une forme spécifique.

C’est ainsi que le combat communiste est par essence universaliste, en ce qu’il vise au dépassement des divisions instituées, articulant sans cesse l’individuel et le collectif, « le libre développement de chacun étant la condition du libre développement de tous », comme l’écrivait Marx.

PATRICK LE HYARIC

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