
Adoncques, en cet an de grâce 2017, en France la Douce, mère de la liberté d’expression, deux ministres portent plainte contre Mediapart.
Il s’agit de MM. Darmanin et Lecornu. À quelle sordide turpitude s’est donc livré Mediapart ? La plainte vise un article mis en ligne et intitulé : « Deux ministres en vacances chez un repris de justice ». Effectivement, il semble que les « marcheurs » susnommés bronzent chez un brave Corse, seulement condamné pour trafic international de drogue, une peccadille. Et c’est vrai, ils le reconnaissent.
Evidemment, ils se défendent comme des voleurs de sucettes : ils ne savaient pas, donc ils sont vêtus de probité et de lin blanc, innocents comme un moinillon(1) qui tète encore sa mère. D’ailleurs, le préfet ne les avait pas prévenus. Celui-là peut, je pense, s’attendre à une gratifiante promotion en Haute Saône.
Disons-le nettement : que deux ministres gambadent en Corse et bouffent du niolo avec qui leur plaît, c’est pour nous un non événement. On s’est, ces derniers temps, habitué à pire, malheureusement.
En revanche, un autre aspect de la situation est nettement plus préoccupant. Deux ministres portent plainte contre un média pour avoir dit … la vérité, ils l’admettent. Alors, il ne s’agit pas de diffamation, mais d’information. Cela signifie que le fait d’informer devient en soi un acte délictueux. Et cela peut mener loin, n’importe quel journaliste honnête du riant et démocratique pays de M. Erdogan vous le dira.
Nous n’en sommes pas (encore ?) là, d’accord. Mais une interrogation demeure : cette pratique ministérielle ne nous met-elle pas « En Marche », doucement sans doute, et à pas de velours, certes, vers la situation qu’a voulue le Grand Pédagogue à la turque ? Posons la question autrement : les journalistes français sont-ils appelés à devenir des têtes de Turcs ?
(1) Il s’agit ici du petit du moineau. Le clergé régulier n’est pas concerné.
Serge Guérin