Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Il y a des années que je me bats avec/contre des collègues de travail, des profs donc, et des ami-e-s, et même avec des camarades, pour expliquer ce qui semble pourtant une évidence : on n’achète pas ses livres sur Internet - et surtout pas sur Amazon - ni à la FNAC, ni chez Cultura, ni, bien sûr, dans aucune grande surface.

Les raisons de mon ostracisme sont multiples mais la plus importante est qu’il existe des libraires et que leur rôle est irremplaçable et que malgré tout ce qui nous sépare, on ne remerciera jamais assez Jack Lang d’être à l’origine de la loi sur le prix de vente unique du livre.

Aujourd’hui, cependant, avec le confinement, les librairies sont frappées de plein fouet et par diverses stratégies tentent de limiter les dégâts. Le texte qui va suivre a été publié par la librairie indépendante Envie de lire, à Ivry, où j’ai eu le plaisir d’animer une soirée il y a quelques années.

Dois-je dire que je partage tout ce qu’il explique et démontre, même si je comprends que la petite librairie de Pernes, celles de L’Isle ou de Carpentras essaient de résister à travers le « Click and Collect » (encore un anglicisme inutile, d’ailleurs)?

Et, plutôt que couper dans ce texte, sous prétexte que le temps de lecture d’articles de fond ne cesserait de baisser chez les lecteurs, Rouge Cerise vous le propose intégralement, persuadé que chaque mot en est important et que les communistes, les sympathisant-e-s, les ami-e-s (et parfois ennemi-e-s) qui chaque jour fréquentent Rouge Cerise en mesureront toute l’importance et le feront connaître.

Roger Martin

Écrivain et militant communiste

 

------------------------------------------------------

librairie "Envie de lire" à Ivry

 

Communiqué de la librairie "Envie de lire"

PREMIÈRES NOUVELLES DU CONFINEMENT

 

Salut à toutes et à tous,

Vous le savez, et nous vous l'avons confirmé ces derniers jours : en application des annonces gouvernementales portant sur le nouveau confinement, la librairie fait l'objet d'une fermeture administrative, a priori jusqu'au 1er décembre prochain, au moins. Le premier confinement avait déjà affaibli les librairies indépendantes, dont nous sommes. Et même si, grâce à votre confiance et à votre soutien, l'activité a repris de plus belle depuis la réouverture en mai dernier, nous savions d'ores et déjà que cela ne suffirait pas à empêcher que le chiffre de l'année 2020 soit très en-deçà de ce qu'il doit être pour nous permettre de couvrir normalement nos frais. Pour rappel, nous avons mis en œuvre, depuis le mois d'avril, nombre de mesures d'urgence afin de pouvoir passer le cap. À commencer par une souscription solidaire, à laquelle vous avez massivement répondu ; et nous vous en remercions une nouvelle fois chaleureusement. Ensuite, nous avons réduit nos modestes salaires, mais aussi les achats de nouveautés et le réassort, tout en veillant depuis septembre à vous proposer autant que possible des rayons à nouveau bien remplis... Enfin, nous avons eu recours à deux emprunts : un prêt bancaire garanti par l'État, et un prêt du mouvement des SCOP, et nous avons pu bénéficier de subventions exceptionnelles, dont une de la part de la municipalité d'Ivry. Donc, nous sommes toujours là, et nous comptons bien y rester encore longtemps ! Mais cette nouvelle fermeture va accroître nos difficultés...

Suite à l'annonce du confinement, nombre d'entre vous sont passés nous voir jeudi dernier, et une nouvelle fois, vous nous avez témoigné votre soutien et votre attachement à la librairie, jusque dans vos messages d'encouragement qui nous ont fait chaud au cœur... Vous avez été nombreux également, ces jours-ci, à nous demander ce que vous pourriez faire pour nous aider à passer le cap. Des pistes ont été évoquées, parmi lesquelles la mise en place du fameux « click and collect »... Nous y avons réfléchi, et avons décidé que la librairie Envie de lire ne s'engagerait pas sur cette voie, et ce pour plusieurs raisons, que nous souhaitons ici partager avec vous. D'une part, il est évident qu'un tel dispositif ne compenserait en aucun cas les pertes liées à la fermeture, et n'aurait donc qu'un effet marginal en termes de soutien à la librairie. Pourtant, les déclarations du gouvernement le présentent explicitement comme un palliatif à généraliser, d'autant plus que, pour l'instant, les chaînes d'approvisionnement continuent de fonctionner, contrairement à ce qui s'était produit lors du premier confinement... Il deviendrait dès lors possible aux lecteurs, non seulement de réserver les livres présents en librairie, mais également de passer commande pour le reste. Bref, chacun.e pourrait continuer d'étancher sa soif de lecture sans pour autant se ruer sur Amazon – dont les ventes ont fait un bond de +26% durant le premier confinement... Le ministre de l'économie parle d'ailleurs aussi « d'accélérer les numérisations » des petits commerces, et clamait sur France Inter : « profitons de cette crise pour accélérer les transformations qui sont nécessaires ! ». De fait, c'est bien sur cet aspect-là que porteront les nouvelles mesures d'accompagnement prévues pour « remédier » à la crise. Les propos de nos gouvernants en disent ici assez long : il nous faudrait nous « adapter », et proposer des services dématérialisés...

Et qu'est-ce que le dispositif « click and collect », sinon un nouveau développement de l'accoutumance aux modes de consommation promus par les plateformes comme Amazon ? Or, cette acculturation à l'idée selon laquelle tout serait à portée de click, ou devrait le devenir, est précisément taillée sur mesure pour ceux-là même qui en ont fait leur unique argument de vente... Et qui seront irrémédiablement plus forts, dans ce domaine-là, que nous ne le serons jamais. Si un tissu vivace de librairies indépendantes continue de se maintenir dans notre pays, c'est précisément parce qu'elles ont autre chose à offrir, quelque chose avec lequel Amazon est impuissant à rivaliser... Chacun le sait : les librairies sont des lieux physiques, chaleureux, ouverts sur la rue et sur le monde. Des lieux où flâner à la découverte de territoires familiers ou inconnus, à la recherche de petits plaisirs de lectures qu'aucun algorithme et aucune campagne de publicité ne sauraient nous faire connaître. Et, suivant le mot heureux de l'ami Eric Hazan à propos d'Envie de lire : « peut-être n'y trouvera-t-on pas le titre que l'on est venu chercher, mais peu importe, on sortira avec sous le bras de la photographie, de la philosophie, un roman mexicain ou les souvenirs d'un révolutionnaire oublié »... Plus encore, les librairies sont des lieux vivants, bruissants, propices à la rencontre, non seulement avec les livres mais encore avec les libraires, et les autres usagers du lieu. Là, de pratique individuelle, la lecture s'ancre et s'inscrit dans du collectif. Les librairies, comme d'autres commerces de proximité indépendants, et comme les équipements culturels publics, sont des lieux de vie, de rencontre et de sociabilité. Elles favorisent l'apparition de liens qui nous permettent de faire société... Par conséquent, contribuer à entériner comme « normalité » l'absence de lieu physique, de conseil et d'échanges, à laquelle nous contraint la fermeture actuelle, c'est renforcer le risque de transformer les librairies en d'étranges « relais-colis », et les libraires en préparateurs de commande.

En parlant de préparateurs de commande, eux vont devoir continuer à bosser, pour approvisionner les plateformes de vente en ligne, tout comme les librairies qui proposent du « click and collect »... Et il en va de même pour les chauffeurs-livreurs, et pour toutes celles et tous ceux, intérimaires ou non, dont le travail contribue à assurer l'acheminement des livres... Aucun d'entre eux ne sera donc à l'abri de possibles contaminations, d'autant plus qu'il est permis de douter que leurs conditions de travail, dans les entrepôts logistiques notamment, permettent un respect des mesures sanitaires qui devraient s'imposer... Les syndiqués CGT de la FNAC ne disent pas autre chose, en substance, eux qui demandent, dans leur récent communiqué de presse, « que la santé prime sur l'économie ». Maintenir les commandes comme à l'ordinaire, dans une période où tous les voyants sont au rouge écarlate, reviendrait donc à fragiliser un peu plus, en termes d'exposition au virus, l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre, ainsi que les libraires eux-mêmes, et, in fine, les usagers.

Enfin, il nous semble que mettre en place le « click and collect » autorisera les gouvernants à se dédouaner de leurs responsabilités, plutôt que de mettre en œuvre de véritables mesures d'accompagnement et de soutien économique aux indépendants, en allant chercher les sous là où ils sont, c'est-à-dire notamment chez les plateformes de vente en ligne... Jeff Bezos, lui, s’est déjà goinfré en avril plus de 24 millions de dollars, du seul fait des profits générés par la pandémie ! C'est pourquoi nous partageons les demandes de la CGT des salarié.e.s de librairies, qui exige, dans un communiqué publié hier, « que les pouvoirs publics (…) compensent les pertes de CA induites » et « que le secteur de la librairie soit enfin éligible à la prise en charge à 100% du chômage partiel, pour limiter les conséquences sociales pour des salariés déjà bien trop faiblement rémunérés ».

Voilà donc les raisons qui nous conduisent à ne pas mettre en place de « click and collect ». Et nous espérons que nos ami.e.s usagers, qui nous invitaient à le faire, en comprendront le bien-fondé. Est-ce à dire que nous allons rester les bras croisés ?

Non ! Dès le mercredi 4 novembre, pour vous permettre de récupérer les commandes reçues avant le confinement, nous tiendrons trois permanences hebdomadaires, le mardi de 10h à 14h, et les mercredi et vendredi de 17h à 20h.

Ces permanences vous permettront également de retirer les livres présents dans notre fonds (15000 titres, de quoi faire et lire !), que vous aurez préalablement réservés via la plateforme Paris Librairies (www.parislibrairies.fr). Enfin, pour celles et ceux qui sont le moins familiers d’Internet, vous pourrez nous joindre, et réserver vos ouvrages par téléphone (01 46 70 35 03) durant ces mêmes heures de permanence.

Et bien sûr, nous travaillons à revenir vers vous très bientôt, avec de nouvelles idées pour la période et les Fêtes qui s'annoncent !

Merci encore, et prenez bien soin de vous et de tous !

Fraternellement,

L'équipe de la librairie SCOP Envie de lire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tag(s) : #TRIBUNE LIBRE, #CULTURE, #LIBRAIRIE
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :