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L’économiste Henri Sterdyniak rappelle que la France est l’un des pays au monde « où il y a le plus de milliardaires, avec des dynasties familiales constituées ». Une situation injustifiable à laquelle il faut s’attaquer, même si le sujet est « politiquement extrêmement sensible ». Entretien

 

En quoi l’héritage est-il aujourd’hui un facteur majeur d’inégalités ?

Henri  Sterdyniak En France, les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus importantes que les inégalités de salaire. Un phénomène qui repose en très grande partie sur le fait que les personnes issues des classes les plus riches disposent à la fois d’un héritage en capital humain – c’est-à-dire que les parents poussent au maximum leurs enfants dans les études –, d’un héritage en capital relationnel et d’un héritage financier qui permet aux jeunes générations, par exemple, d’acquérir via des donations un logement. Vous n’avez évidemment pas le même niveau de vie selon que vos parents vous ont fortement aidé à acheter votre logement ou que vous devez épargner, emprunter ou rester locataire tout au long de votre vie.

 

Aujourd’hui, les deux tiers des richesses en France sont héritées. Existe-t-il, en la matière, une spécificité française ?

Henri  Sterdyniak Non, pas vraiment. Pour autant, la France est l’un des pays au monde où il y a le plus de milliardaires, avec des dynasties familiales constituées : les Bettencourt, les Lagardère, les Mulliez, les Peugeot, les Wendel… Naturellement, le patrimoine étant très inégalement réparti, ces dynasties ont un poids considérable dans les inégalités sociales globales. Ces familles, par leur comportement patrimonial, participent au creusement des inégalités. Une grande partie de la fortune des plus riches est une fortune professionnelle. Ce n’est pas de l’argent qui dort. Pour autant, et c’est sans doute le plus grave, cela permet à ces familles de la classe dirigeante d’orienter l’évolution de l’économie nationale en choisissant, par exemple, d’investir dans tel pays à bas salaires ou en s’engageant, ou non, dans la transition écologique. Ce capital n’est utilisé que dans l’objectif de dégager des profits.

 

Doit-on taxer davantage les héritages et les donations, comme le suggérait l’OCDE, il y a quelques jours ? Est-ce une mesure suffisante ?

Henri  Sterdyniak La taxation de l’héritage en France est relativement faible et rapporte 15 milliards d’euros par an pour environ 300 milliards d’euros versés en héritages et donations. Un certain nombre de mécanismes protègent les grandes fortunes comme le fait de pouvoir effectuer des donations de 100 000 euros tous les quinze ans. Mais pas seulement. L’assurance-vie est une niche fiscale qui permet de détaxer une partie de l’héritage qui, avec les donations, efface par ailleurs l’impôt sur les plus-values. Il y a surtout le pacte Dutreil (loi de 2003 qui facilite la transmission d’entreprise par donation – NDLR), qui permet de bénéficier d’une réduction de 75 % au moment de la taxation sur les successions sous prétexte de protéger les entreprises familiales.

Il faut mettre fin à ce pacte. Aujourd’hui, avec le niveau de la dette publique, il faut trouver le moyen d’engranger davantage de recettes fiscales et l’une des pistes est effectivement une taxation supplémentaire de l’héritage.

Pour ce qui est de l’entreprise, il n’y a aucune raison de permettre à un dirigeant de la léguer à ses enfants, perpétuant ainsi les dynasties. En revanche, le décès d’un dirigeant d’entreprise peut tout à fait être l’occasion pour l’État de récupérer une partie du pouvoir. Concrètement, les droits de succession au décès d’un dirigeant d’une grande entreprise pourraient parfaitement être payés en parts de l’entreprise, des parts qui seraient alors gérées par un comité de parties prenantes rassemblant les travailleurs, les usagers et les collectivités locales si nécessaire. Il s’agirait en somme de proposer une récupération du contrôle social de l’entreprise.

 

Comment expliquer qu’il soit si compliqué de réformer l’héritage ?

Henri  Sterdyniak Le capitalisme est par essence familial. Sa logique repose sur l’accumulation du capital sur plusieurs générations. Si on parvenait à ce que, à chaque génération, le capital soit petit à petit socialisé, cela remettrait en cause l’accumulation des richesses par les classes dirigeantes. Pour elles, c’est un sujet tout à fait nodal, inacceptable. En réalité, il y a une sorte de brouillard maintenu qui consiste à mélanger l’héritage de l’appareil productif et le petit héritage d’une maison à la campagne. C’est un sujet politiquement extrêmement sensible.

 

S’agit-il dès lors de fixer des limites ?

Henri  Sterdyniak Il faut bien séparer la question de l’héritage des classes populaires et des classes moyennes avec les héritages colossaux des classes dominantes. L’objectif est avant tout de s’attaquer à la domination des grandes familles capitalistes. Pour autant, même dans les classes moyennes et populaires, il faut favoriser l’égalité des chances. L’héritage étant, au-delà d’un certain niveau, un facteur important d’inégalités, il est légitime de le réduire.

Regardons la situation telle qu’elle est. Les gens meurent relativement vieux. Faut-il vraiment maintenir un système dans lequel certaines personnes reçoivent des sommes importantes à 55 ans quand leurs parents décèdent à 85 ans ? Il faut aller vers un système plus égalitaire, en acceptant de détaxer les héritages inférieurs à 200 000 euros – c’est-à-dire inférieurs au patrimoine médian – et en mettant en partie à contribution les patrimoines les plus importants. La contrepartie de cette mise à contribution étant, par exemple, la possibilité d’aider massivement les jeunes de 18 à 23 ans, durant ces cinq années difficiles qui suivent la fin des études secondaires.

 

En dehors de cela, quelles seraient les mesures à prendre pour une réforme efficace ?

Henri  Sterdyniak Réformer l’héritage comporte selon moi deux mesures simples : la suppression des privilèges de l’assurance-vie ainsi que celle du mécanisme permettant, via l’héritage ou les donations, d’échapper à la taxation sur les plus-values.

Par ailleurs, il est nécessaire de revoir le barème de l’impôt sur les successions car, actuellement, le système favorise à l’extrême la transmission familiale au détriment d’une transmission extra-familiale taxée, elle, à 60 %.

Enfin, il convient de calculer le niveau de taxation de l’héritage en se basant sur le cumul des sommes perçues tout au long de la vie, de façon à ne plus favoriser, comme c’est le cas aujourd’hui, le système des donations. En somme, il est tout à fait possible d’augmenter le poids des impôts sur l’héritage. Et ces recettes nouvelles devront être employées pour aider les jeunes de familles populaires à bénéficier d’une meilleure insertion.

Marion d'Allard  

Entretien publié dans l'Humanité

Tag(s) : #TRIBUNE LIBRE
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