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Rouge Cerise publie aujourd'hui la fin de l'entretien croisé entre André Chassaigne et Julien Denormandie

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Sur le blog d'André Chassaigne

Comment expliquer l’écart entre prix à la consommation et prix à la production ? Selon vous, la loi EGALIM est-elle suffisamment efficace ?

J. D. : La mère des batailles c’est la rémunération des agriculteurs. Il en va de notre souveraineté agroalimentaire. Nous sommes une chaîne alimentaire et chaque maillon doit pouvoir être rémunéré. Tout le monde doit l’être à la juste valeur de son travail et en premier lieu l’agriculteur. Force est de constater qu’aujourd’hui ce n’est pas le cas et que trop longtemps cette chaîne a été marquée par une guerre des prix mortifère visant toujours à la dégradation du revenu des agriculteurs. Ce Gouvernement refuse que cette guerre se poursuive sur le dos de nos agriculteurs. La loi Egalim 1 a permis de changer d’état d’esprit. Mais il
fallait aller plus loin et c’est pour cela que nous avons fait sanctuariser le revenu des agriculteurs avec la non-négociabilité de la matière première agricole et surtout la prise en compte des coûts de production. A la fin des fins, la loi vient donner plus de pouvoir aux agriculteurs dans les négociations ! C’est un véritable combat que nous menons avec détermination. Je vous l’affirme : je ne lâcherai rien. Cette loi est essentielle pour la juste rémunération de nos agriculteurs. Celle-ci est essentielle, car sinon nous délocaliserons notre agriculture, et je le refuse.

A. C. : Ce sujet mérite qu’on aille au fond des choses. La pérennité des exploitations est conditionnée à la capacité de restaurer des garanties de prix d’achat et des revenus à nos producteurs agricoles. On le répète tout le temps, les agriculteurs veulent vivre de leurs produits, pas des aides compensatrices. Mais malgré des avancées, la loi EGALIM reste au milieu du gué. Elle ne prend pas suffisamment en compte les rapports de force existants et le poids de ceux qui dominent le commerce agricole et alimentaire. Ce sont les Carrefour, Leclerc, Intermarché, Système U, Casino, Auchan, Nestlé, Unilever, Danone, Mondelez, Lactalis, Bigard… qui pilotent l’offre et l’ensemble de la chaîne de valeur selon leurs logiques de rentabilité financière. Et à mon grand regret, la session de rattrapage « Egalim 2 » n’impose toujours pas de mesure contraignante et de pouvoir d’intervention dans les négociations commerciales. De plus, je dirais, attention danger ! Sans capacité d’intervention ferme de l’Etat, la contractualisation atteindra vite ses limites lorsque les coûts de production s’envolent, comme c’est le cas actuellement avec les prix de l’énergie et des intrants ou les aléas climatiques à répétition. Dans un monde totalement instable, dominé par les logiques de marché, je suis persuadé qu’on ne garantira pas durablement les prix d’achat au bas d’un contrat triennal, quand bien même des dispositions de révision contractuelles sont en théorie prévues. Les lois EGALIM n’ont pas suffisamment pris la mesure de cette volatilité et de l’accroissement spectaculaire des coûts de production. Je ne crois pas non plus que l’on règlera la question des prix d’achat par un simple renforcement des règles applicables dans la négociation commerciale. Quelles que soient les vertus des dispositions contractuelles, les grands groupes trouveront les moyens de les contourner. Et ce n’est pas un « médiateur des relations commerciales agricoles » ou un « comité de règlement des différends commerciaux agricoles » qui régleront les problèmes structurels. Qui peut croire qu’un tel salmigondis réglementaire aura une quelconque efficacité face aux multinationales du secteur ? Il faut donc prévoir, dans la loi, de vrais pouvoirs d’intervention sur les prix. C’est ce que nous défendons ensemble avec Fabien Roussel, candidat à la présidentielle avec l’instauration de conférences annuelles pour chaque grande production permettant non seulement de valider des indicateurs de coûts de production pour l’année en cours, mais aussi des prix de référence et un dispositif d’encadrement des prix de vente en cas de crise sur la base de l’application d’un coefficient multiplicateur. Et qu’on ne me dise pas qu’il s’agirait d’une économie administrée ! Ce sont les principes d’une économie agricole régulée et contrôlée, impliquant pleinement les agriculteurs dans la répartition de la valeur ajoutée. Et puisque certains distributeurs ou géants de l’agroalimentaire sautent comme des cabris en criant transparence, transparence, transparence !, nous proposons de rendre publiques ces négociations annuelles.

 

Est-il durable, pour la vie paysanne, que l’on continue ainsi à concentrer les terres — les paysans ne travaillent-ils pas ainsi toujours davantage pour moins de revenus ?

J. D. : Le modèle français reste un modèle à taille humaine, ancré sur les territoires. Aujourd’hui la taille moyenne est de 65 hectares ! On est bien loin des fermes qu’on rencontre à l’étranger ! L’enjeu de l’accès au foncier est toutefois essentiel pour permettre aux jeunes de s’installer. C’est sur cette question où nous devons aller plus loin. On a fait des premières avancées avec la proposition de loi Sempastous. Mais on doit être plus innovant comme par exemple avec la création de fonds de portage pour accompagner ceux qui s’installent. Je crois beaucoup en ces projets qui sont des solutions efficaces pour permettre l’installation de jeunes. Je souhaite qu’on puisse aboutir prochainement à la concrétisation d’un certain nombre d’entre eux.

A. C. : L’accès au foncier agricole est un pilier d’une agriculture durable avec l’installation. Nous avons besoin d’une politique foncière plus efficace qui permette d’un côté d’arrêter l’hémorragie de la surface agricole utile, en particulier dans les zones de forte pression et de fort potentiel agronomique, et de l’autre, de conforter notre modèle d’exploitation familiale. Il faut une nouvelle loi foncière permettant de mettre un coup d’arrêt à la concentration au profit de grandes structures de forme sociétaire ou capitalistique, totalement disproportionnées, intransmissibles et axées sur des systèmes agricoles très intensifs, quand elles ne sont pas désormais mises au service exclusif de productions non agricoles comme l’énergie.

 

Le modèle agricole actuel est-il durable ? Dans la négative, que s’agit-il d’imaginer, d’envisager ?

J. D. : Il est résolument durable ! De nombreuses études le pointent d’ailleurs, l’agriculture française est l’une des plus durables du monde et cela grâce aux agriculteurs. Soyons fiers de notre modèle agricole ! Il est fondé sur la qualité de nos productions. N’en déplaisent à certains, les transitions avancent à grand pas. Faisons le choix, en tant que consommateur de cette agriculture locale, des territoires. Mais il faut, dans le même temps, affronter les défis qui sont face à nous. Je pense notamment à la question du changement climatique. Notre principal défi est là. Comment on adapte notre agriculture face aux effets du changement climatique ? C’est pour cela qu’on a lancé le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique. Le Premier Ministre a conclu ces travaux il y a deux semaines et permettez-moi de vous dire que ce Varenne est une belle avancée. Nous avons avancé sur des sujets attendus de très longue date comme l’assurance récolte, les stratégies d’adaptation des filières ou encore la gestion durable de l’eau. Ensuite, il faut reconnaître l’intérêt de l’Agriculture dans la lutte contre les dérèglements climatiques. La force de l’agriculture, c’est le sol agricole. Le sol agricole, c’est notre trésor. C’est lui qui nous permet de nous nourrir. C’est lui aussi qui permet de capter du CO² dans le sol. Car oui, on ne le sait que trop peu mais, sur Terre, le sol est le deuxième plus grand puits de carbone, juste après les océans et avant la forêt. Il nous faut encourager les pratiques qui favorisent cette séquestration du carbone, et les valoriser économiquement via l’émission de crédits carbone agricoles.

A. C. : Notre agriculture est face à un défi systémique. Celui de la transformation agroécologique. Sans prix, sans revenus, sans suffisamment d’actifs, cette transformation systémique n’aura pas lieu. Mais il va aussi falloir achever le mythe libéral d’un niveau de production mécaniquement maintenue par les gains de productivité et une meilleure compétitivité-prix sur les marchés mondiaux. Il va falloir être en capacité de produire « mieux », à des prix plus élevés, avec un maintien de la valeur ajoutée sur des exploitations de taille humaine…plutôt que de transférer les richesses produites vers les portefeuilles financiers. L’accompagnement d’une telle transformation globale nécessite une PAC forte et une loi de programmation agricole incluant des protections strictes contre les importations déloyales, le renforcement de notre formation initiale et continue en agriculture, un transfert très efficace de la recherche agronomique dans les pratiques.

 

Va-t-on en rester là pour la retraite des paysans ? Que va-t-on faire pour les conjoints, qui sont en réalité souvent des conjointes d’exploitations ?

J. D. : C’est vrai et c’est pour cela que nous avons étendu aux conjoints collaborateurs la revalorisation des pensions de retraites. Revaloriser les retraites, c’est reconnaître le travail de femmes et d’hommes qui ont consacré leur carrière et leur vie à nous nourrir. Nous l’avons donc fait d’abord pour les chefs d’exploitations en novembre dernier, puis dès ce mois de février pour leur conjoint. Sur ces quatre mois, ce sont plus de 350 000 retraites qui ont été revalorisées. C’était une promesse et nous l’avons tenue. Je voudrais souligner l’excellent travail mené avec le Président Chassaigne. Dans ce combat qu’il a porté, il a toujours pu compter sur l’appui indéfectible de la majorité présidentielle.

A. C. : Les deux lois dites « Chassaigne 1 et 2 » sont un premier pas. Leur mise en oeuvre concerne quelques 400 000 retraités et retraitées actuels ainsi que tous les futurs retraités. Ce qui n’était pas gagné au départ ! Mais il faut rappeler que les arbitrages gouvernementaux et financiers de Bercy ont fortement raboté la portée initiale de ces deux textes. A mon grand regret ! L’objectif reste toujours d’assurer à tous les retraités agricoles un minimum de pension à 85 % du SMIC. Et il faudra sans doute une loi Chassaigne 3 ou 4 pour y parvenir, mais je ne lâcherai pas.


Que va-t-on faire pour l’installation des femmes ?

J. D. : Nous allons continuer à l’encourager pleinement. Aujourd’hui, environ 26% des exploitations sont dirigées par des femmes ; c’est 3 fois plus que dans les années 70. Mais il y a un effet de stagnation et nous devons aller plus loin. L’enjeu du renouvellement des générations, de la formation et de l’installation des agricultrices de demain est évidemment la clé d’entrée. Mais, cela passe également par une plus grande reconnaissance de leur travail et par une véritable reconnaissance de leur statut. C’est par exemple ce que nous avons fait avec la revalorisation des petites retraites des conjoints-collaborateurs. Les femmes en sont les principales bénéficiaires : elles sont plus de 120 000 à voir leur pension augmenter d’en moyenne 70€ par mois. Il y a la question d’un statut économique donc mais également la question sociale. Cela passe par une meilleure prise en compte des équilibres de vie et une réduction continue de la pénibilité du travail. Ce chantier est commun aux hommes et aux femmes et je suis convaincu que nous avons porté des avancées en la matière avec notamment l’allongement du congés paternité à 25 jours ou encore la création indemnité journalière en cas d’impossibilité de se faire remplacer pendant son congé maternité/paternité – plus de 1 300 agriculteurs en bénéficient chaque année.

A. C. : La féminisation de la profession agricole est une excellente nouvelle. D’autant que les femmes s’installent souvent avec un très haut niveau de formation et une vision de l’agriculture et de l’évolution des pratiques qui font grandir la profession. L’enquête publiée en 2020 sur les « femmes paysannes » met toutefois encore en lumière les difficultés qui demeurent. Outre des préjugés sexistes, il faut en finir rapidement avec des « sous-statuts » comme celui de conjointe collaboratrice qui leur est encore trop souvent réservée.

Publié le 15 mars 2022 par André Chassaigne

Propos recueillis par Vincent Roy

Article publié et à retrouver dans le journal La Terre - Mars - Avril - Mai 2022

Tag(s) : #AGRICULTURE, #JE LUTTE DES CLASSES
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