
Uruk III 3100-2900 av JC
Nous sommes une île. Nous, je veux dire l’Humanité. Mais aussi l’humanité en nous. Une île fragile, ballotée par des vents contraires dans une mer démontée. Mais qui lutte. Fraternellement, qui lutte.
Pour nous limiter au monde connu, nous pourrions nous accorder sur ce point : quatre fois dans sa très courte histoire, l’Homme a eu l’image d’une autre possibilité de l’île. Quatre aubes de l’humanité. Quatre trous, quatre interstices par où glisser ses rêves les plus fous.
Nous pourrions nous entendre sur l’existence d’une première aube de l’humanité, première tentative de sortie de l’état de nature pour un embrasement dans l’état de culture.
Au moins vingt mille ans avant l’apparition de Cromagnon, de premiers hommes (probablement d’espèce néanderthalienne) produisent, sur la paroi de la grotte de La Pasaliega, en Espagne, la représentation artistique d’autres êtres vivants, un cheval, une vache… De cette entrée dans le symbolique, peu de leurs contemporains ont sans doute fait l’expérience. Mais ces quelques-uns ont rompu le cycle de la nature dans lequel ils étaient jusque là enfermés pour entrer dans la spirale de la culture. Une spirale jamais refermée depuis. Une spirale, c’est à dire un infini. Un chemin.
Nous pourrions sympathiser avec l’expérience acquise lors d’une deuxième aube de l’humanité. Celle de l’invention de l’écriture par la civilisation d’Uruk, en Mésopotamie, il y a 5300 ans. Nous sommes ainsi entrés dans un long processus de domestication du signifiant. Nous permettant de conserver notre histoire, de confronter nos idées, de diffuser nos connaissances, de former nos lois. Et, de tout cela, nous réjouir, par la littérature, la poésie. Un autre infini. Un autre chemin auquel le développement soudain et rapide de l’informatique vient d’ouvrir d’inimaginables bifurcations. Un feu d’artifice spiralaire et potentiellement fraternel.
Nous pourrions tomber d’accord pour examiner l’avènement d’une troisième aube de l’humanité, une première organisation démocratique de la société, la démocratie athénienne. Née d’une limitation du pouvoir de la propriété, elle fut l’objet d’une suite de réformes politiques, entre 650 et 450 av. JC. Dans la forme la plus élaborée de la démocratie athénienne, où l’égalité sociale ne fut toutefois jamais de mise, les classes sociales sont mélangées au sein d’institutions territoriales, afin que tous les avis puissent être entendus. Les citoyens les plus pauvres ou les plus éloignés de la ville reçoivent pour cela, dans la phase ultime de ces réformes, une indemnité journalière pour participer aux assemblées et ne pas perdre ainsi une journée de travail. Nous savons pourtant que ces institutions, les plus démocratiques dans leur esprit que le monde ait jamais connu, étaient loin d’être parfaites : les femmes, les étrangers, les esclaves en étaient exclus.
Mais les penseurs de ce modèle ont à leur tour ouvert un autre cercle. La spirale qui en est née s’est souvent effondrée sur elle-même. Mais sa trajectoire peut se reconstituer, comme nous le montre avec éclat le philosophe contemporain Takis Fotopoulos. Un autre chemin, infini, devant nous à inventer. Car, comme le dit le poète Machado, Caminante no hay camino, se hace camino al andar : toi qui marches, il n’y a pas de chemin, le chemin se fait en marchant.
Pourrions-nous convenir de notre exigence à l’égard d’une quatrième aube de l’humanité ? Tant est brûlante et douloureuse son actualité. Tant, dans notre tout récent passé, l’idée en a été saccagée. Et pourtant si brillante, la possibilité du communisme. Non comme fin mais, à son tour, comme chemin. Ce doux communisme de Jésus comme avait pu l’imaginer chez le prédicateur chrétien le philosophe Ernest Renan. Un communisme dont l’hypothèse s’est entrouverte chez des hommes comme Gracchus Babeuf et ceux de la Conspiration des Égaux sous la Révolution. Ou chez les Communards de 1871. Ou chez Ambroise Croizat, à la Libération. Car le communisme, considéré comme un chemin et non une finalité, a déjà semé ses premiers petits cailloux blancs. Ses premières conquêtes, arrachées au pouvoir de l’argent. Sans cesse combattues, remises en cause. Pour ce qui est de la France, saurons-nous reconnaître, défendre, amplifier, les institutions communistes du travail que sont, même affaiblies, la Sécurité sociale, la Fonction publique ou la retraite. Les apports décisifs du sociologue et économiste contemporain Bernard Friot ouvrent à l’humanité de nouvelles compréhensions et de tout nouveaux chemins. Infinis, aux multiples possibles, par nous à inventer.
H. Tramoy
Sarrians - 28.II.2018
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